Risques sur la reprise européenne

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La première phase de la relance s’est conclue plus rapidement que prévu mais la suite s’annonce délicate.

Depuis le creux du cycle passé, au printemps 2020, les pays européens connaissent une reprise forte. Le retour du PIB réel sur son niveau pré-crise est accompli dans la plupart des grands pays européens. Ce redressement, plus rapide qu’anticipé, allège les problèmes qui sont l’héritage normal des récessions, à savoir la faiblesse de l’emploi et du crédit et la pression sur les bilans des ménages, entreprises ou banques. Les conditions pour que la reprise se poursuive en zone euro sont à première vue toutes réunies mais il va de soi que les rythmes de croissance vont se modérer. Certains facteurs de risque pourraient altérer le cycle européen en 2022. 

La pandémie

Le variant Omicron vient rappeler combien les conditions économiques restent tributaires pour partie des conditions sanitaires. Avant même Omicron, l’Europe était aux prises avec une nouvelle vague de cas positifs concentrée sur le «cœur» de la zone euro (Allemagne, Pays-Bas, Autriche). Les gouvernements ont répondu en durcissant la liberté de circulation de la population pour freiner la circulation du virus: confinement total ou ciblé, réduction des heures d’ouverture des magasins, obligation du télétravail, extension du pass vaccinal. La résurgence de la pandémie, du fait des restrictions de circulation qu’elle implique, est par principe négative pour l’activité. 

La vaccination et l’immunité naturelle acquise en deux ans ont réduit la gravité et la létalité du virus.

Il faut cependant prendre la bonne mesure tant de la vague pandémique que de la sévérité des restrictions. Le nombre de cas positifs aujourd’hui n’a pas les mêmes répercussions sur le nombre de «vrais» malades ni sur le nombre de décès qu’au début de la crise. La vaccination et l’immunité naturelle acquise en deux ans ont réduit la gravité et la létalité du virus. Les récentes restrictions sont aussi un moyen de coercition utilisé par les gouvernements pour accroître le pourcentage de la population vaccinée ou ayant reçu un booster. De nombreux secteurs ont, eux, appris à opérer dans des conditions quasi normales en distanciel ou en respectant les barrières sanitaires. Chaque nouvelle vague a eu un effet négatif décroissant sur l’activité économique. Les dernières restrictions tombent mal pour le transport et les loisirs, surtout à l’approche de Noël. Selon les pays, leur impact direct sur la croissance sera neutre à modérément négatif au quatrième trimestre 2021.

Les pénuries

On manque de tout, nous dit-on. De matières premières, de biens intermédiaires indispensables à la production de produits manufacturés, de capacités logistiques pour acheminer ces biens vers les zones de consommation. Des dizaines de cargos font des ronds dans l’eau devant les grands ports de commerce dans l’attente de pouvoir décharger leurs containers. Dans tous les pays développés, les entreprises signalent des difficultés de recrutement, l’allongement des délais de leurs fournisseurs ou des pénuries de biens d’équipement. Les enquêtes de la Commission européenne montrent que ce phénomène s’est accentué partout en zone euro en 2021, surtout en Allemagne. Si les firmes n’ont pas les facteurs de production suffisants, leur activité devra être bridée. C’est là un autre risque pour la reprise.

Il faut ici faire la part entre les perturbations ponctuelles et les déséquilibres à caractère structurel. L’économie mondiale est entrée dans la pandémie avec des stocks déjà bas et en est sortie avec un boom de la demande de biens. Ce choc de demande n’est pas reproductible chaque année. En économie capitaliste, la capacité d’offre est souvent inélastique à court terme mais peut être étendue par des investissements de capacités. On manque de puces en 2021 mais il ne faut pas exclure qu’on en produise trop en 2023. Dans de nombreux pays, la pandémie a même été l’occasion de lancer ou d’accélérer des programmes de dépenses d’infrastructures. Les firmes européennes se montrent confiantes sur les perspectives. 

