Risques géopolitiques et de taux d’intérêt: quel impact sur les actifs?

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Le spectre d’une invasion de l’Ukraine par la Russie a accentué l’anxiété d’investisseurs qui redoutaient déjà une hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis.

© Keystone

Le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a déclaré, lors d’une conférence de presse, que le président russe Vladimir Poutine était susceptible d’ordonner à ses troupes d’envahir l’Ukraine à tout moment. Il a invité les ressortissants américains à quitter l’Ukraine dès que possible. Le Royaume-Uni en a fait de même, invoquant le risque d’incursion militaire. Le gouvernement ukrainien a demandé à Moscou des précisions sur la nature des manœuvres militaires à la frontière russo-ukrainienne.

Le ballet diplomatique s’est ensuite poursuivi sans aboutir à des résultats concrets. Le président des Etats-Unis, Joe Biden, s’est entretenu avec son homologue russe Vladimir Poutine. Il a déclaré que les Etats-Unis et ses alliés se tenaient prêts à «réagir avec force» et qu’une invasion aurait «un coût très important» pour la Russie. Joe Biden a également souligné que les Etats-Unis étaient toujours disposés à rechercher une solution diplomatique tout en se préparant à d’autres scénarios.

Comment interpréter la situation?

Les parties impliquées semblent faire de la surenchère sur les deux tableaux, à savoir la pression et la diplomatie. Dans le même temps, Vladimir Poutine a obtenu le soutien explicite de Pékin contre une poursuite de l’élargissement de l’OTAN.

Le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz se sont tour à tour rendus à Moscou. Dans la foulée, les signes de désescalade se sont accumulés.

La volatilité reste marquée en raison de la persistance d’une inflation américaine plus forte que prévu et des tensions persistantes en Europe de l’Est.

Dans le scénario privilégié de la Recherche d’UBS, la diplomatie finira par aboutir à une détente. Cela pourrait prendre plusieurs mois pendant lesquels on ne peut exclure des poussées de fièvre comme celle qu’on connaît actuellement. Néanmoins, on peut estimer que les deux parties ont fini par réaliser qu’un conflit militaire aurait un coût économique et politique prohibitif. Explications.

  1. Pour la Russie, un durcissement des sanctions occidentales aurait sérieusement nui à ses perspectives de croissance à long terme. En outre, cela pourrait rapidement miner la confiance de la population russe, comme le montrent les manifestations de 2020 en Biélorussie, de début 2021 en Russie et de ce début d’année au Kazakhstan.
  2. Il y aurait également de sérieuses conséquences pour l’Union européenne dans la mesure où la Russie représente près de 40% de ses importations de gaz et 30% de ses importations de pétrole. Quant aux Etats-Unis, la question de la sécurité en Europe détourne l’attention de l’administration Biden, concentrée jusque-là sur la relance de l’économie américaine. Et ce alors que la cote de popularité de Joe Biden s’effrite et que les prix de l’énergie sont déjà élevés.
  3. Cela dit, on ne peut complètement exclure une escalade militaire et l’annonce de nouvelles sanctions, d’autant que, par le passé, les considérations économiques et politiques n’ont pas toujours empêché les conflits. En revanche, il est peu probable que les flux énergétiques soient perturbés, y compris en cas d’invasion militaire. En Russie, le secteur de l’énergie représentait, en 2019, près de 20% du PIB et 40% des recettes fiscales. Par conséquent, une longue interruption des exportations d’énergie vers l’Europe nuirait sérieusement à l’économie russe. On ne peut exclure un tel scénario mais il semble de moins en moins probable.
Que doivent faire les investisseurs?

Depuis le début de l’année, la volatilité des marchés s’est accentuée en raison d’un certain nombre de facteurs: l’inquiétude quant à l’impact du variant Omicron, le spectre de la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, ainsi que le risque de perturbation des importations d’énergie en provenance de Russie. Même si l’inquiétude inspirée par Omicron s’est atténuée, la volatilité reste marquée en raison de la persistance d’une inflation américaine plus forte que prévu et des tensions persistantes en Europe de l’Est.

