Perspectives économiques après le choc-Poutine

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Avec des perspectives de croissance abaissées à 2,8% en zone euro, une quasi-stagnation se profile à l’horizon.

La guerre en Ukraine introduit une dose considérable d’incertitude. Tout d’abord, la suite du conflit est difficile à cerner tant dans son intensité que sa durée. Ensuite, les belligérants pèsent énormément dans le commerce mondial de pétrole, de gaz, de produits agricoles, d’engrais, de certains métaux. L’un et l’autre sont affaiblis. L’agresseur car il est justement soumis à de sévères sanctions, l’agressé car il subit son lot de destructions et connaît un immense déplacement de population fuyant les bombardements. Tous les marchés de matières premières sont secoués à des degrés divers.

Enfin, le choc-Poutine s’ajoute au choc-COVID, qui lui-même n’est pas totalement surmonté, en particulier en Chine. Cela prolonge les perturbations logistiques et accroît les tensions inflationnistes sans que la réaction de politique économique soit, cette fois, aussi accommodante. Du fait de sa proximité géographique et de sa dépendance énergétique à la Russie, l’Europe est la zone la plus exposée. Vu la hausse des prix de de l’énergie, le risque de rationnement et le resserrement des conditions financières, les prévisions de croissance 2022 ont été abaissé de 1,5 points en zone euro, à 2,8%, et de 0,5 point aux Etats-Unis, à 3,2%. Un recul du climat des affaires et de l’activité industrielle est probable dans les prochains mois et les dépenses réelles des ménages sont amenées à ralentir.

C’est peu dire que le degré d’incertitude qui tendait à se réduire par à-coups depuis la première vague du COVID a soudainement fait un bond.
Le tunnel sans fin

Il y a un mois, l’économie mondiale avait en vue le bout du tunnel de la crise COVID. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, voilà qu’elle entre dans un autre tunnel d’incertitudes et de peines diverses. Dans les deux cas, le choc est exogène; il n’est pas dû à des excès financiers ou des déséquilibres macroéconomiques; il est de nature à perturber les flux commerciaux. Les restrictions visant à réduire l’exposition au risque COVID avaient ainsi durablement perturbé les chaînes logistiques, affectant tant les quantités échangées que les prix. La guerre russo-ukrainienne ne peut que prolonger et aggraver ce type de perturbations, à commencer par les marchés de l’énergie. C’est peu dire que le degré d’incertitude qui tendait à se réduire par à-coups depuis la première vague du COVID a soudainement fait un bond.

Avant la guerre, la vague du variant Omicron était en fort recul, permettant la levée des dernières restrictions sanitaires en Europe et aux Etats-Unis. Les enquêtes de climat des affaires signalaient un regain de confiance dans les services et un haut niveau d’optimisme dans le secteur manufacturier. Les conditions d’emploi continuaient de s’améliorer, au point d’entraîner de fortes tensions salariales aux Etats-Unis. Quoique toujours élevées, les contraintes d’offre avaient donné quelques signes d’apaisement au cours des derniers mois. On avait lieu de croire que le pic des pénuries était passé et, par suite, que les tensions inflationnistes allaient vite atteindre leur maximum avant de refluer. Les principales banques centrales avaient amorcé un virage restrictif (BoE), s’apprêtait à le faire (Fed) ou y songeait sérieusement (BCE).

Des répercussions non négligeables

La guerre détruit le capital physique, le capital humain, crée des barrières aux échanges, toutes choses ayant un coût énorme pour les belligérants. Il y a quatre canaux par lesquels elle peut se transmettre au reste du monde. Tout d’abord, par la perte des marchés d’exportation. La zone en guerre représente pour l’UE des débouchés pesant en moyenne moins d’un point du PIB, et pratiquement rien pour les Etats-Unis. Le deuxième canal est celui de l’exposition financière. Une part non négligeable de l’activité de certaines banques européennes est liée à la Russie mais, à l’échelon agrégé, cela représente moins de 1% des actifs pondérés. Les détenteurs étrangers d’actifs russes subiront de lourdes pertes mais il n’y aura pas de réverbérations systémiques comme ce fut le cas en 1998 après la dévaluation du rouble et le défaut sur la dette. Le troisième est celui du durcissement des conditions financières en réaction au choc d’incertitude. Mais c’est le quatrième canal de transmission qui est, de loin, le plus inquiétant. Ce dernier concerne en effet les marchés de matières premières, et surtout l’énergie. Dans l’histoire, les crises de l’énergie, et notamment du pétrole, sont une cause fréquente de récession.

L’hypothèse de base est désormais celle d’un prix de l’énergie durablement plus élevé et la menace chronique d’un rationnement.

Les pays occidentaux ont sanctionné la Russie dans des proportions inédites. La dégradation des relations avec la Russie est durable, ce qui amène l’Europe à revoir sa politique de défense et sa stratégie énergétique. Environ 40% de ses besoins en gaz et 20% de ceux en pétrole sont couverts par des importations russes. Les dirigeants européens affirment désormais vouloir réduire cette dépendance mais il faudra, pour ce faire, investir abondamment dans l’infrastructure et surtout beaucoup de temps. Si l’UE décidait de soudainement bannir le gaz russe ou la Russie de fermer le robinet, la production serait gravement désorganisée. Une substitution partielle est possible mais impliquerait une hausse des prix pour attirer les livraisons de LNG vendues dans d’autres régions du monde.

Les marchés de l’énergie affichent une volatilité exceptionnelle mais l’hypothèse de base est désormais celle d’un prix de l’énergie durablement plus élevé et la menace chronique d’un rationnement, ce qui constitue un choc négatif pour le secteur privé. Plusieurs pays ont déjà annoncé des mesures pour atténuer l’impact, sous la forme de transferts aux ménages ou d’aides aux secteurs le plus exposés; une révision du modèle de tarification de l’électricité est aussi évoquée. Comme durant la pandémie, mais à un degré moindre, les comptes publics seront utilisés pour amortir le choc. A la différence du choc Covid, la politique monétaire s’annonce moins coopérative. La BCE, effrayée par l’inflation, entend stopper sans trop tarder ses achats d’actifs. Aux Etats-Unis, où le marché du travail est en surchauffe et l’économie peu exposée au choc-Poutine, la Fed a engagé un cycle de hausse de taux directeurs beaucoup plus rapide que prévu.

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