Du resserrement monétaire au resserrement énergétique?

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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L’été sera-t-il aussi chaud sur les marchés que sur les plages et dans nos villes suffocantes?

Alors que notre consommation de gaz est entrée dans des mois de basses eaux où les stocks sont généralement reconstitués, le spectre d’une fermeture du robinet russe est venue ajouter une source supplémentaire de stress pour les marchés, déjà marqués par le contexte de stagflation et de resserrement monétaire. Même si la fermeture du pipeline Nordstream 1 n’a été finalement que temporaire, cet évènement nous rappelle la double vulnérabilité géopolitique et industrielle de l’Europe. Si la Russie n’a pas d’intérêt à se priver durablement de ces rentrées de devises, elle dispose d’une épée de Damoclès à l’encontre de l’Europe, une arme de dissuasion énergétique qui devrait continuer d’être agitée et qui permet aussi de maintenir des prix élevés de l’énergie.

Cette nouvelle saga entretient et amplifie un scénario de stagflation désormais devenu consensuel. En réalité les économistes et investisseurs pondèrent essentiellement deux scénarios sur la zone Euro: un scenario de ralentissement fort avec possibilité d’une contraction limitée du PIB sur un ou deux trimestres, et un scenario plus sévère avec une entrée en récession fin 2022 ou début 2023. Le point de bascule entre ces deux scénarios réside précisément dans le maintien ou non des approvisionnements en gaz. Un scenario de ce type devrait contribuer à maintenir un niveau d’inflation élevé jusqu’au printemps 2023, avec une décrue peut être plus lente de l’inflation l’année prochaine. Fait nouveau, les anticipations d’inflation à 2 ans sont désormais bien plus élevées en Allemagne qu’aux Etats Unis. Quel renversement de perspective après une décennie d’inflation proche de zéro en Europe!

Ce contexte complexifie encore davantage la tâche pour la BCE, prise dans un dilemme entre lutte contre inflation et gestion du risque de fragmentation. Rationnellement cela devrait la conduire à inverser la doxa qui prévalait jusqu’il y a peu à Francfort (arrêt des achats d‘actifs puis remontée modérée et très progressive des taux); en effet dans ce contexte, il semble aujourd’hui plus pertinent de remonter les taux rapidement en terrain positif tout en poursuivant les achats d’actifs pour lutter contre la remontée des primes de risque souveraines. C’est tout l’enjeu des discussions en cours, avec une annonce attendue par le marché d’un dispositif anti-fragmentation d’achats d’actifs.

Paradoxalement, cet assombrissement des perspectives macroéconomiques ne se traduit pas encore par un abaissement des attentes de résultat d’entreprises, qui ont habituellement tendance à s’ajuster avec un certain retard. C’est un élément de plus à ajouter à la longue liste des divergences dans ce régime si atypique. Pour le moment, les messages des managements d’entreprises demeurent étonnamment confiants dans la résilience des résultats, tant au niveau des carnets de commande que des marges, avec une bonne capacité à transférer les hausses de cout dans les prix. Ceci doit cependant nous alerter à double titre. D’une part, parce que cela confirme la formation d’une spirale de prix (le pricing power des entreprises avait été un bon signal inflationniste en 2021). D’autre part, parce que l’affaiblissement de la tendance de croissance et les baisses de pouvoir d’achat vont forcément impacter les volumes de ventes, avec les secteurs de consommation et de la distribution en première ligne.

Après le choc causé par le conflit en Ukraine fin février, les marchés actions sont passés d’une correction engendrée par la hausse des taux longs à un ajustement des valorisations (correction d’avril) causé par les craintes de récession (correction de juin), et l’enjeu de l’été est de savoir si ce sont désormais les sujets de marges et de bilan qui prendront le relais en tête de liste des inquiétudes. Ceci ne fait que renforcer notre conviction affirmée depuis mai sur les valeurs de qualité, et le retour sur la technologie profitable et certains secteurs défensifs après avoir privilégié la value depuis le début 2021. Les valeurs de dividende continuent aussi de tirer leur épingle du jeu dans ce contexte de recherche de rendement supérieur à l’inflation.

Une bonne nouvelle dans ces marchés difficiles: le retour en grâce des actions chinoises, conviction structurelle de notre maison qui a été maintenue dans les portefeuilles malgré un cadre d’investissement qui a été largement renouvelé depuis un an. Plus largement, les actifs émergents constituent une bonne source de diversification dans ce contexte, en dépit d’un dollar très fort. Beaucoup de pays émergents comme développés aimeraient d’ailleurs voir un dollar plus bas, notamment face au phénomène d’inflation importée par la faiblesse de leur devise. Impossible de dire à ce jour si l’histoire de répétera (vers un nouvel accord du Plaza comme en 1985?), mais cela fait partie des éléments à suivre dans les mois à venir et qui pourraient impacter la posture de la Fed, si sa politique de normalisation forcée devenait destabilisante pour le reste du monde.

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