Pas de récession, pas de crash

Levi-Sergio Mutemba

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Il faut apparemment plus qu’une forte inflation pour réellement disloquer les marchés.

©Keystone

En territoire négatif depuis le début de l’année, le marché n’est pas pour autant en train de corriger. Pas plus qu’il n’est entré dans un «bear market». Il pourrait même ne pas y entrer de sitôt. Non seulement la répression financière des banques centrales restent en place, malgré la hausse des taux. Mais les gouvernements exercent leur propre répression économique, si l’on peut dire, à travers des politiques d’expansion ou de déficits budgétaires. En faisant tout pour combattre les forces déflationnistes, ces derniers tentent en effet de minimiser le risque de récession, source principale d’une correction suivie d’un marché baissier.

Expert indépendant chez le think tank de la gestion alternative Air Lab, Stéphane Barbier de la Serre rappelle qu’une correction se définit généralement par «une baisse d’au moins 10% par rapport au plus haut du cycle en cours». Quelles sont alors les conditions devant être réunies pour que l’on puisse parler de bear market? «Au sens strictement technique, il faut un recul d’au moins 20% par rapport au plus haut du cycle en cours», nous réponds Stéphane Barbier de la Serre, contacté par Allnews. Si l’on prend le niveau record du S&P 500 du 4 janvier 2022 (4’818 points), le recul est d’un peu moins de 10% (au vendredi 18 février 2022). Et de 9% depuis le début de l’année.

«Les crash ne se produisent généralement pas quand le niveau d’aversion au risque est déjà élevée.»

«Au sens plus fondamental, un bear market est un marché où les investisseurs cherchent durablement à vendre les rebonds, sur fond de dégradation tendancielle des fondamentaux macro et/ou microéconomiques», précise Stéphane Barbier de la Serre. Ce qu’évoquaient les experts d’Oxford Economics au début du mois, lorsque ceux-ci attiraient l’attention sur le fait que, le plus souvent, ce sont les récessions qui précèdent les corrections. Et qu’il faut qu’il y ait récession pour qu’une correction, de 15% en moyenne, ait le plus de chance d’être suivie d’un bear market. De même, ajoute Stéphane Barbier de la Serre, les probabilités d’un crash, c’est-à-dire d’une correction rapide d’au moins 10%, semblent faibles à très court terme, du moins pour les indices généraux. «Les crash ne se produisent généralement pas quand le niveau d’aversion au risque est déjà élevée», poursuit le stratégiste.

En revanche, des segments du marché, en particulier ceux des actifs les plus risqués, sont en effet entrés en territoire baissier. C’est le cas notamment des indices technologiques et des valeurs de croissance en général. «Techniquement, si une correction correspond à une baisse de 10%, alors le Nasdaq a en effet corrigé», constate Martyn Hole, Equity Investment Director chez Capital Group. L’indice est en baisse de 11% depuis son plus haut du 19 novembre 2021. Mais celui-ci n’est pas encore entré dans un bear market, étant loin d’avoir cédé 20% par rapport à son dernier record, même si Meta Platforms (Facebook), l’un de ses principaux constituants, a perdu 40% sur la période précitée.

«Si vous regardez les constituants du Nasdaq, vous constaterez que plus de la moitié ont perdu environ 50% par rapport à leurs plus hauts respectifs du cycle en cours. Mais l’indice est parvenu à se maintenir grâce à des titres tels qu’Apple (-5% depuis début janvier) et Microsoft (-14%)», poursuit Martyn Hole, également contacté par Allnews. Le manager estime en outre que nous sommes également loin de nous trouver dans une situation favorisant un crash du marché.

«Je ne pense pas qu’il existe une définition claire de la notion de crash. Mon instinct me dit qu’un crash est une chute extrême du marché, telle que celle observée lors du crash de 1929, lorsque le Dow Jones avait perdu environ 90% en un jour», se rappelle Martyn Hole. Selon lui, rien ne suggère que la situation actuelle puisse déboucher à court ou moyen terme dans une issue comparable au crash de 1974, caractérisé par une baisse d’environ 50% des indices mondiaux, ou à la Grande Crise Financière de 2008, lorsque les indices globaux avaient chuté de 60%.

«Le crash le plus curieux est probablement celui de 1987, car aucun problème économique majeur ne le justifiait.»

«Il est peu probable que la crise du COVID compte parmi la liste des grands crash boursiers, lorsque l’on constate que la différence entre le point le plus haut et le point le plus bas des actions mondiales était de seulement 28%, avant que celles-ci n’enregistrent une récupération rapide», estime l’expert de Capital Group. Celui-ci insiste sur le fait que tous les incidents de marché évoqués plus hauts ont été précédés de graves déséquilibres macro ou microéconomiques. Tels que la dépression économique massive des années 30 due à un effet de levier excessif, en particulier dans l’immobilier. De même qu’en 2008. «Je dirais que le crash le plus curieux est probablement celui de 1987, car aucun problème économique majeur ne le justifiait», poursuit Martyn Hole. «Il s’agissait simplement d’un problème de surévaluation des cours boursiers.»

Même le bear market qui s’est mis en place entre janvier 1973 et décembre 1974 est une référence peu utile pour évaluer les chances de déflagration du marché actuel. Certes l’inflation y avait bondi de 12% en 1974, suite à l’effondrement du Système de Bretton Woods un an plus tôt combiné au choc pétrolier de la même année. Mais les taux d’intérêt nominaux étaient également nettement plus élevés qu’ils ne sont aujourd’hui. De sorte que les taux réels longs étaient toujours en territoire positif. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Charles-Henry Monchau, Chief Investment Officer (CIO) chez Syz Group, souligne dans une note publiée mercredi que la «répression financière reste à l’ordre du jour», faisant référence aux politiques monétaires de taux bas, en dépit de la perspective de relèvements des taux cette année.

«Les taux réels allemands sont demeurés négatifs pendant 69 mois consécutifs», écrit Charles-Henry Monchau. «Sous cet angle, les épargnants peuvent-ils se permettre de délaisser les actifs risqués à la faveur des investissements du marché monétaire», s’interroge l’expert. «Cela me semble difficilement envisageable, d’autant que les gouvernements et les autorités monétaires maintiennent la répression, un outil essentiel dans le contexte de déficits budgétaires», explique le CIO.

Celui-ci note toutefois que le nombre d’obligations souveraines à taux négatifs a chuté d’environ 70% face au risque de relèvement des taux d’intérêt par les banques centrales. Mais, ajoute Charles-Henry Monchau, si hausse de taux il y a, celle-ci sera de courte durée, compte tenu du maintien de facteurs ou forces séculaires telles que la faible démographie des pays développés, la dette, «qui pèse sur la croissance lorsque les taux augmentent», et la disruption technologique, «qui continue de s’accélérer avec un impact déflationniste avéré».

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