La mobilité fiscale des retraités dépasse celle des salariés

Emmanuel Garessus

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La migration des retraités va des pays les plus riches vers les moins riches. Analyse de la réforme effectuée par le Portugal, puis de son annulation.

La concurrence fiscale fait rage pour s’attirer les faveurs des retraités. Mais ces derniers doivent comprendre que les exonérations peuvent n’être que temporaires. Les retraités suisses résidant en Thaïlande ou au Portugal en ont fait l’expérience. Il n’en ressort pas moins que le rôle démographique et fiscale des retraités est chaque année plus important. Cette population dite non-active est plus mobile qu’on le pense. Plus de 2,2 millions de citoyens européens de 55 ans ou plus vivent dans un pays différent de leur pays d’origine. Leur impact budgétaire est incontestable.

La signification fiscale des retraités est évidente au Portugal, pays réputé pour ses mesures favorables aux retraités européens prises à la suite de la crise de la zone euro. Les retraités représentent 15% des recettes de l’impôt portugais sur le revenu des personnes physiques.

«Plus de 2,2 millions de citoyens européens de 55 ans ou plus vivent dans un pays différent de leur pays de citoyenneté».

Pourtant la fiscalité des retraités est restée très longtemps délaissée par les économistes. La recherche économique portant sur la fiscalité des revenus préfère se concentrer presque exclusivement sur la concurrence des talents et sur les impôts des salariés. La raison de ce choix repose sans doute sur l’hypothèse, erronée, qui voudrait que les retraités sont insensibles aux changements fiscaux, selon les auteurs de l’étude «Pensioners without Borders: Agglomeration and the Migration Response to Taxation» effectuée par Salla Kalin (Helsinki, Antoine Levy (Berkeley), Mathilde Munoz (Berkeley) et publiée en août par le NBER  (WP 32890).

Un schéma inverse à celui des salariés

En termes de mobilité, tout sépare les retraités des salariés. Les premiers migrent des pays riches vers des contrées plus pauvres, alors que l’inverse est vrai pour la population active.

En réalité, cette population de retraités réagit très vivement aux différences de traitement fiscal. Une analyse approfondie de l’expérience portugaise initiée en 2009, unique par bien des aspects, fait l’objet de l’étude citée plus haut.

La réforme fiscale introduite par le Portugal en 2009 pour attirer les retraités aisés s’est traduite par l’introduction du régime NHR (Non-Habitual Resident). Elle prévoyait l’exemption fiscale totale sur dix ans des revenus venant de l’étranger pour les retraités non résidents depuis cinq ans et à condition de passer au moins 183 jours par an au Portugal. La NHR comprenait aussi un allègement fiscal de 20% sur les revenus gagnés au Portugal. Ajoutons qu’il n’y a pas d’impôt sur la fortune au Portugal. Sans lien avec cette réforme, le pays a introduit un «golden visa» en 2012 lors de l’achat d’un logement d’au moins 500’000 euros (sans avantage fiscal). Le coût fiscal pour le Portugal n’était pas dérisoire. Il représentait 0,6% du PIB en 2021.

«Cet été, le ministre portugais des finances a indiqué que le gouvernement réintroduirait des avantages fiscaux aux résidents étrangers».

La politique portugaise a clairement atteint ses objectifs: En 2019, les flux de retraités européens au Portugal ont été, selon l’étude, multipliés par 30 par rapport à la période d’avant la réforme de 2009, avant que l’introduction d’une taxe de 10% sur les retraites étrangères, en 2020, ne soit introduite.

L’étude révèle que les retraités sont aussi sensibles à d’autres aspects que purement fiscaux. La décision de migrer à la retraite est également fonction de la qualité des équipements (système de santé, climat, environnement notamment) ainsi que ce que la théorie nomme des «externalités d’agglomération au sein des migrants». Ces derniers conduisent à une concentration dans une région spécifique afin de retrouver une proximité «culturelle» avec le pays d’origine. Cette formation de «clusters» de retraités atteint des niveaux supérieurs à ceux créés par des salariés expatriés. Les auteurs montrent que les deux tiers de l’afflux lié à NHS se sont concentrés sur les 25% du territoire qu’ont préféré les premiers retraités migrants.

Corrections à la réforme

La politique fiscale portugaise a suscité de nombreuses critiques de la part de la population locale. Les prix de l’immobilier se sont par exemple accrus significativement dans les régions concernées et ont pénalisé l’accès à la propriété de la population locale.

C’est pourquoi un amendement a introduit en 2020, soit une taxe de 10% sur les retraites issues de pays étranger. La réforme NHR a été abandonnée totalement (pour les nouveaux migrants) en 2024.

L’introduction d’une réforme puis sa suppression offrent un cadre idéal à des chercheurs. L’étude du NBER se penche en particulier sur les retraités finlandais ayant décidé de migrer au Portugal. Les retraités finlandais ont été fortement attirés par la réforme portugaise. Mais la Finlande a elle-même réagi et elle a aboli l’accord de double imposition avec le Portugal en 2018. Le gouvernement finlandais a introduit une taxe à la source sur les retraites. Les chiffres sont impressionnants: Si le flux de retraités finlandais a été multiplié par 25 au moment de la réforme portugaise, l’expiration de cet avantage a ramené les flux de retraités au niveau d’avant la réforme. Mais, selon les auteurs, ce changement de loi «n’a pas inversé complètement les effets cumulatifs des baisses d’impôts sur le stock de retraités à l’étranger».

La situation est toutefois instable. Cet été, le ministre portugais des finances a indiqué que le gouvernement réintroduirait des avantages fiscaux aux résidents étrangers, mais cette fois en faveur des salariés et des professionnels et non plus des retraités. Le gouvernement a également réduit le taux d’imposition des entreprises de 21 à 15%. Une affaire à suivre.

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