Chine vs USA: passage de témoin?

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Malgré un PIB chinois en accélération au premier trimestre, le géant asiatique aura fort à faire pour détrôner les Etats-Unis.

Ces derniers trimestres, les révisions à la hausse des prévisions économiques pour l'économie américaine ont largement dépassées celles des autres régions. Le consensus de Bloomberg montre que les anticipations de croissance du PIB américain pour 2024 sont passées de 0,6% l'été dernier à 2,4% aujourd'hui, alors que celles de la zone euro ont été ramenées de 1% à 0,5%, quand celles de la Chine n’ont augmenté que de 30 points de base pour atteindre 4,8% au cours de la même période.

Toutefois, certains indicateurs avancés, tels que les enquêtes sur la confiance des entreprises, ont récemment montré des signes de vitalité. Selon Caixin/Markit, l'indice des directeurs d'achat (PMI) de la Chine a été supérieur à 50 points – le seuil entre contraction et expansion – pendant 15 mois consécutifs. Il paraît donc légitime de se demander si le moment n’est pas venu pour la Chine de prendre le témoin des mains des Etats-Unis en matière de croissance?

Le nouvel an a dopé la croissance au premier trimestre

En Chine, le nouvel an lunaire a un impact économique considérable: de nombreuses entreprises ferment pendant une semaine et des centaines de millions de travailleurs se déplacent pour célébrer en famille. Le nouvel an lunaire est souvent considéré comme la plus grande migration humaine au monde. Or les aléas du calendrier lunaire font que la fête peut tomber en janvier ou en février, ce qui fausse la pertinence des comparaisons en glissement annuel (g.a.) pour ces mois. C’est pourquoi les statisticiens chinois préfèrent souvent les regrouper.

Cette année, le nombre de voyages pour le nouvel an a finalement dépassé les niveaux pré-pandémiques. Les autorités ont fait état d'un total de 5,1 milliards de voyages au cours de la semaine, soit 12,9% de plus que le total de 2019. Dans le même temps, les dépenses touristiques intérieures ont atteint 633 milliards de yuan (88 milliards de dollars), soit une augmentation de 47% par rapport aux niveaux pré-pandémiques. Ces dépenses semblent à leur tour avoir stimulé l'activité du premier trimestre – la croissance du PIB réel a atteint 5,3% en g.a. – un chiffre à la fois supérieur aux anticipations et à la croissance du quatrième trimestre (5,2%).

Le PIB national dépasse également le nouvel objectif de croissance des autorités pour cette année, à savoir «environ 5,0%», tel qu’annoncé lors de la dernière Assemblée nationale populaire (ANP). L’ANP a également décidé d'une expansion budgétaire d'environ 1,5% du PIB pour soutenir la croissance économique, en mettant l'accent sur l'investissement plutôt que sur la consommation. Or, les mesures de relance ont été plutôt timides jusqu'à présent. L'émission d'obligations d'Etat a suivi un rythme atone, tandis que la faiblesse de la demande de crédit a eu pour conséquence une croissance limitée des prêts bancaires. En effet, le total cumulé des nouveaux prêts en yuan à la fin du mois de mars était inférieur de 10,8% à celui de la même période de 2023. En outre, les efforts du gouvernement pour dynamiser le marché immobilier n'ont guère porté leurs fruits jusqu'à présent, et le vice-premier ministre He Lifeng a récemment appelé à un soutien supplémentaire.

Rebond éphémère?

La forte croissance globale du premier trimestre pourrait toutefois inciter les autorités à réduire leurs efforts, ce qui s’avérerait problématique si le regain d'activité s’avère de courte durée. Déjà, la croissance de la production industrielle s’est tassée de 7% à 4,5% en g.a. en mars, tandis que la croissance des ventes au détail a chuté à 3,1% en g.a., après avoir atteint à 5,5% en janvier et février. En mars, les ventes d'automobiles ont également été particulièrement décevantes, chutant de 3,7%. Après l'élan du nouvel an, il semblerait que les niveaux d'activité commencent à s'estomper.

Les investisseurs ne doivent pas ignorer non plus les effets pernicieux de la chute des prix en Chine. La croissance nominale du PIB a en effet été inférieure à la croissance réelle pendant cinq des six derniers trimestres, un écart culminant au premier trimestre avec une déflation de -1,1%, le pire résultat depuis 2009. La croissance nominale est plus pertinente pour les entreprises et les familles que la croissance réelle, étant donné qu'elle reflète mieux le chiffre d'affaires des entreprises et les revenus des ménages. En outre, l'indice des prix à la consommation de la Chine est revenu à 0,1% en g.a. en mars, frôlant à nouveau la déflation après une accélération, certes faible, vers 0,7%. En outre, les prix à la sortie des usines continuent leur décrue, l'indice des prix à la production ayant chuté de 2,8% en mars, soit le 18e mois consécutif en territoire négatif.


 

 


Faiblesse de l’activité chinoise en termes nominaux

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que les familles épargnent davantage et dépensent moins. Les dépôts des ménages ont ainsi atteint près de 110% du PIB. On estime que la baisse de la consommation, la diminution des achats de logements et la réduction des investissements sur les marchés financiers se traduisent par un total d'environ 15% du PIB en dépôts excédentaires. Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que la confiance des consommateurs chinois demeure si faible. Elle se situe à peine au-dessus du plus bas historique enregistré au plus fort des confinements «zéro-covid» de novembre 2022.


 

 


La demande intérieure en Chine reste faible, tandis que les entreprises ont été encouragées par des mesures de relance ciblées à augmenter leur production (de voitures électriques, de panneaux solaires, etc.), ce qui les oblige à redoubler d'efforts sur les marchés d'exportation. Les subventions généreuses et la baisse des prix ont attisé la colère des principaux partenaires commerciaux devant ces exportations bon marché, ce qui explique les récents voyages à Pékin de Mme Yellen, secrétaire au Trésor américain, et de M. Scholz, chancelier allemand. Toutefois, la demande mondiale pourrait ne pas être suffisante pour absorber les produits chinois, les exportations ayant chuté de 7,5% en g.a. en mars, soit la plus forte baisse depuis août dernier.

Au cours des dernières décennies, la croissance rapide et la taille considérable de l’économie chinoise ont fait du pays le principal contributeur à la croissance mondiale. Toutefois, cette époque est désormais révolue, du moins pour l'instant. Si l'on ajoute la croissance du PIB réel de 1,6% aux Etats-Unis au premier trimestre à l'indice des prix du PIB de 3,1%, on obtient une croissance du PIB nominal de 4,7%, un chiffre largement supérieur aux 4,2% enregistrés en Chine. Avec un moral des consommateurs au plus bas et des prix qui se dégonflent, le temps pour la Chine de reprendre le témoin de la croissance des mains des Etats-Unis n’est pas encore venu.

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