Plutôt données tangibles ou subjectives?

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Si les données tangibles se rapportent au passé, les enquêtes de sentiment sont une fenêtre entrouverte sur l’avenir.

Les économistes font souvent la distinction entre la mesure de l'activité (qu'ils appellent les données «tangibles») et les résultats des enquêtes sur la confiance des entreprises et des consommateurs (qu'ils considèrent comme «subjectives»). Les données tangibles ont tendance à être publiées avec un certain décalage, tandis que les données subjectives fournissent des instantanés plus à jour de ce qui se passe réellement dans l'économie. Il y a deux semaines, nous avons reçu une avalanche de données tangibles pour les mois de juin et de juillet, tandis que la semaine dernière, nous nous sommes davantage concentrés sur les enquêtes de confiance des entreprises du mois d'août.

Le discours dominant sur les marchés financiers cet été a été celui de la «fin du miracle de la croissance chinoise». The Economist a fait suivre sa Une «Peak China?» de mai par la couverture intitulée «Xi's Failing Model» de cette semaine, qui a fait écho au titre du New York Times «What China Isn't Telling the World About Its Economy» («Ce que la Chine ne dit pas au monde à propos de son économie»). Il est indéniable que la Chine a connu une reprise décevante après les blocages de l'année dernière, ce qui a été confirmé par les récentes données publiées pour le mois de juillet. La croissance de la production industrielle s'est ralentie, passant de 4,4% en glissement annuel en juin, à 3,7%, ce qui est bien en deçà des attentes. Les ventes au détail de juillet ont également déçu. La croissance en glissement annuel a chuté à 2,5%, contre 3,1% en juin, faisant mentir les prévisions du consensus qui tablait sur une accélération à 4,0%. Toutefois, un investisseur à contre-courant pourrait tout de même se demander si la morosité à l'égard de la Chine n'est pas exagérée.

Aux Etats-Unis, en revanche, les données relatives à la production industrielle du mois de juillet ont constitué une bonne surprise. La production a augmenté de 1,0% d'un mois sur l'autre, ce qui est beaucoup plus rapide que les 0,3% attendus par les économistes et constitue un revirement spectaculaire après la chute de 0,8% enregistrée en juin. En outre, les ventes au détail ont augmenté de 0,7% d'un mois sur l'autre en juillet, après 0,3% le mois précédent, les ventes de base - qui excluent l'automobile, l'essence et l'alimentation - ayant rebondi de 1,0% après 0,5% en juin.

Le rebond de la production industrielle de la zone euro est fortement influencé par la hausse de 8,3% de la production en Irlande.

Plus surprenant peut-être, le mois de juin a été satisfaisant pour la production industrielle de la zone euro. La production a augmenté de 0,5% par mois, contre 0,0% en mai, un résultat encourageant compte tenu de l'accumulation de nouvelles macroéconomiques négatives au cours des derniers mois. Toutefois, une analyse plus approfondie révèle que le rebond a été fortement influencé par la hausse de 8,3% de la production en Irlande. Bien qu'elle ne soit que la septième économie de la zone euro, l'Irlande accueille les activités internationales de nombreux géants américains, ce qui rend les variations de mois en mois très irrégulières - le bond de juin a suivi un plongeon de -15,9% en mai, qui à son tour a suivi des variations considérables de 22,5% et de -28,0% en mars et en avril! En excluant l'Irlande, la production industrielle de la zone euro aurait en fait baissé de -0,9% en juin.

La semaine dernière, S&P Global a publié son indice des directeurs d'achat (PMI) du mois d'août pour les principales économies avancées (elle ne publie pas de prévisions pour la Chine, mais seulement les chiffres définitifs, en collaboration avec son partenaire local, Caixin). Il s'agit d'indices de diffusion dont les résultats sont calibrés de manière à ce que la barre des 50 points représente la frontière entre l'expansion et la contraction de l'économie. Les résultats brossent un tableau de l'économie mondiale très différent de celui qu'esquissent les données tangibles.

