Le mythe d’un atterrissage en douceur

Arif Husain, T. Rowe Price

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Le changement d'opinion vers un ralentissement modéré semble inapproprié. Un atterrissage brutal fait partie du scénario à venir, reste à savoir quand?

Début 2023, la crainte d’une récession mondiale régnait. Cependant à mesure que les mois avancent, la situation s’est inversée. Malgré la guerre et la pénurie d'énergie, le sentiment s'est amélioré. Il y a bien des signes positifs, cependant un atterrissage en douceur n'est, selon moi, qu'un conte de fées agréable, adapté au récit dominant du marché et fondé sur des circonstances uniques tournées vers le passé. L'atterrissage brutal est imminent - il s'agit simplement de savoir quand il aura lieu.

Des événements susceptibles de donner de faux espoirs

L'hiver doux en Europe a permis à la région d'éviter une profonde récession, considérée comme presque inévitable en raison des prix élevés de l'énergie et des problèmes d'approvisionnement consécutifs à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Cela a conduit à un élan d'optimisme en Europe à la sortie de l'hiver. La dynamique énergétique européenne s'est améliorée, mais probablement pas assez. Aurons-nous un autre hiver doux? Je ne suis pas certain que les investisseurs aillent allouer des capitaux sur la base de cet espoir.

D’un point de vue budgétaire, la croissance américaine a reçu un coup de pouce de l'Inflation Reduction Act1 au début de l'année 2023. Cette loi a permis d'engager près de 900 milliards de dollars de dépenses totales, principalement consacrées à l'industrie manufacturière et aux projets de lutte contre le changement climatique. La loi CHIPS et la loi sur la science ont également soutenu la croissance. Bien que l'impulsion budgétaire puisse encore être positive, son pouvoir s'amenuise. Les élections américaines à venir et le déficit public déjà important plaident en faveur d'un soutien budgétaire supplémentaire limité.

Les avantages temporaires de l'assouplissement des conditions financières et des dépenses budgétaires aux Etats-Unis vont bientôt s'estomper.

Par ailleurs, lors de la crise des banques régionales américaines en mars dernier, la Fed a dû intervenir pour les soutenir. Les marchés s’attendaient au ralentissement, voire à l’arrêt des hausses du taux directeur de la Fed. Les taux hypothécaires ont baissé, ce qui a donné un autre coup de pouce à l'économie. Mais l'expérience nous apprend que ce qui monte redescend.

Tout ce qui monte doit redescendre

Les avantages temporaires de l'assouplissement des conditions financières et des dépenses budgétaires aux Etats-Unis vont bientôt s'estomper. En fait, nous n’avons certainement pas atteint le «peak everything», car tous les facteurs qui ont stabilisé l'économie mondiale dépassé leur pic positif, sont sur le point de baisser. C'est notamment le cas de la politique fiscale, de l'inflation, des liquidités, de la croissance en Chine, etc.

L'industrie manufacturière mondiale montre déjà des signes d'entrée en récession. Le boom du secteur des services, déclenché par le Covid, montre des signes indiquant qu'il a également dépassé son apogée. Il en va de même pour les marchés du travail.

A noter également que lorsque les indicateurs conjoncturels se situaient aux niveaux actuels, les banques centrales étaient déjà bien engagées dans le processus de réduction des taux d'intérêt. Il en est autrement aujourd'hui ! Les banquiers centraux semblent avoir calibré leur politique monétaire à une situation dans laquelle l'épargne déclenchée par le Covid, suivie d'un boom de la consommation, se poursuivra encore longtemps.

Depuis le début du resserrement de sa politique monétaire en mars 2022, la Fed a augmenté son taux directeur de 500 points de base et il semble actuellement qu'elle pourrait augmenter ses taux une nouvelle fois en 2023. La Banque centrale européenne en est à 400 points de base et la Banque d'Angleterre à plus de 500. Même la Banque du Japon, qui a été confrontée à une inflation beaucoup plus faible que sur les autres marchés développés, a modifié son objectif de rendement des obligations d'État afin de les laisser augmenter.

Il n’y aura pas d’atterrissage en douceur

La situation est périlleuse. Nous savons que les effets de la politique monétaire se font ressentir avec un certain retard. Un resserrement massif dans le monde entier - et ensuite? Au lieu d'un atterrissage en douceur, c'est bientôt une autre chanson qui sera majoritairement fredonnée. Les signes d'un atterrissage brutal sont trop évidents.

L'endettement augmente, les failles dans les liquidités - clairement visibles par exemple dans certaines banques régionales américaines, dans le secteur immobilier chinois et dans les fonds de pension britanniques - se transforment rapidement en cratères, même si d'autres points faibles apparaissent plus aujourd'hui que par le passé. A cela s'ajoute une migration du système bancaire réglementé vers des secteurs financiers peu réglementés et opaques. Mais le déplacement des problèmes ne signifie en aucun cas qu'ils disparaissent.

L'endettement a également augmenté dans les bilans des Etats. Durant la pandémie, on a assisté à un vaste transfert de l'endettement privé vers le domaine public. Cela signifie que les fonds publics sont largement épuisés. Si la récession s'installe, les gouvernements auront du mal à relever les défis.

Pour compliquer les choses, les gouvernements du monde entier doivent lancer de nombreuses nouvelles obligations à plus long terme sur le marché, car les anciens titres obligataires arrivent à échéance. Qui va acheter ces obligations à une époque où les banques centrales réduisent leurs achats d'obligations? Et réagir en même temps à la récession par des baisses de taux d'intérêt? Cela nuira aux titres à plus longue échéance, la duration évoluera défavorablement et aggravera encore toute la situation.

A court terme, les programmes de relance de la Chine et une éventuelle augmentation des stocks pourraient aider. Mais un atterrissage brutal est le scénario le plus probable. La seule question qui se pose est de savoir quand les effets retardés de la politique monétaire produiront leur inévitable effet dominant et comment le monde tentera de les maîtriser.

 

1 L'Inflation Reduction Act et le CHIPS and Science Act ont tous deux étés promulgués en 2022.

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