Déflation transitoire des loyers?

Levi-Sergio Mutemba

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La compression des rendements n’abîme en rien le statut de valeur refuge de l’immobilier suisse.

©Keystone

La part d’un fonds immobilier coté en Suisse s’achète aujourd’hui, en moyenne, 5% plus cher par rapport à son plus haut niveau précédant la crise du coronavirus. C’est-à-dire par rapport à la fin du mois de février 2020. Au cours des trois dernières années, l’indice SXI Real Estate Funds Broad Price Index (SWIIP) totalise une performance de près de 30%. Porté par une hausse continue des prix immobiliers, en particulier dans le segment résidentiel, cette classe d’actifs, réputées défensives, ne semble susciter aucune défiance de la part des investisseurs. Et ce, malgré des valorisations ayant l’air d’avoir atteint des niveaux spéculatifs.

Le dernier Real Estate Monitor Switzerland, publiée fin septembre par Credit Suisse, attire notamment l’attention sur des primes souvent supérieures à 50%. Valorisations que les analystes de la banque suisse jugent «extrêmement élevées», même avec une perspective à long terme. Depuis, la performance est restée quasiment stable. Mais ces développements interviennent au moment où la tendance des prix des loyers, principale source du rendement locatif, est à la baisse.

«Cette pression baissière sur les loyers varie fortement d’une région à l’autre.»

Pour mémoire, les loyers en Suisse ont reculé de 2,7% au troisième trimestre 2021, d’après les données du consultant Wüest Partner. Selon qui les loyers devraient continuer à baisser en 2022 (-0,8%), quoiqu’à un rythme moins rapide, «en raison d’une intensification de l’activité de construction de logements locatifs», estime le consultant dans son dernier rapport trimestriel. D’après le baromètre trimestriel de l’immobilier publié par la Banque Cantonale de Zurich, le rendement total des immeubles locatifs à l’échelle nationale était d’environ 3,4 % en juin contre 4,8% un an plus tôt. Il est actuellement juste au-dessus de 3%.

Pour expliquer ces évolutions, la plupart des experts mettent l’accent sur les changements dans les préférences des ménages provoqués par le COVID. Désormais moins attachés à la proximité avec le lieu de travail dans les grands centres urbains, les locataires optent davantage pour des espaces plus grands (en termes de pièces) dans des zones moins denses, ce que le télétravail rend possible. «Cette pression baissière sur les loyers varie fortement d’une région à l’autre», relativise Flavio Lauener, CEO du fonds PURE, récemment lancé en Suisse. «Dans les zones où l'activité de construction est très élevée et où il y a une offre excédentaire, les prix des loyers résidentiels sont en effet sous pression», précise-t-il lors d’un entretien exclusif.

Jean-Bernard Georges, directeur des investissements à la fondation La Collective de prévoyance Copré, basée à Genève, partage cet avis. Et insiste sur le caractère transitoire, selon lui, de la baisse des loyers. «Des adaptations à la baisse peuvent avoir lieu ponctuellement sur certains segments ou certaines localisations, mais il s’agit à mon avis de phénomènes très limités et plutôt à court terme», explique Jean-Bernard Georges, contacté par Allnews. «A plus long terme, la pression inflationniste sur les coûts de construction et de rénovation, notamment en raison de la hausse des coûts des matières premières ainsi que des nouvelles normes énergétiques, aura plutôt tendance à exercer une pression à la hausse sur les loyers», poursuit celui-ci.

«Les courtiers nous signalent aujourd’hui une plus forte demande du volume des espaces par employé»

Notons également la baisse de loyer des surfaces commerciales au troisième trimestre, malgré une demande attendue en hausse des les mois à venir en raison du retour des personnes vers les bureaux et surfaces de ventes. Deux segments dont les loyers ont baissé, respectivement, de 1,2% et 1,3% au second trimestre 2021. d’après les derniers chiffres disponibles de Wüest Partner. Qui souligne néanmoins d’importants écarts régionaux. Sous l’effet de gains de parts de marché du e-commerce, Wüest Partner anticipe pour 2022 des loyers en baisse pour les surfaces de vente éloignées des meilleurs emplacements.

