Le High Yield européen peut offrir 3% en termes réels

Emmanuel Garessus

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L’évolution de la qualité de crédit des sociétés, qui s’améliore, exerce une influence nettement supérieure à celle des taux, note Alexis Renault, de ODDO BHF.

Le marché des obligations à haut rendement (High Yield) est nettement moins couvert par les médias que celui des actions. Pourtant ce marché, qui n’est pas réservé aux institutionnels, a l’avantage d’un rendement attractif et d’un risque inférieur à celui des actions. Sur 10 ans, la volatilité de la stratégie High Yield Benchmark de ODDO BHF est limitée à 5,8%. Elle est donc trois fois inférieure à celle des actions (17%), déclare Alexis Renault, responsable High Yield pour ODDO BHF Asset Management, basé à Düsseldorf. Avec son équipe de 10 personnes, ce dernier gère 5,6 milliards d’euros à travers trois stratégies HY (Benchmark, Short Duration et fonds datés). Alexis Renault répond aux questions d’Allnews:

Est-ce que le marché des obligations à haut rendement présente une performance aussi favorable que celui des actions?

La performance du marché High Yield européen s’élève à 7,1% en six mois (en euros, à mi-avril) et celle du marché américain à 8% (en dollars).

Est-ce que les afflux de capitaux sont significatifs?

Depuis le début de l’année, la collecte est significative puisqu’elle atteint environ 500 millions d’euros pour Oddo BHF Asset Management.

Quelle est la réaction du High Yield à la remontée des taux?

La corrélation du High Yield avec les taux d’intérêt est faible, puisque de 0,16. Le segment Investment Grade (IG) est beaucoup plus corrélé (0,65). Par rapport aux actions, la corrélation est de 0,67. Donc si les bourses perdent 10%, le High Yield peut perdre temporairement 2 à 3%.

«Beaucoup de sociétés devraient améliorer leur structure financière, car le coût de la dette s’est alourdi.»

Pour le High Yield, l’évolution de la qualité de crédit des sociétés exerce une influence nettement supérieure. Elle est mesurée par les «spreads» soit la différence entre le taux sans risque et le rendement du débiteur. Si une obligation à 5 ans est munie d’un rendement de 7%, contre 2,5% pour le Bund, la différence est de 450 points de base (pb). Cet écart peut grimper à 700 pb si la qualité de crédit se détériore, ou 300 pb si elle s’améliore. La qualité de crédit du High Yield débute à BB+ et en dessous.

Comment le spread devrait-il évoluer?

Le spread est fonction de la qualité de crédit des sociétés, laquelle est en train de s’améliorer. Le taux de défaut attendu par l’agence Moody’s s’élève à 3% à un an, ce qui est très inférieur à la moyenne historique de 4,1%.

Beaucoup de sociétés devraient améliorer leur structure financière, car le coût de la dette s’est alourdi. La tendance est donc positive: Nous observons davantage d’«Upgrade» que de «Downgrade» et d’étoiles montantes (passage d’un rating HY à IG) que d’anges déchus (IG à HY).

Deux éléments peuvent influencer le marché. Le premier est l’évolution de l’inflation, en phase descendante (mais d’une ampleur et d’un rythme incertains). Je pense que des facteurs structurels justifieront un niveau d’inflation plus élevé que ces dernières années. Il s’agit de la déglobalisation de l’économie, de la pénurie de personnel qualifié, de la transition énergétique et, notamment en Europe, des gains de productivité devenus négatifs, ce qui signifie qu’il faut davantage de personnel pour le même niveau de production. Ces 4 facteurs sont des sources d’inflation qui empêcheront de revoir une inflation limitée à 1 ou 2%, sauf si nous devions entrer dans une récession.

Quel rendement réel l’investisseur peut-il espérer à long terme avec le High Yield?

L’investisseur peut espérer 5% à 5,5% à long terme avant la prise en compte de l’inflation, donc environ 3% en termes réels. C’est la première fois que l’on me pose cette question en 24 ans. De l’an 2000 à aujourd’hui, notre performance annuelle atteint 6,5, contre 4,5% pour le marché.

Quelle est votre stratégie pour battre l’indice?

La surperformance provient de la sélection de crédit. Nous recherchons des débiteurs qui génèrent du cash-flow libre, qui peuvent rembourser la dette, qui améliorent leur qualité de crédit, qui sont correctement financés.

La -discipline de vente est aussi très importante, c’est-à-dire la capacité de réduire les risques lorsqu’apparaît une détérioration de la qualité de crédit. C’est cet aspect qui empêche de subir les effets d’un défaut, des événements extrêmement coûteux en termes de performance pour un portefeuille. Nous devons donc être très actifs et ne pas hésiter à identifier les changements des conditions de la performance d’une société.

Avez-vous un exemple?

