Une dynamique inflationniste en trompe-l’œil

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Les bons résultats de l’inflation aux Etats-Unis en octobre ont engendré une euphorie que les investisseurs pourraient regretter.

La publication, le 14 novembre, des données sur l’indice des prix à la consommation (IPC) aux Etats-Unis a occasionné une ruée simultanée vers les bons du Trésor, les obligations d’entreprise et les actions. Mais les investisseurs ont-ils eu raison de se laisser porter par une telle euphorie?

L’IPC global en octobre est resté inchangé en glissement mensuel (g.m.) pour la première fois depuis juillet 2022, tandis que l’augmentation des prix en glissement annuel (g.a.) est descendue à 3,2%, un chiffre qui demeure légèrement plus élevé que les 3% en g.a. de juin dernier, chiffre le plus bas en 31 mois. En ce qui concerne l’inflation «core», ou sous-jacente, qui mesure le prix des dépenses de consommation hors alimentation et énergie, la dynamique reste bonne. Les prix ont grimpé de seulement 0,2% en g.m., le rythme le plus bas depuis février 2021 et ramenant le «core CPI» à 4% en g.a.

La modération de l’inflation globale s’explique en grande partie par la baisse de 2,5% en g.m. des prix de l’énergie, équivalant à une baisse de 0,2 de points de pourcentage (pp) du total mensuel. Les autres chutes importantes de prix ont été enregistrées dans des domaines tels que les tarifs aériens et les voitures d’occasion, qui ont vu des chutes de 0,9% et 0,8% respectivement. De plus, certaines des principales composantes de l’inflation sous-jacente ont ralenti en octobre. Par exemple, les prix des services ont augmenté de 0,3% en g.m., contre 0,6% en septembre, en raison notamment du ralentissement de l’inflation des coûts d’hébergement, principale composante du core CPI, également en progression de 0,3% en g.a. en octobre.

La menace d’une inflation sur le temps long

Malgré tout, les chiffres en g.a. devraient faire réfléchir les partisans de la ruée vers les titres. L’inflation des services a augmenté de 5,5% sur les douze mois à fin octobre, sous l’effet de la hausse de 6,7% des coûts d’hébergement.

Les investisseurs doivent également avoir à l’esprit que la méthodologie de calcul de l’IPC a considérablement changé avec le temps. Jusqu’en 1983, par exemple, les coûts d’hébergement étaient calculés à partir des taux hypothécaires, qui sont eux-mêmes fortement influencés par les taux directeurs que fixe la Réserve fédérale (Fed). Ainsi, les hausses massives décidées par son ancien président Paul Volcker, dans le but d’enrayer l’inflation galopante du début des années 1980, ne faisaient en réalité qu’ajouter de l’huile sur le feu dès lors qu’elles se répercutaient sur les taux hypothécaires. L’autre conséquence était que les cycles d’assouplissement qui s’ensuivaient se traduisaient par des baisses d’inflation artificiellement rapides.

La croissance des salaires continuera d’exercer une pression sur les marges des entreprises, qu'elles pourraient tenter de compenser par des augmentations de prix.

Le mois dernier, l’IPC a subi un changement de méthodologie certes moins spectaculaire, mais néanmoins important. Alors qu’il s’appuyait jusqu’à présent sur des données non lissées, le Bureau of Labor Statistics a décidé qu’il utiliserait désormais une moyenne mobile sur deux ans pour calculer les coûts d’assurance maladie. Si cette évolution permettra de renforcer la qualité des données en réduisant la volatilité à l’avenir, elle a bouleversé les chiffres d’octobre, premier mois pour lequel la nouvelle méthodologie a été appliquée. Selon les estimations, les frais d’assurance maladie ont chuté de 34% en g.a., équivalant à une baisse totale de 0,2 pp de l’IPC global.

Il semblerait en outre que les prévisions d’inflation prennent racine. Les contrats d’échange («swap») sur l’inflation à cinq ans attendue dans cinq ans sont passés de 2,53% en moyenne en janvier à 2,72% en octobre. Par ailleurs, l'indice de confiance des consommateurs de l'Université du Michigan a également démontré que les attentes d’inflation des ménages à un an, et celles à cinq à dix ans, ont rebondi depuis septembre, passant respectivement de 3,2% à 4,5% et de 2,8% à 3,2%.

De plus, l’augmentation des salaires demeure gênante pour la Fed. La Fed d'Atlanta assure un suivi de la croissance globale des salaires en utilisant des microdonnées sur les salaires horaires médians issus de la «Current Population Survey». A la fin du mois d’octobre, cet indicateur indiquait une hausse des salaires de 5,2% en g.a. Bien que ce chiffre soit en baisse par rapport à l’été 2022, qui a vu un sommet à 6,7%, il reste bien au-delà des moyennes de 4% des années 2000, et de 2,7% dans les années 2010.

En conclusion

Selon le calculateur de probabilité de Bloomberg, les prévisions des traders en faveur d’une dernière hausse de taux pour ce cycle se sont effondrées. Avant la dernière réunion de la Fed, le 1er novembre, ils estimaient à 42% la probabilité d'une hausse des taux d'ici à janvier prochain. La semaine dernière, ce chiffre était descendu à 2%.

Il convient également de relativiser la portée d’un IPC mensuel seulement inférieur de -0,1 pp par rapport aux prévisions du consensus. En outre, la croissance des salaires continuera d’exercer une pression sur les marges des entreprises, qu'elles pourraient tenter de compenser par des augmentations de prix. Par ailleurs, les prévisions des consommateurs en matière d'inflation longue durée s’ancrent. Sans compter que l'impact de la nouveauté statistique de lissage des coûts de l'assurance médicale s’effacera des prochains rapports mensuels. En définitive, la désinflation sans récession attendue par beaucoup pourrait n’être qu’un mirage.

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