L’inflation

Les tensions inflationnistes découlent de la réponse économique à la crise pandémique. En zone euro, la hausse des prix ressort à 4,9% sur un an en novembre, niveau inédit depuis que l’euro existe. La plus récente mesure des salaires négociés ressortait à 1,4% sur un an au troisième trimestre 2021. Les ménages européens subissent une ponction de leur pouvoir d’achat qui devrait les amener soit à restreindre leurs dépenses, soit à réclamer une compensation salariale, génératrice de tensions supplémentaires. 

Si une certaine prudence demeure chez les ménages, la vive embellie des conditions d’emploi est de nature à réduire l’épargne de précaution.

Il reste difficile de défendre qu’une inflation proche de 5% avec des gains salariaux à moins de 2% soit un régime permanent post-pandémie. Quelque 55% des points d’inflation de la zone euro sont dus aux prix de l’énergie du fait de leur rattrapage après la réouverture de l’économie. La transition verte est de nature à les renchérir, mais pas au point de justifier les tensions observées sur certains prix de gros. Par ailleurs, 10% de l’inflation sont dus à des ajustements ponctuels de TVA. En dehors de ces deux effets, non reproductibles, l’inflation en zone euro ressort à 1,7% sur un an. Cela relativise le choc d’inflation. Les ménages y sont toutefois sensibles car le choc concerne en majorité des dépenses contraintes. L’inflation anticipée est l’un des déterminants du comportement de dépense, mais la situation du revenu disponible et de la richesse nette est tout aussi importante. Durant la pandémie, les ménages ont pu constituer une épargne «excédentaire». Selon les enquêtes de confiance, les craintes de chômage ont pratiquement disparu. Si une certaine prudence demeure chez les ménages, la vive embellie des conditions d’emploi est de nature à réduire l’épargne de précaution.

Le resserrement monétaire

L’inflation représente un casse-tête pour les banquiers centraux. Un dépassement de près de 3 points de sa cible ne peut manquer de mettre la BCE sous pression. Si la Réserve fédérale accélère son tapering pour élargir le champ des hausses des taux, tout le monde se demandera ce qu’attend la BCE pour faire de même. 

Il faut tout de même se demander si un resserrement monétaire aurait aujourd’hui le moindre effet d’apaisement du risque inflationniste en zone euro. Il n’est pas établi que l’économie soit en surchauffe et la politique monétaire n’a aucun moyen de résoudre les perturbations de l’offre. La BCE ayant déjà commis la bévue en 2011 de durcir sa politique en réponse à un emballement ponctuel des prix du pétrole, la même erreur devrait être évitée cette fois. Si diverses sensibilités s’expriment au Conseil des Gouverneurs, mettant en garde contre les risques haussiers d’inflation ou vantant la vertu de patience, ces vues ne sont pas irréconciliables. Au bout du compte, la BCE reste plus sereine que la Fed. Il semble acquis qu’elle ne veuille pas prolonger le programme pandémique des achats d’actifs (PEPP) au-delà de mars 2022, mais il n’y a pas d’opposition générale à prolonger, et sans doute à accroître, le programme ordinaire d’achats d’actifs (APP). Les modalités seront en débat à la prochaine réunion du 16 décembre. 

L’économie européenne a traversé depuis deux ans la plus grande zone de turbulences de son histoire. La deuxième phase de la reprise s’engage désormais. Les points positifs tiennent à l’amélioration des conditions d’emploi et de revenus, l’absence de restriction du crédit, un bon alignement du policy-mix entre les volets monétaire et budgétaire. A court terme, les facteurs de risque prédominent. Nul ne peut sérieusement prévoir la prochaine direction de cette pandémie. Les histoires apocalyptiques au sujet de l’inflation abondent et le risque d’erreur de politique monétaire n’est pas nul. Les pénuries sont par ailleurs une contrainte sur l’activité réelle. Après deux trimestres où le PIB réel a progressé de plus de 2% t/t, le rythme de croissance devrait se modérer vers 0,5% t/t au quatrième trimestre. 

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