Une désinformation qui chahute les semi-conducteurs

Levi-Sergio Mutemba

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La Chine n’a ni intérêt ni besoin d’envahir Taïwan face à l’inflation des cours des puces.

©Keystone

Il est peu probable que l’invasion de l’Ukraine par la Russie soit suivie d’une invasion de Taïwan par la Chine. Pourtant, sur la base de l’évolution récente des cours boursiers des fabricants asiatiques de semi-conducteurs, les marchés ne semblent pas exclure une telle éventualité. Déjà en crise d’approvisionnement due à la pandémie depuis 2020, l’industrie globale des semi-conducteurs doit désormais faire face à une crise de l’approvisionnement en gaz néon, essentielle à la fabrication des puces et circuits intégrés. L’Ukraine produit en effet entre 70% et 75% de ce gaz noble à l’échelle mondiale.

«L’offre de gaz naturel n’est pas fongible»

Au niveau des fabricants mondiaux de circuits intégrés, Morgan Stanley observe une inflation continue des prix due aux perturbations des chaînes d’approvisionnement. Dans une note à ses clients que la banque d’investissement américaine a partagée avec Allnews, ses analystes observent que les prix des circuits intégrés analogues ont augmenté de 7,7% en janvier (sur un an), ceux des microcontrôleurs ont explosé de 32% et ceux des composants discrets de 10%.

«L’offre de gaz naturel n’est pas fongible», rappelle Sébastien Galy, stratégiste macro senior chez Nordea Asset Management, dans une note publiée la semaine dernière. La Russie est elle aussi un producteur important de ce gaz mais également du palladium, tous deux essentiels à la fabrication de semi-conducteurs. «Leur provenance spécifique est donc d’une grande importance et leur approvisionnement par la Russie pourrait être coupée à titre de représailles», poursuit Sébastien Galy.

Les analystes de Moody’s ont récemment rappelé qu’entre 2014 et 2015, au plus fort de la guerre du Donbass, les prix du gaz néon avait littéralement décuplé. «Ceci veut dire que les fabricants d’automobiles, les fabricants de biens électroniques, de téléphones, entre autres, sont confrontés à des risques significatifs, dès lors que ces industries sont largement dépendantes de puces et circuits électroniques», insiste Tim Uy, analyste chez Moody’s.

D’où la crainte de voir la Chine envahir Taïwan, où siège la plus grandes fonderie indépendante du monde de semi-conducteurs, à savoir Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC). Aux Etats-Unis, l’ancien président américain a récemment mis de l’huile sur le feu en disant être persuadé de l’invasion de Taïwan par l’armée chinoise. Une désinformation que l’administration Biden a elle-même laissé fuiter. «Ce positionnement est à tel point intenable que le responsable des services secrets canadiens a tenu des propos tentant de justifier un rétropédalage sur cette éventualité», relativise Jacques Lemoisson, fondateur et CEO de GATE Capital Management et GATE Advisory, à Genève.

«La baisse en bourse de TSMC a alimenté la campagne de désinformation américaine.»

«Ce responsable a estimé que la Chine aurait tenté d’utiliser l’écran de fumée que représente l’invasion d’une partie de l’Ukraine par les troupes russes pour mettre la main sur Taïwan, mais que, face aux sanctions fortes et unanimes des pays occidentaux contre la Russie, elle se serait ravisée», poursuit Jacques Lemoisson, contacté par Allnews. Selon lui, à quoi bon envahir Taïwan, dès lors que la Chine se préparerait, comme ce fut le cas à Hong Kong, à mettre un responsable politique pro-Chine à sa tête, lors des prochaines élections en 2024?

«La baisse en bourse de TSMC a alimenté la campagne de désinformation américaine sur une attaque chinoise contre Taïwan. Mais la baisse des actions du secteur des semi-conducteurs est mondiale.» Soulignons en effet que les pure players taïwanais que sont TSMC et United Microelectronics (UMC) ont tous deux perdu près de 6% au cours des cinq derniers jours écoulés au vendredi 4 mars 2022. Cependant, sur cette période, des producteurs de dispositifs intégrés tels que les américains Intel (+0,76%) et Texas Instruments (+0,33%) sont demeurés stables par rapport à leurs concurrents asiatiques. Parmi les principaux acteurs chinois de l’industrie des semi-conducteurs, soulignons la baisse de 2,44% (sur cinq jours au lundi 7 mars) de Semiconductor Manufacturing International et celle de plus de 6% de JCET Group, tous deux côtés à la Bourse de Shanghai.

«TSMC et UMC, le plus grand et le 4e fabricants de puces au monde, respectivement, se sont entretenus il y a peu avec les principaux fournisseurs de gaz pour s'assurer que les approvisionnements continueraient d’être disponibles», ajoute Jacques Lemoisson. «Ces entreprises procèdent régulièrement à des évaluations des risques de tous les matériaux critiques et veillent à toujours avoir jusqu’à un an d’approvisionnement des gaz les plus importants comme le néon et l’argon ou des garanties par des contrats», poursuit-il.

Près de 15’000 nouvelles entreprises chinoises de semi-conducteurs ont vu le jour durant la seule année 2020.

Avant de préciser que, depuis la pandémie, l’ensemble des entreprises recherchent également des sources alternatives de ces gaz pour assurer la continuité de la production. «Powerchip Semiconductor Manufacturing, un autre fabricant de puces clé, a déclaré à Nikkei Asia que ses stocks internes et ses contrats avec des fournisseurs garantissent que l’entreprise dispose d’au moins six mois de ces gaz critiques.»

Pour mémoire, rappelle Jacques Lemoisson, TSMC fournit presque tous les principaux développeurs mondiaux de puces, dont Apple, Google, Qualcomm et Nvidia. Tandis qu’UMC fournit Samsung, Qualcomm et bien d’autres, tandis que les clients de Powerchip comprennent le néerlandais NXP, le sino-américain Omnivision et le japonais Renesas Electronics.

Aussi, la Chine n’aurait pas intérêt à s’aliéner les marchés et partenaires commerciaux internationaux, dans la mesure où le pays intensifie ses investissements dans le secteur. Selon l’Association mondiale des semi-conducteurs (SIA), le chiffre d’affaires des entreprises de semi-conducteurs basées en Chine totalisent actuellement plus de 40 milliards de dollars contre seulement 13 milliards en 2016. Sa part de marché globale était de moins de 4% quatre ans plus tôt et est passée à près de 10% aujourd’hui, selon les chiffres de SIA.

Enfin, l’association note également que près de 15’000 nouvelles entreprises chinoises de semi-conducteurs ont vu le jour durant la seule année 2020, la plupart étant des entreprises «fabless» (sans usine et recourant à la sous-traitance pour la fabrication). Si le rythme de croissance des parts de marché de la Chine se poursuit au rythme actuel, celles-ci s’élèveront alors à 17,4% d’ici 2024, avec des revenus totaux de plus de 116 milliards de dollars, souligne SIA.

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