Premier impact de la guerre sur le moral des Européens

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Les cygnes sont censés être blancs. Depuis le début de la décennie, ils ont tendance à tirer sur le noir.

Après le choc-COVID, nous voici confrontés au choc-Poutine, deux «cygnes noirs». En raison de sa dépendance énergétique, l’Europe est de loin la zone la plus exposée à ce dernier choc. L’envolée soudaine des prix de l’essence montre que l’onde se répercute immédiatement sur le budget des ménages, de quoi les pousser à réduire leurs dépenses réelles. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, l’exposition des exportations de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie a baissé, mais l’Europe de l’Est gardait des liens commerciaux notables avec la zone en conflit. Elle recueille aujourd’hui la majorité des réfugiés ukrainiens fuyant la guerre. Cela ne peut que causer des perturbations à l’activité. Ces pays étant un maillon des chaînes de valeur, cela transmet le choc au reste du continent. Les enquêtes PMI, IFO en Allemagne, Insee en France ont donné un premier aperçu de l’impact sur le climat des affaires. En février, avant la guerre, ces indices étaient au vert. Dans les services, ils tendaient à s’améliorer par suite du reflux de la vague Omicron. Il y a de la marge avant d’atteindre le seuil critique de récession. Mais le sens de la correction ne fait guère de doute. L’industrie (secteur globalisé) et le commerce (secteur corrélé au moral des ménages) sont les plus à risque dans la crise présente.

L’Allemagne en particulier, de par sa proximité géographique, sa forte dépendance au gaz russe et le poids de son industrie, est plus exposée que la France aux perturbations causées par la guerre en Ukraine. L’économie avait sous-performé en 2021 du fait des problèmes logistiques résultant de la crise COVID. Il y avait donc un plus grand potentiel de rattrapage en 2022. Les derniers chiffres de confiance et d’activité sur janvier et février étaient d’ailleurs encourageants. Hélas, cette nouvelle crise remet en question ce scénario. De nombreuses branches industrielles ont déjà fait savoir qu’elles craignaient pour la sécurité de leurs approvisionnements et redoutaient le renchérissement de leurs coûts de production.

Une perspective d’apaisement immédiat dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne semble pas d’actualité.

Effectivement, en un mois, les prix à la pompe se sont envolés, avec des hausses s’étalant entre +20% et +40% selon les pays et les types de carburant. Par ailleurs, la guerre en Ukraine, avec ses images déchirantes, n’a rien pour rassurer. Le moral des ménages se repliait modestement depuis plusieurs mois, il devrait cette fois faire un plongeon.

Les Etats-Unis, proche de l’indépendance énergétique, sont, quant à eux, moins exposés que l’Europe au choc ukrainien. Les indices manufacturiers régionaux déjà parus ont donné des signaux contradictoires (négatif à New York, positif à Philadelphie).

Réunions et interventions aux sommets

Une perspective d’apaisement immédiat dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne semble pas d’actualité. Des discussions ont lieu entre les belligérants mais dans une guerre qui se joue aussi sur le terrain de la communication, il est difficile de démêler le vrai du faux. Cela entretient le climat d’incertitude sur les marchés (capitaux, matières premières). Par rapport aux pics d’il y a deux semaines, les prix du pétrole et du gaz ont beaucoup reflué mais restent plus élevés que la normale. Le choc d’offre est bien parti pour durer, ce qui accentue les tensions inflationnistes et dégrade les conditions d’activité. Le président américain Joe Biden était présent en personne au sommet extraordinaire de l’Otan qui se tient à Bruxelles depuis hier. Ce jeudi également s’ouvrait le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Etaient aussi prévues de nombreuses interventions publiques des banquiers centraux européens (Christine Lagarde, Philip Lane, Fabio Panetta, Joachim Nagel) et américains (Jerome Powell, John Williams, James Bullard, etc.) tout au long de la semaine.

Avant la guerre en Ukraine, la Banque d’Angleterre prévoyait un pic d’inflation annuelle à 7,3% en avril contre 5,5% en janvier (une hausse est anticipée vers 6% en février). Après ce choc, la banque d’Angleterre a indiqué que le choc serait plus fort et plus persistant. Il est prévu maintenant une inflation autour de 8% au deuxième trimestre. La Banque d’Angleterre a monté ses taux pour la troisième fois à la suite, accompagnant cette décision d’une certaine prudence quant aux hausses futures pour ne pas trop peser sur les perspectives d’activité.

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