Fonds et ETF russes en perdition

Levi-Sergio Mutemba

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Il est devenu virtuellement impossible d’investir dans des produits offrant une exposition aux valeurs russes.

©Keystone

Le conflit ukrainien met sous une pression extrême l’ensemble des produits d’investissement offrant une exposition exclusive ou partielle à la Russie. Et ce, qu’il s’agisse de fonds en actions ou en obligations, passifs ou gérés activement. C’est le cas, entre autres, du fonds indiciel coté sur les plus grandes capitalisations russes, iShares MSCI Russia ETF (ERUS). Le jour de l’annonce de l’invasion russe, ce fonds (coté en dollars) a perdu plus de 11%.

Au cours des cinq derniers jours écoulés au 2 mars 2022, il perd plus de la moitié de sa capitalisation boursière (-54%), l’énergie formant à elle seule près de 50% de l’exposition sectorielle du fonds, avec Gazprom, Rosneft et Lukoil figurant parmi les principales positions. Sur le mois écoulé, cet ETF enregistre une perte de plus de 70%. De même que le fonds VanEck Russia ETF (RSX).

JP Morgan a annoncé mercredi avoir mis sous revue son indice de référence JP Morgan USD Emerging Markets Bond Index.

Les fonds gérés activement affichant une exposition partielle sont moins touchés, mais leur volatilité n’en est pas moins significative. Ainsi le fonds de placement GMO Emerging Markets III (GMOEX) perd plus de 8% sur les cinq derniers jours, alors que son exposition aux actions russes ne dépasse pas 14%. Idem pour le fonds Kopernik Global All-Cap I (KGGIX), dont l’exposition à la Russie est d’environ 13% et qui perd plus de 5% depuis l’entrée des forces armées russes en Ukraine. Il totalise une perte de 16% sur le mois écoulé.

Les fonds obligataires ne sont pas en reste. Le fonds activement géré Vontobel Fund – Eastern European Bond AM dévisse de plus de 31% sur le mois écoulé au 1er mars 2022. Les émetteurs russes y pèsent pour 42,2%, tandis que le rouble constitue 33% de l’exposition en termes de devises. Pour sa part, JP Morgan a annoncé mercredi avoir mis sous revue son indice de référence JP Morgan USD Emerging Markets Bond Index et refuse désormais d’inclure toute nouvelle émission russe jusqu’à un apaisement palpable de la situation géopolitique.

Ce, alors que la Russie ne représente pourtant que  0,98% de l’exposition géographique totale du fonds. Les ETF répliquant cet indice, tels que l’iShares JP Morgan USD EM Bond ETF (EMB), perdent ainsi près de 15% depuis leur plus haut annuel. Il faut dire que certains partenaires commerciaux ou alliés stratégiques de la Russie y sont largement représentés. C’est le cas du Brésil, en tant que membre des BRICS, dont le poids s’élève à 3,53%, de l’Afrique du Sud (3,02%) ou encore de la Chine (4%) et du Kazakhstan (1,90%).

Le fournisseur d’indices MSCI a également annoncé mercredi retirer de ses indices émergents tous les constituants russes jusqu’à nouvel avis. «Lors d’une consultation, MSCI a reçu un nombre important de retours de la part des participants de marché, dont les propriétaires d’actifs, les asset managers, les courtiers et les plateformes d’échanges, une large majorité ayant confirmé le caractère non-investissable des titres russes et que ceux-ci devraient être supprimés de nos indices de marchés émergents», expliquent les experts de MSCI dans un communiqué publié mercredi.

«Historiquement, les événements géopolitiques ont tendance à avoir un impact de courte durée sur les marchés.»

A l’inverse, la compression des rendements américains, sous l’effet de la recherche de refuge de la part des investisseurs, semble bénéficier notamment aux fonds répliquant la performances des obligations du Trésor américain. «Le marchés des obligations souveraines se redressent grâce aux flux de valeurs refuges», constate Alan Mudie, CIO du gestionnaire suisse Woodman et ancien stratège en chef du groupe Société Générale, contacté par Allnews. «Les rendements à dix ans ont baissé de 13 points de base aux Etats-Unis et de 8 points de base en Allemagne et au Royaume-Uni durant les toutes premières heures de l’invasion. Cependant, les pressions inflationnistes persistantes devraient limiter la baisse des rendements», relativise l’expert.

CIO à la Banque Syz, Charles-Henry Monchau, également contacté par Allnews la semaine dernière, peu avant l’annonce des sanctions financières contre la Russie, estime possible le positionnement précoce de certains investisseurs sur des valeurs russes devenues extrêmement bon marché. «Historiquement, les événements géopolitiques ont tendance à avoir un impact de courte durée sur les marchés financiers», observe Charles-Henry Monchau. «Qu'il s'agisse de l'invasion du Koweit par l’Irak ou de l’épisode du débarquement de la Baie des Cochons dans les années 60, les marchés financiers ont tendance à se remettre relativement vite des crises géopolitiques», constate-t-il.

«Par conséquent, les investisseurs, dont la tolérance au risque est élevée et étant prêts à accepter une continuation possible de la baisse quelle qu’en soit l’importance, peuvent commencer à se positionner sur le marché russe.» Il souligne également que si l’ETF VanEck Russia ETF (RSX) est le plus négocié, les fonds iShares MSCI Russia ADR-GDR (CSRU LN) et Lyxor Russia DJ Russia GDR (RUS FP) sont plus intéressants et auraient tendance à mieux se comporter que le RSX.

«Je ne toucherais à aucun investissement russe à court terme.»

«La plupart des fonds long-only investis dans des actifs russes sont en général assez bien gérés et ont eu plusieurs semaines pour modifier leur positionnement», précise Charles-Henry Monchau. Qui explique que le risque majeur réside dans l’exclusion de la Russie du réseau de messagerie interbancaire Swift. «La Russie se retrouvera coupée du monde, ce qui risque de provoquer un signal négatif pour le monde entier en créant ainsi un précédent bien plus important que lorsque l’Iran a été coupé du réseau Swift», prévient Charles-Henry Monchau.

«Je ne toucherais à aucun investissement russe à court terme», assure de son coté Jacques Lemoisson, CEO de Gate Capital Management à Genève, contacté par Allnews. Et ce qu’il s’agisse d’actions ou d’obligations. Avec l’exclusion de la Russie hors du système Swift, ce sont toutes les transactions financières internationales des entreprises et agences russes qui sont bloquées. Les valorisations ne peuvent donc qu’aller que dans un sens, vers le bas, à court terme du moins. «Au niveau obligataire, l’une des conséquences de cette exclusion est le fait que les émetteurs russes ne voudront ou ne pourront pas rembourser leurs emprunts libellés en dollars», explique Jacques Lemoisson, lors d’un entretien exclusif en début de semaine.

«De nombreux investisseurs ont également pris conscience des limites des titres russes ADR cotés aux États-Unis, qui visiblement ne les protègent pas des effets liés aux événements tels que nous assistons actuellement», poursuit le stratégiste. «Il s’agit en effet de mesures de représailles sans précédent», ajoute Jacques Lemoisson. «Maintenant que Fitch et Moody’s ont coupé la dette russe à Junk, les fournisseurs d’indices émergents n’auront pas d’autre choix que de sortir les actifs russes», conclut l’expert.

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