Premières estimations des futures crises de la dette

Emmanuel Garessus

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Les Etats-Unis, l’Italie et la France n’ont plus guère de temps à disposition. Pour les premiers, ce triste moment est attendu en 2034.

La crise de la dette est un thème récurrent, mais il n’inquiète pas démesurément les marchés financiers. Les écarts de taux réagissent naturellement aux ajustements des notations et aux politiques publiques. Le spread entre la France et l’Allemagne est par exemple remonté à 80 points de base cet automne. Mais les marchés craignent davantage une récesion américaine qu’une mauvaise nouvelle sur la dette souveraine. Existe-t-il un moment précis qui fera éclater une crise de la dette dans un grand pays?

Les économistes réfléchissent de plus en plus au moment où les pays endettés ne pourront plus se satisfaire de promesses. L’American Enterprise Institute (AEI) vient de publier un travail de recherche de Mark Warshawsky et de Giorgi Bokhua relance ce débat. Sous le titre de «Current estimates of sustainable Government Debt limits for the US and 26 other OECD countries» le travail se penche sur la marge de manoeuvre dont disposent 27 pays appartenant à l’OCDE et évalue les années qui les séparent de la crise. Comme l’écrivent les auteurs, «quand le déficit budgétaire dépasse 5% du PIB et la dette publique est supérieure à 120% du PIB, de nombreux responsables de la politique économique et acteurs des marchés financiers désirent savoir où se situe la limite».

Une crise américaine, française et italienne?

Tandis que les deux candidats américains à la présidentielle se présentent avec des programmes budgétaires expansifs, il apparaît que la première économie au monde fait précisément partie, avec la France et l’Italie, des pays disposant de la plus petite marge de manoeuvre budgétaire. Cette contrainte budgétaire s’exprimera «à travers une hausse des taux d’intérêt, des difficultés à vendre ses emprunts et des pertes sur les positions obligataires existantes», note l’étude de l’AEI.

«Le modèle des auteurs définit une limite de durabilité à 154% pour les Etats-Unis (121,4% en 2022) sur la base des estimations de dette et de croissance de l’OCDE».

La situation est plus tendue si l’analyse considère la dette publique brute (à partir des données de 2022) que l’endettement net (quand les comptes intragouvernementaux sont déduits). La limite oscille entre 136 et 234% du PIB pour la dette publique et entre 181et 268% du PIB pour la dette nette. Les Etats-Unis, l’Italie et la France subissent les plus fortes contraintes au sein des pays de l’OCDE, tandis que le Royaume-Uni et le Canada arrivent ensuite.

Maximum 154% du PIB pour les Etats-Unis

Le modèle des auteurs définit une limite de durabilité à 154% pour les Etats-Unis (121,4% en 2022) sur la base des estimations de dette et de croissance de l’OCDE. En combinant ces prévisions et celle du Congrès américains (CBO), la dette américaine atteindra sa limite de durabilité en 2034.

Compte tenu du programme expansif de Kamala Harris et de Donald Trump, la limite devrait être atteinte encore plus tôt, écrit Daniel Mitchell sur son blog International Liberty. Les Etats-Unis ont un atout qui n’est pas suffisamment pris en compte, ajoute ce dernier, à savoir celui de pouvoir émettre des obligations dans la monnaie de réserve mondiale. La crise de la dette publique américaine surviendra-t-elle dans dix ans ou encore plus tôt? Dan Mitchell est d’avis qu’elle éclatera d’abord en Italie, mais est-ce une raison pour que les investisseurs puissent se sentir soulagés? Si les Etats-Unis émettent leur dette en dollars, l’Italie a, elle, l’avantage considérable de profiter au besoin des mécanismes de soutien de la zone euro. Toujours est-il que, selon l’étude, la limite de dette publique est estimée à 167% du PIB pour l’Italie, contre 144,4% en 2022. 

Si la situation de la France est problématique à l’heure du bouclement du budget 2025, il ressort de l’étude que le pays dispose encore d’une marge jusqu’à la limite d’endettement (177% du PIB, contre 112% à la fin du deuxième trimestre 2024).

La Suisse appartient à un autre monde

Le débat sur «the Day of Reckoning», soit l’heure du jugement, ne fait que commencer. Mais comme l’écrit Dan Mitchell le niveau d’endettement n’est qu’un «symptôme» d’une maladie qui s’appelle «l’excès de dépenses publiques». Il est en effet étonnant que l’on poursuivre une politique dépensière tout en sachant qu’elle mène à une crise.

Et la Suisse, pourrait-on se demander? La gestion prudente de la politique économique lui permet de ne pas subir les mêmes contraintes que les autres pays de l’OCDE. Comme sa dette publique s’élève à 39% du PIB (2022), sa limite de durabilité paraît atteindre des niveaux records, à 197% du PIB. 

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