Peut-on terrasser l’inflation sans casser la reprise?

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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L’inflation est amenée à se modérer en 2022 mais ne reviendra pas sur la cible souhaitée de 2% avant 2023.

Depuis des décennies, dans les pays développés, l’opinion publique avait évacué l’inflation de ses préoccupations ordinaires. En 2021, la forte reprise de l’économie globale a brutalement ramené la question de l’inflation au centre de l’attention des ménages, des marchés, des banquiers centraux, suscitant un vif débat (toujours pas clos) sur ses causes, sa persistance et l’éventuelle réaction de politique économique. Au premier ordre, la hausse des prix est le contrecoup des mesures de stimulation prises pour échapper au choc COVID de 2020. C’est la combinaison d’une demande de biens chauffée à blanc, d’une offre en partie inélastique et perturbée par les aléas sanitaires, de stocks très bas et de comportements typiques des situations de pénurie. 

Sur ces effets directs, sans doute en partie réversibles, viennent se greffer des effets induits qui peuvent prolonger le choc d’inflation, par exemple si la hausse des prix attise les revendications salariales et si les anticipations d’inflation à moyen terme dérapent vers le haut. Il y a peu de signaux en ce sens en zone euro, il y en a plusieurs aux Etats-Unis. Les banques centrales doivent se mettre en position de pouvoir réagir sans délai si les goulets d’étranglement ne s’apaisent pas. La Fed a basculé du côté d’un resserrement précoce de sa politique monétaire, se laissant l’option si besoin d’un cycle agressif de hausse des taux. En somme, l’inflation est amenée à se modérer en 2022, soit de manière spontanée, soit par suite d’un coup de frein monétaire, mais elle ne reviendra pas sur la cible souhaitée de 2% avant 2023.

Etats-Unis: la réaccélération

L’économie américains a réaccéléré au quatrième trimestre 2021, grâce à la vigueur des dépenses de consommation des ménages. La vague COVID de l’été (variant Delta) n’a pas affaibli de manière durable le rythme d’activité. Après un éphémère coup de froid, les conditions d’emploi se sont à nouveau affermies durant l’automne: baisse du chômage, gains salariaux robustes, hausse du turnover de la main-d’œuvre. La vague COVID de l’hiver (variant Omicron) affecte une économie en train de réaccélérer. A ce stade, elle n’a pas de trace visible sur les données économiques à haute fréquence, mais le degré d’incertitude s’en trouve rehaussé. 

L’inflation du CPI approche 7% sur un an, un chiffre qu’aucun banquier central américain en activité n’a jamais connu.

Le choc d’inflation est plus fort, plus diffus et plus persistant qu’il y a quelques mois. Plus fort car l’inflation du CPI approche 7% sur un an, un chiffre qu’aucun banquier central américain en activité n’a jamais connu. Plus diffus, parce qu’il ne résulte plus seulement des distorsions exceptionnelles frappant quelques marchés comme ceux des véhicules et de l’énergie. Et plus persistant, avec un reflux de l’inflation qui est décalé dans le temps et prolonge ainsi le dépassement de la cible de la Fed. La banque centrale doit donc prouver sa crédibilité anti-inflationniste.

Bien que les ménages se plaignent de la dégradation du climat de dépenses et de la perte de pouvoir d’achat du revenu, il n’y a pas à ce jour d’impact négatif visible sur le volume de leurs dépenses. A l’échelon agrégé, les ménages US sont sortis de la pandémie avec une hausse du revenu disponible (transferts du gouvernement), une hausse de leur richesse (actifs boursiers et immobiliers) et une amélioration de leur bilan (remboursement des crédits revolving). 

Zone euro: l’amélioration progressive

La nouvelle vague pandémique a conduit plusieurs gouvernements à réinstaurer des restrictions comme l’encouragement au télétravail, la réduction des horaires de commerce voire le confinement des personnes non vaccinées. Ces restrictions sont d’une intensité bien moindre qu’en 2020. Il n’y a pas pour l’instant de fléchissement notable de la mobilité des personnes. La couverture vaccinale n’est pas complète mais elle protège une très large partie de la population à risque. L’obligation de plus en plus répandue d’un pass vaccinal est une incitation très forte à la vaccination.

Les conditions économiques en zone euro se sont nettement affermies depuis la mi-année, d’où une révision en hausse des prévisions du consensus. Le PIB réel est prévu au quatrième trimestre 2021 juste à son niveau pré-pandémie (quatrième trimestre 2019). Les différences entre pays tiennent surtout à certaines spécialisations sectorielles, ainsi qu’à des écarts dans les taux de vaccination. L’Allemagne pâtit bien plus que ses voisins des pénuries d’intrants qui pénalisent beaucoup le secteur automobile, l’Espagne soufre d’une plus grande pression sur le secteur touristique. 

La zone euro est loin de connaître les mêmes tensions qu’aux Etats-Unis.

Les conditions du marché du travail s’améliorent, avec un chômage en baisse et un volume des heures travaillées en hausse. La zone euro est loin de connaître les mêmes tensions qu’aux Etats-Unis. Les entreprises signalent des difficultés de recrutement, mais il n’y a pas de grande vague de démissions, ni de dérapage des salaires. Le choc d’inflation est d’autant plus frappant que le risque de déflation avait été prédominant en zone euro dans la décennie prépandémie. Il reflète très largement un emballement des prix de l’énergie, qui est pour partie lié à la réouverture des économies et pour partie à des perturbations dans l’approvisionnement en gaz causées par les tensions avec la Russie au sujet de l’Ukraine et du projet Nord Stream 2.

Chine: le ralentissement économique

L’économie chinoise continue de ralentir, sur fond de fortes restrictions anti-COVID et de purge du secteur immobilier. Depuis l’été, les perspectives ont été revues en baisse en réponse aux difficultés financières des promoteurs immobiliers et au durcissement des réglementations dans de nombreux secteurs. Le gouvernement a exprimé son désir de traiter le problème de la bulle immobilière et de réorienter leur «modèle» de croissance vers un développement plus tourné vers l’intérieur. Les tensions avec les Etats-Unis dans de nombreux domaines, comme la technologie, la géopolitique et le soft power, ne sont pas étrangères à cette évolution. La Chine a tiré le maximum de bénéfices de son intégration à l’économie mondiale après son entrée à l’OMC, sans délivrer ce que les autres pays attendaient d’elle: ouverture des marchés, libéralisation politique. Un freinage ou une baisse de dépenses d’investissement financées à crédit implique une croissance plus faible, attendue au-dessous de 5% en 2022. 

Dernièrement, la production industrielle a donné des signes de stabilisation, voire de légère reprise, après avoir subi plus tôt cette année des restrictions sur la fourniture d’énergie, les perturbations de la chaîne logistique et de fortes contraintes sanitaires. A quelques mois des Jeux Olympiques d’hiver, qui subissent un boycott diplomatique de plusieurs pays occidentaux, les autorités ne veulent prendre aucun risque sur l’évolution de l’épidémie. Cela pèse sur la demande des ménages, qui continue de s’affaiblir. 

Face à ces divers risques baissiers, tant cycliques qu’organiques, il semble que les autorités soient prêtes à des mesures d’assouplissement de la politique économique pour assurer la «stabilité». La PBoC a déjà agi en ce sens dernièrement en baissant le taux RRR et en injectant des liquidités dans l’économie.

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