La société de transport maritime CMA CGM, l’un des leaders mondiaux du secteur, disposait avant la pandémie d’un rating de CCC avec un bénéfice d’exploitation allant de -2 à +5 milliards d’euros, donc très volatile. La crise du covid s’est traduite par une explosion des tarifs du transport et à une forte amélioration des résultats de ce type d’entreprise. Le résultat d’exploitation a bondi à plus de 28 milliards et elle est devenue la société la plus profitable de France. Le groupe est sorti du HY et il a remboursé toutes ses dettes. Le changement s’est produit en moins de 2 ans.

«Le marché du High Yield avait bien performé entre 2010 et 2012, malgré la crise de la dette souveraine en Europe».

Il arrive aussi que des sociétés subissent une détérioration de leur bilan en un ou deux ans, à l’image de Casino, Thomas Cook ou Atos. Il faut être prêt à réagir et à vendre sa position dès que la qualité de crédit se détériore. Thomas Çook a publié 3 avertissements sur le bénéfice avant de faire faillite. Il fallait réagir à chaque avertissement sous peine de presque tout perdre. Nous avons vendu les titres à 83 et à 96 en moyenne, alors qu’en défaut les obligations sont tombées à 11 en prix.

Quels secteurs et quels ratings privilégiez-vous?

Nous surpondérons les télécoms et la santé, où l’on trouve des sociétés avec des cash-flows libres stables. Mais il existe aussi des télécoms fragiles avec une baisse du bénéfice, comme SFR.

Nous aimons bien les sociétés dont la qualité de crédit s’améliore. Historiquement, nous avons toujours été sous-pondérés en BB et surpondérés en B, parce ces derniers sont plus attractifs.

A l’égard des obligations CCC, tout dépend de la situation du cycle économique. A l’approche d’une récession, il est préférable de ne pas détenir des titres CCC. Mais quand la récession est intégrée dans les cours, il est possible d’avoir de telles obligations et d’anticiper une amélioration du rating, comme celui de Birkenstock par exemple, qui est devenue BB et a effectué une IPO.

Il faut savoir que la période la plus négative pour le High Yield se situe quand le marché attend une récession dans les 6 mois. Historiquement, les spreads sont au plus haut le 1er jour d’une contraction économique. Le marché High Yield dispose d’une forte capacité d’anticipation.

Qu’attendez-vous de la conjoncture?

Le marché HY n’a pas besoin d’une forte croissance. Une légère croissance lui suffit, ce qui correspond à notre scénario en Europe. Les taux de défaut sont faibles.

Avec une inflation plus rigide, les taux d’intérêt baisseront donc moins fortement que prévu. Mes préoccupations principales portent sur la détérioration du risque géopolitique. Si le conflit devait s’envenimer au Moyen-Orient, les matières premières pourraient se renchérir et augmenter la probabilité d’une récession.

Que pensez-vous de la dette souveraine?

La dette des Etats s’est fortement accrue ces dernières années. Le coût de la dette devrait passer de 35 à 70 milliards pour la France ces 3 prochaines années, ce qui exerce un impact sur des pays tels que l’Italie. Cette détérioration est un facteur de volatilité pour les marchés.

Quel serait l’effet sur le High Yield d’une dégradation de la note de la France?

Si la note de la France devait être abaissée d’un cran, l’impact ne serait pas dramatique. Le marché a besoin d’observer de réels efforts faits par la France pour réduire le déficit. S’il a l’impression que les réformes ne vont pas assez vite, la dette française sera sous pression. Et si les pressions sont fortes, les mesures doivent être prises dans l'urgence. Cela peut rappeler les événements de 2010-12 qui ont forcé la Grèce et le Portugal à présenter de sévères mesures d’austérité.

Nous sommes sous-pondérés sur la France en termes de risque mais surpondérés en termes nominaux.

Le marché du High Yield avait bien performé entre 2010 et 2012, malgré la crise de la dette souveraine en Europe. La performance du HY s’était élevée à 14% en 2010, -1% en 2011 et +23% en 2012. Par contre, la crise souveraine avait apporté de la volatilité.

Quelle est votre duration préférée?

Nous sommes neutres sur la duration. Celle du HY est la plus faible de la classe d’actifs obligataire, à 2,8 ans, contre 4,7 pour l’IG et 6,7 pour les titres souverains. Cette faible duration permet de mieux comprendre pourquoi le HY était la meilleure classe d’actifs obligataire en 2022 et en 2023 (au moment de la baisse des spreads).

En 2024, la performance du HY (1,2% depuis le début janvier) est supérieure à celle de l’IG (-0,35%).

Est-il préférable d’investir dans le HY avec un fonds actif ou un fonds indiciel?

La gestion active est souvent plus performante que la gestion indicielle dans le HY parce que les ETF ont des frais semblables et absorbent tous les défauts de débiteurs. Sur les 10 dernières années, la différence de rendement entre notre fonds et un ETF atteint 13% après les frais. A la différence de notre équipe, les ETF ne font pas de sélection de crédit.

Le HY n’est pas un marché aussi efficient que les actions. Un gérant actif peut faire la différence à travers l’analyse de crédit et la qualité du «timing», donc la capacité d’anticipation du marché pour décider de reprendre ou de réduire du risque.

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