Aux Etats-Unis, par exemple, l'enquête sur l'industrie manufacturière a perdu deux points pour s'établir à 47,0, ne répondant pas aux espoirs de voir la confiance rester inchangée par rapport au niveau de juillet. À l'exception d'un passage au-dessus de 50 points en avril, cet PMI est resté bloqué en territoire de contraction depuis novembre de l'année dernière. La confiance dans les services a été un peu plus résistante, sans doute aidée par la solidité du marché du travail. Toutefois, là aussi, l'enquête PMI a déçu les prévisionnistes. La confiance est passée de 52,3 à 51,0, toujours en expansion, mais à son niveau le plus bas depuis février - les répondants ont notamment mentionné l'impact de la hausse des coûts due aux prix des intrants et aux pressions salariales.

Dans la zone euro, la confiance des entreprises a été extrêmement faible en août. L'indice PMI européen de l'industrie manufacturière a certes légèrement augmenté, passant de 42,7 à 43,7, mais il reste à un niveau qui, historiquement, est associé à une récession plutôt qu'à une contraction de l'activité. Quant à l'indice PMI des services, il s'est considérablement affaibli en août, passant de 50,9 à 48,3, soit le niveau le plus bas depuis février 2021. Cette évolution intervient alors que le taux de chômage dans la zone euro s'établit à 6,4%, soit le niveau le plus bas depuis la création du bloc de la monnaie unique, et que l'indice PMI composite flash pour le mois d'août a atteint son niveau le plus bas depuis novembre 2020.

Alors, sur quoi devons-nous nous concentrer? Les chiffres réels «tangibles» ou les données «subjectives» des enquêtes de sentiment?

L'une des principales différences entre ces deux types d’indicateurs réside dans le fait que les données de production nous indiquent ce qui s'est passé, tandis que les enquêtes PMI nous donnent une idée de ce qui se passe actuellement et dans un avenir proche, à mi-chemin entre un indicateur coïncident et un indicateur avancé. Une autre différence réside dans la difficulté de mesurer l'activité et la production dans des économies aussi vastes et diversifiées. Cela signifie que les données «concrètes» sont souvent révisées bien après leur publication. Les chiffres de la production industrielle américaine, par exemple, sont systématiquement révisés le mois suivant, puis les autorités révisent à nouveau leurs estimations précédentes en mars de l'année suivante.

De même, les chiffres du PIB américain sont publiés pour la première fois un mois après la fin de chaque trimestre, puis révisés un mois plus tard et à nouveau le mois suivant. En outre, le Bureau of Economic Analysis (BEA) procède chaque année, en juillet, à une révision des données trimestrielles du PIB des trois années précédentes, puis effectue parfois des révisions plus anciennes. Cela signifie que le BEA peut manquer des tournants dans l'économie. Sa première estimation du PIB du premier trimestre 2008 était de 0,6% en glissement trimestriel annualisé, révisée par la suite à 1,2%, alors que nous savons aujourd'hui que la grande récession avait commencé au mois de décembre précédent. L'indice PMI manufacturier de l'Institute of Supply Management, qui a plongé dans la zone de contraction en février 2008, a sans doute fait un meilleur travail d'alerte sur la faiblesse de l'économie en temps réel que les données officielles sur le PIB.

En conclusion

Les récentes données tangibles - PIB, emploi, production industrielle, ventes au détail - ont brossé un tableau relativement rose, notamment de l'économie américaine. Toutefois, ces données sont toutes rétrospectives et, comme nous l'avons vu, sujettes à révision. Les enquêtes de sentiment, en revanche, sont coïncidentes et prospectives et suggèrent que tout ne va pas pour le mieux dans l'économie mondiale. Cela signifie que les investisseurs doivent être attentifs à des révisions à la baisse des données tangibles, comme la réduction de 306'000 du nombre estimé de nouveaux emplois créés aux États-Unis au cours des douze mois précédant mars 2023, intervenue la semaine dernière. En effet, si l'activité commence à s'affaiblir, les récentes révisions à la hausse des prévisions de bénéfices des entreprises pour les douze prochains mois ont peu de chances d'être maintenues.

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