«Les courtiers nous signalent aujourd’hui une plus forte demande du volume des espaces par employé, dans le cadre de contrats de location, reflétant la pratique de la distanciation sociale née de la crise», précise Flavio Lauener. «Dans le cas des espaces commerciaux, cela dépend de leur attractivité, de sorte que les espaces situés dans les macro- et micro-emplacements les plus pauvres et avec un niveau de développement inférieur subiront une pression importante sur les prix, dans la mesure où l’offre augmentera», ajoute-t-il.

En revanche, les investisseurs trouveront probablement leur compte dans le marché des logements en propriété,, où les prix des logements en propriété ont augmenté de 7,3% au troisième trimestre de l’année dernière. La rareté des terrains à bâtir et une demande toujours robuste, qui traverse d’importants changements dans sa structure, sont les principaux facteurs invoqués pour justifier le maintien du statut de valeur refuge dont bénéficie le secteur. «Au point que la concurrence entre des acheteurs tels que les fonds immobiliers et les fonds de pension s’est considérablement accrue, encore que les premiers ne sont pas libres d’acheter à des prix trop élevés», observe Flavio Lauener.

«Une concurrence qui n’est pas moins âpres au sein du résidentiel, caractérisé par des acheteurs particuliers. Avec la perspective de taux d’intérêt toujours très bas pendant très longtemps en raison du COVID, les particuliers tendent à acquérir des biens plutôt qu’à les prendre en location, en particulier dans les centres urbains», poursuit-il. Flavio Lauener insiste sur l’étroitesse bien connue du territoire suisse, où il est particulièrement difficile de trouver un logement, en particulier pour les ménages à revenus moyens.

«Environ 1% du parc fait l’objet de rénovation chaque année, ce qui est faible.»

«C’est ce qui explique la résilience et la relative stabilité du marché résidentiel. Sur ce segment, au moins, il y a peu de chances de voir les prix reculer, à moins d’une augmentation significative des taux d’intérêt, ce qui n’est clairement pas notre scénario», assure-t-il. Les entraves réglementaires, notamment dans un marché comme la France, ou l’insuffisance des niveaux d’épargne des ménages, comme en Italie, par exemple, sont des obstacles que la Suisse n’a pas à surmonter. «Pour un investisseur souhaitant observer une augmentation tendancielle des prix, ces marchés ne présentent pas l’attrait qu’a la Suisse», soutient Flavio Lauener.

De son côté, La Collective de prévoyance Copré entend maintenir une allocation «stable» à l’immobilier suisse cette année et, «malgré son niveau déjà élevé», estime que celui-ci «joue toujours le rôle d'actif refuge» en période de crise. «Ceci s’est encore vérifié pendant la pandémie en 2020 et 2021, où nous avons pu observer une poursuite de la compression des rendements dans le segment «prime» en particulier», remarque Jean-Bernard Geogres, citant l’abondance des liquidités, la persistance des taux négatifs et la recherche d’investissement paraissant sûrs. Mais l’institution veillera à équilibrer les achats d'immeubles existants avec les projets en développement ainsi que les projets de rénovation.

«Spécialement en ce qui concerne le volet de l’efficacité énergétique et de la réduction du CO2, pour lequel nous avons engagé les services d’un partenaire spécialisé», rapporte Jean-Bernard Georges. Selon qui le marché immobilier suisse souffre surtout de sous-investissement dans la rénovation. «Environ 1% du parc fait l’objet de rénovation chaque année, ce qui est faible», rappelle-t-il. «Les nouvelles normes énergétiques et les objectifs de réduction du CO2 devraient provoquer une augmentation de l'activité dans ce domaine à l’avenir. D’une manière générale, le développement est jugé plus risqué que l’achat d’un bien déjà logé, mais il permet également de dégager des rendements un peu supérieurs.»

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