Un été sur les marchés: un rebond alimenté par un changement de récit

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

3 minutes de lecture

Les investisseurs ont commencé à se détourner du risque inflationniste pour se préoccuper davantage du risque de récession.

Depuis la mi-juin, les marchés ont changé simultanément de configuration et de narratif. Les investisseurs ont commencé à se détourner du risque inflationniste pour se préoccuper davantage du risque de récession, alimentant un rebond des marchés presque paradoxal au cours de l’été, pariant déjà sur un changement de posture de la Fed. Ce changement de récit a amené les taux longs à rebaisser et les anticipations d’inflation à fléchir, tandis qu’un rebond des valeurs de croissance (les premières victimes du doublement du taux à 10 ans américain entre mars et juin) s’est opéré. Est-ce durable?

Ce changement de récit a été nourri notamment par une croissance US en repli au second trimestre et par une stabilisation de l’inflation américaine en juillet, ressortant pour la première fois depuis plusieurs trimestres en deçà des attentes. Si on ajoute à cela une saison de résultats très favorable malgré ce contexte économique en berne, on comprend les termes de l’équation de ce rebond estival des actions. Nous retrouvons ainsi le paradoxe classique et presque cynique du «bad news is good news», quand les marchés rebondissent à l’annonce d’une mauvaise donnée économique pariant sur une Fed plus accommodante.

La publication du PIB américain du deuxième trimestre en contraction de 0,9%, a aussi nourri ce changement de récit, qui était déjà lisible dans la forte baisse des indicateurs de confiance des consommateurs. C’est donc presqu’une bonne nouvelle de voir la consommation résister au deuxième trimestre, période au cours de laquelle c’est davantage la baisse de l’investissement immobilier et de stocks des entreprises qui ont pesé. Au passage, l’impact négatif de l’investissement immobilier n’est pas une donnée à négliger et était à prévoir compte tenu de l’envolée du taux d’emprunt à 30 ans (qui a tutoyé les 6% mi-juillet) dégradant fortement la solvabilité des acheteurs dans un marché immobilier élevé.

En parallèle, sur le front de l’inflation américaine, les marchés ont été rassurés par le chiffre du mois de juillet (8,5% YoY en juillet contre 8,7% attendu et 9,1% en juin), même si s’il s’agit à ce stade plutôt d’une stabilisation à un niveau élevé que de la confirmation d’une décrue.

La pérennité du rebond des marchés actions peut être questionnée et présente des sources de vulnérabilité.

Conséquence, presque hasardeuse, sur les marchés: les investisseurs font le pari que les banques centrales et notamment la Fed faibliront dans leur résolution anti-inflationniste devant une dégradation de la croissance et du marché de l’emploi. Ce pari est peut-être prématuré. D’une part, car il met en doute la résolution de la Fed et la priorité absolue accordée à la lutte contre l’inflation même si elle devait conduire à un ralentissement et à des destructions d’emploi. D’autre part, parce qu’il reste à la merci des données économiques, notamment du marché de l’emploi américain, qui continue de montrer des signes presque insolents de vigueur (plus de 500’000 emplois non agricoles créés en juillet, avec en prime une révision à la hausse des créations d’emploi de juin).

Loin de nous l’idée de penser que la Fed se montrera inflexible en cas de dégradation économique plus prononcée. Le message de la conférence de presse de Jerome Powell fin juillet était clair sur ce plan; après des hausses fortes et rapides, quasi systématiques, dictées par la nécessité de remonter les taux à un niveau considéré comme neutre, la Fed entre dans une nouvelle phase de son programme de normalisation, probablement moins rapide et clairement dépendantes des données économiques à venir.

Nous pensons que la Fed confirmera d’ici la fin de l’année un tournant moins «hawkish» mais qu’il est peut-être un peu tôt pour opérer ce changement, dans un contexte où l’inflation reste élevée et où le marché de l’emploi reste encore solide. C’est notamment vrai au niveau des salaires dont la croissance reste supérieure à 5%, et conduit à penser qu’il est encore tôt pour parler d’une dégradation de l’emploi et d’une décrue de l’inflation. Mais les investisseurs ne doivent pas extrapoler ces données de manière excessive. Les cycles précédents montrent que l’emploi s’ajuste toujours avec un effet retard. La tendance de moyen terme et l’adaptation par les entreprises de leurs plans de recrutement à une croissance atone devraient finir par peser sur l’emploi au second semestre. C’est l’une des craintes des observateurs critiques de la Fed, qui reste confiante dans sa capacité à lutter contre l’inflation sans faire entrer l’économie en récession, sur la base de la vigueur actuelle de l’emploi américain. Nous pensons qu’un retournement de l’emploi US devrait finir par se produire et pourrait coïncider avec un virage plus accommodant de la Fed à la fin de l’année.

Au final, cet été a constitué à la fois une surprise sur le plan des créations d’emploi et une confirmation du scénario plus global de stagflation, en forme de paradoxe:

  1. Un changement de récit (du dérapage de l’inflation à la crainte de la récession) et un changement temporaire de régime de marché (rebond des valeurs de croissance, baisse des taux longs)
  2. En parallèle, une poursuite du scénario de stagflation (croissance en berne, inflation persistante qui continue de se diffuser) et de divergence entre les entreprises et les ménages.

Revenons pour conclure à l’orientation des marchés. Nous avions considéré en juin que le contexte était favorable pour renforcer la duration des portefeuilles obligataires et pour renforcer les valeurs de croissance. Mais après plusieurs semaines de hausse, la pérennité du rebond des marchés actions peut donc être questionnée, et présente des sources de vulnérabilité:

  1. Ce rebond s’appuie sur l’hypothèse que la Fed a faibli dans sa volonté de normalisation, et reste donc à la merci de la publication de minutes de la Fed (ou d’un discours à Jackson Hole) plus «hawkish» qu’attendu, ou d’une hausse en septembre accompagnée d’un discours toujours ferme
  2. Il demeure fortement corrélé à la direction des taux longs américains à 10 ans, qui ont baissé de 3,5% mi juin à 2,6% début août, mais qui sont repartis à la hausse depuis lors
  3. Il restera dépendant des résultats d’entreprises américaines (qui ont continué de surprendre positivement un deuxième trimestre pour 75% d’entre elles), il faudra donc être réactif pendant la saison de résultats du troisième trimestre début octobre.

A lire aussi...