Jay Powell campe sur ses positions

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Si les marchés anticipent une politique plus restrictive contre l'inflation, les incertitudes persistent quant à la stratégie de la Fed.

Les Etats-Unis demeurent la première économie mondiale, le dollar américain est de loin la monnaie la plus échangée dans le monde (elle représente, selon la Banque des règlements internationaux, 85% des échanges sur les marchés au comptant, à terme et de swaps) et les taux d'intérêt fixés par la Réserve fédérale (Fed) donnent encore le tempo de la finance mondiale. C’est donc sans surprise que la réunion de la Fed, la semaine dernière, a suscité tant d’attente.

Comme prévu, la Réserve fédérale n’a certes pas relevé ses taux. Mais les opérateurs de marché ont interprété cette décision comme une pause «hawkish», laissant présager davantage de détermination à maintenir une politique plus restrictive que prévu. Cela s'explique en partie par le fait que les projections des membres de la Fed vont encore dans le sens d’une nouvelle hausse des taux avant la fin de l'année. Cela reflète aussi une réduction dans le nombre de baisses de taux planifiées pour l’année prochaine, passant d’un total de -100pb projetés en juin à -50pb.

Le président de la Fed Jerome (Jay) Powell a souligné porter une attention particulière à l’évolution des statistiques macroéconomiques («nous surveillerons les données»), ce qui n'est pas particulièrement encourageant pour les «doves» au vu des tendances récentes. A titre d’exemple, la jauge de l’inflation que privilégie la Fed, le «core PCE» qui mesure le prix des dépenses de consommation hors alimentation et énergie, est certes passé d’un plus haut de 5,4% l’année dernière à 4,2% en février. Mais on reste loin de l'objectif de 2% de la Fed. Les membres du comité ont aussi révisé à la hausse leur projection médiane du core PCE pour 2025 de 0,1 point de pourcentage, soit 2,3%. L’objectif en matière d’inflation ne devrait pas être atteint avant 2026 selon eux.

Force est de constater, en outre, que l'activité économique aux Etats-Unis reste robuste. Le modèle GDPNow de la Fed d'Atlanta (qui estime les niveaux actuels de croissance du PIB en compilant les dernières données macroéconomiques) indique que le PIB atteindra un rythme annualisé de 4,9% pour le troisième trimestre, contre 2,1% pour le précédent. Cela explique peut-être pourquoi les projections de PIB de la Fed pour 2023 et 2024 ont été révisées à la hausse de 1,1pp et 0,4pp respectivement, passant à 2,1% et 1,5%. Le marché du travail se caractérise également par son dynamisme. La population active a atteint un plus haut historique de 161,5 millions d'employés en août, alors que le taux de chômage des douze derniers mois se maintient entre 3,4% et 3,8%, un niveau historiquement bas. Là encore, les décideurs de la Fed ont révisé leurs prévisions: le taux de chômage attendu pour l'année prochaine et 2025 est désormais estimé à 4,1%, contre les 4,5% prévus en juin.

Bien que le mantra de la Fed «higher for longer» soit connu de tous, les marchés ont vécu ces annonces comme une mauvaise surprise. C’est en partie peut-être parce que les opérateurs n'avaient pas pris la mesure de la détermination avec laquelle la Fed entend mener le combat contre l'inflation. Mais c’est aussi parce que les dernières données macroéconomiques semblent aller dans le sens de ses nouvelles projections. Par ailleurs, les derniers mois ont été marqués par une forte hausse des prix du baril de Brent (augmentation de près de 25% depuis la fin du mois de juin). Si les prix se maintiennent à ce niveau, une pression haussière continue sur l'inflation globale en 2024 est à prévoir (les prix du Brent se sont élevés en moyenne à 80 dollars le baril au cours du premier semestre, bien en deçà des 95 dollars atteint la semaine dernière).

Cette pression ne peut être qu’exacerbée par l'augmentation des salaires. Alors que l’on a observé une hausse annuelle des revenus horaires moyens de 4,3%, la Fed d'Atlanta calcule une augmentation de 5,3% des salaires médians au cours des douze derniers mois. Bien sûr, ces données sont modérées par rapport aux pics post-pandémie, respectivement de 8,1% et 6,7%. Il n’en reste pas moins que la pression sur les salaires s’intensifie. Illustrant ce phénomène, le syndicat United Auto Workers, actuellement en grève, réclame des augmentations d'environ 40% ainsi que des mesures de protection contre l’inflation. Une telle hausse des coûts sans augmentation des prix de vente paraît difficile à absorber pour les employeurs.

Au vu de ces éléments, il est probable que la Fed maintienne une politique suffisamment restrictive pour atteindre son objectif de 2%. Ce ne serait pas sans conséquence pour l’économie. Des propres mots de Jerome Powell lors du symposium de Jackson Hole 2022, «des taux d'intérêt plus élevés, une croissance plus lente et un marché du travail moins dynamique feront certes baisser l'inflation, mais ils pénaliseront également les ménages et les entreprises.» L’inflation étant toujours sa cible numéro un, il a déclaré mercredi dernier: «la pire chose serait de ne pas rétablir la stabilité des prix, parce que le bilan est clair à ce sujet: si vous ne rétablissez pas la stabilité des prix, l'inflation réapparaît. Or les gens détestent l'inflation. Ils la détestent.»

En conclusion

Nous avons assisté à une correction des marchés dans la foulée de la réunion de la Fed, avec une baisse sensible des actions et des obligations du Trésor. Le rendement du Treasury à dix ans a atteint son plus haut niveau (4,5%) depuis 16 ans vendredi dernier. Les traders de taux restent néanmoins sceptiques quant au sérieux de la rhétorique anti-inflation de Jerome Powell. Selon le calculateur de probabilité de Bloomberg, il y a seulement 53% de chances qu’une hausse des taux advienne au quatrième trimestre, alors que trois baisses de taux sont toujours anticipées pour l'année prochaine.

Si Jerome Powell campe sur ses positions, une nouvelle hausse des rendements des bons du Trésor et du dollar est à prévoir, jusqu'à ce que les ménages et les entreprises commencent à en ressentir les effets. Cela ne serait pas une bonne nouvelle pour les marchés actions. Comme nous l'avons écrit en août, «si l'activité commence à s’affaiblir, les récentes révisions à la hausse des prévisions de bénéfices des entreprises pour les douze prochains mois ont peu de chances d’être maintenues».

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