La Recherche d’UBS table toujours sur une décrue de l’inflation et sur une atténuation des tensions géopolitiques dans les mois à venir. Cela permettra aux marchés de reprendre leur ascension et aux investisseurs de se recentrer sur la bonne tenue des résultats des entreprises.

Les investisseurs doivent toutefois réfléchir à la manière de gérer les risques baissiers. Ils peuvent se positionner dans l’optique du scénario de base d’UBS, à savoir celui d’une forte croissance mondiale, tout en se préparant à des scénarios plus pessimistes. Tour d’horizon des mesures à envisager.

Les valeurs décotées devraient surperformer les valeurs de croissance, qui sont les plus pénalisées par la hausse des taux.

1. Se diversifier et rester focalisé sur le long terme

Il convient de se souvenir que les corrections engendrées par les soubresauts géopolitiques sont généralement éphémères pour les portefeuilles bien diversifiés. Par conséquent, les investisseurs qui diversifient leur portefeuille et qui suivent un plan d’investissement à long terme devraient, en définitive, profiter d’une atténuation des tensions géopolitiques et mieux résister en cas de concrétisation des scénarios pessimistes.

2. Envisager de se couvrir contre les risques géopolitiques, par exemple avec les matières premières

Lorsque les événements géopolitiques s’accompagnent d’un choc pétrolier lié à l’offre, les marchés ont tendance historiquement à essuyer des corrections plus importantes dont ils mettent plus de temps à se relever.

Dès lors, les matières premières et les actions du secteur de l’énergie constituent une option attrayante car elle permet aux investisseurs de couvrir leur portefeuille. Une rupture d’approvisionnement ferait sans doute grimper les prix de l’énergie. En outre, indépendamment de la situation en Ukraine, les cours du pétrole continueront sans doute d’augmenter cette année, portés par une augmentation de la demande conjuguée à une offre quelque peu limitée.

Parmi les autres «couvertures géopolitiques», on trouve notamment les investissements dans la cybersécurité (en cas de conflit, les Etats impliqués pourraient se livrer à une cyberguerre) et les positions courtes sur le rouble russe. On peut s’attendre à ce que le taux de change USDRUB grimpe à 80, voire 90, en cas d’escalade, mais la prime de risque intégrée au rouble est déjà significative. Par conséquent, une couverture pourrait s’avérer très coûteuse si jamais les tensions s’atténuent. Une nouvelle agression en Europe pourrait également favoriser une valeur refuge traditionnelle comme le yen au détriment de l’euro.

3. Se préparer à la hausse des taux

Les investisseurs feraient bien d’atténuer les risques potentiels liés au resserrement de la politique monétaire aux Etats-Unis en privilégiant les secteurs susceptibles de surperformer en cas de hausse des taux d’intérêt. Par exemple, le secteur de la finance a généralement le vent en poupe lorsque les taux augmentent car cela se traduit par une hausse du revenu net des intérêts.

Par ailleurs, les valeurs décotées devraient surperformer les valeurs de croissance (technologiques, par exemple), qui sont les plus pénalisées par la hausse des taux. Sur les marchés obligataires, les prêts de premier rang américains («senior loans») confèrent une certaine protection contre la hausse des taux car leurs taux d’intérêt sont variables. Le dollar américain profitera aussi certainement du resserrement de la politique de la Réserve fédérale américaine.

4. Acheter les titres appelés à surfer sur la croissance mondiale

Malgré la récente volatilité, il ne faut pas oublier que la croissance du PIB et des bénéfices des entreprises reste soutenue. C’est pourquoi la Recherche d’UBS considère que les marchés d’actions ont encore une marge de progression d’ici la fin de l’année.

Même si certaines des recommandations tactiques, comme la préférence pour les actions de la zone euro, peuvent être mises à mal en cas d’escalade militaire, les secteurs de l’énergie et de la finance, les valeurs décotées, ainsi que les matières premières sont bien positionnés pour profiter de la solide croissance économique et sont relativement immunisés contre les risques de marché primaires.

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