Tous les regards des acteurs de l’automobile seront cette semaine fixés sur Hollywood pour le «Robotaxi Day», organisé aujourd’hui par Tesla.
L’événement succède à l’annonce par l’UE de droits de douane accrus sur les véhicules à batterie fabriqués en Chine et après un vaste plan de relance monétaire et budgétaire par Pékin. Est-ce que l’automobile aura valeur d’indicateur anticipé des flux de liquidés futurs et des gagnants de la concurrence industrielle à laquelle se livre les économies européenne, asiatique et américaine?
Les marchés financiers semblent apprécier le groupe d’Elon Musk. Si l’action Tesla se traite à 40% de son plus haut, le constructeur américain est cher puisqu’il est valorisé à 90 fois ses bénéfices futurs, selon le magazine Barron’s. Les attentes formulées avant le Robotaxi Day, notamment technologiques, sont considérables pour ce groupe très innovant. La capitalisation boursière de Tesla atteint 796 milliards de dollars, soit 4 fois celle de Toyota, 12 fois celle de Mercedes, 15 fois celle de BMW et Volkswagen, 17 fois celle de General Motors. Tesla vaut aussi 6,5 fois plus que le géant chinois BYD, lequel vend «les meilleurs véhicules électriques à un prix inférieur à la concurrence», estime Louis-Vincent Gave, CEO de Gavekal Research, dans une interview à Thoughtful Money.
«La capitalisation boursière de Tesla atteint 796 milliards de dollars, soit 4 fois celle de Toyota, 12 fois celle de Mercedes».
Le marché espère du Robotaxi Day non seulement un modèle autonome profitant des progrès technologiques en termes de réseaux neuronaux et d’optique, mais aussi, dans le meilleur des cas, la présentation d’un modèle 2 en dessous de 30 000 dollars.
Les marchés opèrent pourtant un virage majeur. Tandis que la politique, par ses subventions et ses droits de douane, pèse toujours plus lourdement sur les décisions d’investissement, les valeurs chinoises viennent de fortement réagir au plan de relance de Pékin. BYD, une des positions de Warren Buffett (Berkshire Hathaway détient 4,9% du capital), a gagné plus de 40% cette année. Pendant ce temps, les groupes européens font la grise mine, après une série de révisions à la baisse du bénéfice. Volkswagen a baissé de 15% cette année (en euros), BMW de 23%, Stellantis de 43% alors que Toyota et Tesla stagnaient.
Le consommateur est très réticent
Sur le plan commercial, l’Europe automobile se porte très mal et elle en est la principale responsable. L’Europe est en train de tuer l’industrie automobile européenne, avance Philippe Charlez, directeur de l’Observatoire Energie/climat de l’Institut Sapiens, et auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique.
Le consommateur peine en effet à répondre aux incitations des autorités qui, à travers le pacte vert européen, interdiront la vente de véhicules thermiques en Europe dès 2034. Philippe Charlez observe que «depuis un an, les ventes des voitures électriques se sont en effet contractées de 11%, induisant des restructurations massives comme chez Tesla qui a licencié 10% de son personnel. Les raisons sont multifactorielles: augmentation importante des prix des voitures électriques (liée notamment à la forte inflation sur les matières premières composant les batteries) mais aussi de la recharge devenue parfois plus onéreuse au kilomètre parcouru que des carburants en forte baisse, diminution significative des aides d’États fortement endettés».
La Chine, non compétitive dans les voitures thermiques, est le grand gagnant. Pour Philippe Charlez, «contrôlant 80% de la production mondiale des batteries mais aussi de l’ensemble des métaux critiques nécessaires à leur production, les Chinois ont aujourd’hui dix ans d’avance sur leurs concurrents européens. Face à la machine chinoise bénéficiant de surcroît d’un coût du travail bien inférieur, les entreprises automobiles européennes sont laminées dans tous les domaines: plus performants, les voitures électriques chinoises sont entre 20% et 30% moins chères que leurs homologues européennes».
En Allemagne, au coeur de l’industrie européenne, la critique va dans le même sens. Daniel Stelter, essayiste et économiste, auteur du blog Beyond the obvious, indique dans une interview au magazine Focus, qu’il«est évident qu'aucun de ceux qui veulent par exemple installer une production de batteries ne le fait en Allemagne. Les matières premières ne sont pas là, le traitement des matières premières n'est pas là, et la fabrication des cellules de batterie elle-même est extrêmement gourmande en énergie. On construit des batteries là où l'électricité à base de charbon est bon marché. Je crois certes que des groupes comme Volkswagen, Mercedes ou BMW survivront. Mais je ne crois absolument pas que la part de la production nationale restera au niveau actuel.»
