Depuis quelques jours, les probabilités de récession sont remontées, conduisant à une amorce de détente sur les taux longs.
De nombreux investisseurs souhaitent probablement remonter le cours du temps de quelques mois et ajuster rétroactivement leurs portefeuilles pour éviter les deux grandes corrections des derniers mois: celle sur les obligations d’Etat et celle sur les valeurs de croissance. Rétrospectivement, un enseignement de cette correction réside dans la difficulté à rester lucides sur la cherté des marchés, et à résister à l’idée que le futur sera une poursuite du présent. Ceci est d’autant plus vrai dans une année dont le scénario a été remis en cause par le conflit en Ukraine. Un risque tout aussi important serait de penser que l’inflation va continuer à augmenter et que les banques centrales sont revenues au logiciel de la Fed de la fin des années 1970.
L’incertitude élevée et le malaise provoqué par les moins-values peuvent conduire autant à une paralysie des investisseurs qu’à des décisions de nature émotionnelle consistant à capituler. C’est souvent ce qui se passe après des baisses de 20%, le fameux seuil de «bear market» qui traduit bien le passage de l’optimisme au pessimisme. Ce risque de capitulation constitue en 2022 le pendant de la peur de rater une tendance haussière (FOMO ou «fear of missing out» qui a dominé les marchés en 2021. Pour éviter le double piège émotionnel de la capitulation et de la précipitation, mieux vaut tenter de décoder l’environnement dans lequel nous sommes.
Au cours des dernières semaines nous avons assisté à une alternance et une concurrence entre deux récits qui sont en fait les deux faces d’une même pièce: d’un côté, l’inflation et la normalisation des politiques monétaires et de l’autre la crainte de la récession. Jusqu’à début/mi-mai, les marchés ont été principalement marqués par des données d’inflation à nouveau au-dessus des attentes et par un ton plus déterminé des banques centrales qui a nourri une remontée des taux longs. Paradoxalement, les anticipations d’inflation future ont corrigé, traduisant l’effet escompté du ralentissement et du resserrement monétaire. Ceci a conduit à une remontée des taux réels, ce qui a affecté autant les valeurs de croissance que l’or. Mais depuis quelques jours, les probabilités de récession sont remontées, conduisant à une amorce de détente sur les taux longs.
Cet affrontement entre récit inflationniste et récit récessif est aussi entretenu par la divergence importante entre d’un côté les signaux de dégradation du cycle économique et de l’autre les résultats d’entreprises qui continuent de surprendre par leur résilience. On peut y voir un parallèle avec la divergence qui existe entre les indicateurs d’activité (PMI) qui se stabilisent à des niveaux élevés et les indicateurs de confiance des consommateurs en berne, qui sont impactés par la baisse du pouvoir d’achat des ménages. Tout ceci confirme que le choc actuel est davantage supporté par ces derniers que par les entreprises, qui finiront probablement par en sentir l’effet sur leurs volumes de ventes. Cette résurgence du récit récessif conduit logiquement à des changements de positionnement de marché, avec une meilleure performance des secteurs défensifs au détriment de la croissance et de la Value. Il serait tentant d’y voir un point d’entrée sur les valeurs de croissance après six mois de correction.
Le signal nous sera sans doute donné par les banques centrales. Si la Fed devait adoucir son discours dans les prochains mois face au risque d’un ralentissement économique trop prononcé, il est probable que les investisseurs reviennent sur ces valeurs. Ce moment sera probablement aussi synchronisé avec un possible fléchissement du dollar, longtemps annoncé mais difficile à imaginer tant que la Fed durcit le ton, mais qui pourra se produire si la Fed signale une inflexion de son cycle de resserrement et que la Banque centrale européenne (BCE) sort des taux négatifs. Cette sortie anticipée des taux négatifs est au moins un point positif ce que les investisseurs peuvent retenir dans ce contexte anxiogène, et qui signale autant le retour du portage obligataire, tandis que la correction des marchés actions permet de reconstituer des taux de rendement plus attractifs dont les investisseurs ont besoin pour lutter contre l’érosion du capital produite par l’inflation.