«Pour Philippe Charlez, «contrôlant 80% de la production mondiale des batteries mais aussi de l’ensemble des métaux critiques nécessaires à leur production, les Chinois ont aujourd’hui dix ans d’avance sur leurs concurrents européens.»
Le déclin de l’Allemagne
L’industrie automobile allemande risque de prendre le même chemin que la sidérurgie, note le site financier de la NZZ, The Market. Le dernier avertissement de Mercedes conduit à une baisse du free cash-flow 2024 non plus de 10 à 25% mais de plus de 25%. L’action ne se traite plus qu’à 5 fois le bénéfice 2024. L’industrie automobile allemande avait réussi à se réinventer durant la crise des années 1970, mais l’incertitude est extrême sur ses capacités à rebondir aujourd’hui. The Market cite le gérant allemand Elmar Peters, lequel craint que la branche n’ait pas la flexibilité qui permette de réduire les coûts de production. Avec un modèle défini par les coûts fixes, c’est particulièrement toxique. Le pouvoir des syndicats n’arrange rien. Des garanties d’emplois existeraient jusqu’en 2030, voire au-delà.
Les nouvelles hausses de droits de douane contre les véhicules chinois changeront-elles les choix du consommateur? Selon Philippe Charlez, l’UE «risque au contraire de le dissuader d’acheter électrique et de se tourner vers le marché de l’occasion thermique aujourd’hui en plein boom.»
Le retour de la Chine auprès des investisseurs
Si l’automobile européenne va mal, faut-il acheter des valeurs automobiles chinoises? Louis-Vincent Gave, CEO de Gavekal, note que si BYD dispose du meilleur véhicule électrique, le groupe chinois fait face à 130 concurrents sur son marché intérieur. Cette lutte acharnée devrait se traduire par une baisse des marges pour tout le monde, conclut-il. Le gérant d’actifs estime que le plan «bazooka» du gouvernement chinois redonnera confiance aux investisseurs à l’égard de la Chine, un marché sous-évalué, négligé et qui profite d’un momentum dorénavant haussier. Daniel Tepper, gérant d’Appaloosa Holding, une légende de la finance, qui avait correctement l’assouplissement quantitatif de la Fed, recommande tous les actifs chinois.
Une vague massive de capitaux asiatiques devraient être rapatriés en Chine et dans les pays émergents ces 12 à 18 prochains mois, selon Louis-Vincent Gave, lequel s’exprimait toutefois avant la présentation décevante de lundi quant aux détails du plan de relance. Ce grand déplacement de richesses se fera au détriment de la tech américaine et au profit des cycliques asiatiques, selon le directeur de Gavekal. Mais il y a peut-être de meilleurs idées d’investissement que BYD, en raison de la baisse des marges due à la concurrence du marché du véhicule électrique, ajoute-t-il. BYD a le vent en poupe puisque ses ventes sont en hausse de 37% sur base annuelle en septembre. BYD détient 37% du marché chinois du véhicule électrique, contre 6% à Tesla. Et il est le deuxième plus grand producteur de batteries, ajoute Neha Chamaria sur le site financier Motley Fool. Enfin, à l’heure de la hausse des droits de douane, il a l’avantage de disposer de sites de fabrication en Amérique, en Europe (en Hongrie) et en Asie.
La Chine n’en devient pas un modèle de politique industrielle pour le reste du monde. Daniel Stelter ne croit pas à «une politique industrielle dirigée par l'État. On pourrait dire maintenant: en Chine, cela fonctionne, voir la mobilité électrique, voir le photovoltaïque. Mais je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner chez nous.»
L’échec des politiques industrielles visant, «au nom de la vertu» comme l’écrit Philippe Charlez, à imposer très rapidement le véhicule électrique se retourne donc contre l’Etat lui-même et ralentit la transition climatique. Mieux vaut suivre le conseil de Mario Draghi et créer les conditions cadres qui permettent aux entrepreneurs d’entreprendre et à renforcer la concurrence. D’ailleurs en matière de taux d’industrialisation, la Suisse n’a pas de politique industrielle et s’en sort mieux que ses voisins.