Dix questions sur la bulle immobilière chinoise

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Si l’histoire des bulles se répète, le déclin du secteur immobilier chinois pourrait être déflationniste.

Les récents problèmes financiers d’Evergrande sont venus rappeler que la croissance économique de la Chine est déséquilibrée. Il y a trop d’investissement, surtout dans la construction, et donc trop de dette. Le gouvernement chinois paraît désormais résolu à déflater la bulle immobilière.

Combien pèse l’immobilier chinois?

D’après les comptes nationaux, la construction pèse 7,1% de la production totale, ce à quoi s’ajoutent les activités immobilières connexes pour 7,3%, soit 14,4% du PIB au total. Mais si l’on regarde la contribution de l’immobilier à la croissance du PIB chinois, les chiffres sont plutôt de l’ordre de 25%-30% du PIB. Ces estimations prennent en compte tous les effets induits par la construction en amont, sur la production de matériaux et d’équipements industriels par exemple, et en aval, comme sur les services de promotion immobilière.

Ce poids est-il excessif au regard des comparaisons internationales?

La part de l’investissement résidentiel dans le PIB est actuellement de 10,3%, environ le double du niveau américain ou européen. En comparaison de la situation-type d’un pays développé ayant terminé son processus d’urbanisation, l’excès d’investissement immobilier de la Chine saute aux yeux. C’est en revanche moins évident par rapport à d’autres grandes économies émergentes comme l’Inde, l’Indonésie ou la Turquie, où cette part avoisine 12-13%. L’exode rural et la modernisation ont suscité une forte demande de logements nouveaux en Chine au cours des dernières décennies et le taux d’urbanisation a bondi de 28 points entre 2000 et 2020, pour ressortir à 61%. Un taux qui avoisine plutôt les 80% en Europe et aux Etats-Unis et atteint même 92% au Japon.

Les prix des logements sont-ils sur une trajectoire explosive?

En moyenne nationale, les prix des logements ont augmenté d’environ 6% par an, une hausse rapide mais pas exceptionnelle. Au dernier point connu, on se situe plutôt autour de 3,5%. Rapporté au revenu des ménages, le prix de l’immobilier en Chine est quasi-stable depuis 2012 alors qu’il a augmenté de 10 à 20 points dans de nombreux pays développés. Si des moyennes nationales peuvent masquer des différences locales, et que l’évolution des prix varie depuis 2015 entre les métropoles et le reste du pays, la hausse reste plus modeste que celle constatée dans des épisodes passés de bulle immobilière.

Officiellement, la dette du secteur public représente 54% du PIB mais le FMI estime qu’une mesure plus correcte serait de 113%.
Que pèse l’endettement sur lequel repose le secteur immobilier?

Plus que le poids de l’immobilier dans l’activité économique, c’est le poids de la dette ayant servi directement ou indirectement à financer le développement de ce secteur qui est source d’inquiétude. Le crédit aux ménages chinois, servant avant tout à financer l’achat de logements pour des motifs d’habitation ou d’investissement, représentait 61,7% du PIB à la fin 2020. Un ratio crédit aux ménages/PIB inférieur à celui du Japon ou des Etats-Unis. Cependant, il dépasse largement les niveaux atteints dans des économies se situant au même state de développement ou au même niveau de revenu par tête. De plus, sa progression est spectaculaire avec un quasi-doublement en l’espace d’une décennie. La dette des entreprises non-financières, elle, dépasse 160% du PIB. Au moins la moitié de cet endettement vient d’entreprises opérant dans le secteur immobilier.

Quel est l’impact sur les finances publiques?

Les recettes publiques viennent en bonne partie de la vente aux promoteurs de terrain à construire. Ces ventes de terrains représentent 9% du PIB chinois. En théorie, les sociétés d’investissement sont privées mais en réalité ce sont souvent des structures mises en place avec l’aval des autorités locales en charge des projets d’urbanisme. Les recettes tirées de la vente des terrains servent à couvrir l’endettement. Officiellement, la dette du secteur public représente 54% du PIB mais le FMI estime qu’une mesure plus correcte serait de 113%. Si tel est le cas, cela veut dire que la dette privée est moindre mais que l’exposition au secteur immobilier n’en est pas du tout diminuée.

Que représente l’immobilier dans l’épargne des chinois?

Le taux de dépendance chinois est appelé à bondir, passant de 42% en 2020 à 78% en 2060. Dans ces conditions, vu l’absence ou la faiblesse des systèmes d’assurance sociale, les ménages sont incités à constituer une forte épargne. Comme les marchés financiers sont encore assez peu développés, l’épargne est absorbée par des actifs immobiliers. Une part estimée à environ 80%, la détention d’un patrimoine immobilier ayant un rôle-clé dans le statut social en Chine. De surcroît, une part des produits financiers offerts aux ménages aisés est investie en titres de dette émis par les promoteurs. Au total, l’exposition de l’épargne des ménages au secteur immobilier n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde.

Le déséquilibre fondamental du régime de croissance en Chine est identifié depuis longtemps, avant même la crise financière de 2008.
Comment réformer efficacement le secteur immobilier?

Tout d’abord, il est nécessaire de diversifier les ressources fiscales. Ces derniers jours, le gouvernement chinois a annoncé qu’il voulait étendre des projets-pilotes de taxe sur la propriété, déjà testés dans quelques villes. A la différence des ressources tirées de la vente de terrains, une taxe de ce genre est appelée à calmer la frénésie de construction et l’inflation des prix. Il faut aussi offrir un support alternatif d’investissement à l’épargne, ce qui suppose de développer les marchés de capitaux. Il serait également souhaitable de développer un véritable marché secondaire de l’immobilier. Vu le nombre d’organismes officiels ayant leur mot à dire en ce qui concerne la politique du logement, cela suppose des efforts de coordination inédits.

Quelle est la vraie croissance chinoise?

Le déséquilibre fondamental du régime de croissance en Chine est identifié depuis longtemps, avant même la crise financière de 2008. Cet événement a forcé les autorités à relancer l’économie par une vive expansion du crédit. Certains analystes n’ont pas manqué d’en conclure que la croissance chinoise était largement fictive puisqu’elle reposait sur le surinvestissement et sur la dette. Si la purge du secteur immobilier est menée de manière graduelle, le chiffre officiel de croissance devrait à terme éliminer cette partie fictive. Si la purge est mal maîtrisée, une récession pourrait accentuer la correction à court terme. En théorie, on peut s’imaginer que d’autres sources de croissance se substituent à ce qui sera perdu côté immobilier. En pratique, ce rééquilibrage s’annonce délicat.

La Chine peut-elle supporter un double freinage cyclique et organique?

L’économie chinoise a pâti ces derniers mois d’une accumulation de facteurs négatifs, avec le resserrement du crédit bancaire en début d’année et l’instauration de nouvelles restrictions administratives pour combattre la pandémie et pour réduire la pollution. Pour l’instant, la seule concession au soutien de l’activité réside dans l’injection de liquidités abondantes par la PBoC en vue d’éviter une asphyxie du système financier. Simultanément, les autorités ont multiplié les annonces durcissant la réglementation de nombreux secteurs. La convergence de facteurs négatifs au plan cyclique et au plan structurel est assez rare pour être soulignée. Il faut bien reconnaître que nul ne sait jusqu’où les autorités sont prêtes à tolérer un affaiblissement de la croissance économique. Une véritable purge du secteur résidentiel serait en tout cas très coûteuse.

Quelles répercussions sur le reste du monde?

Si la croissance tendancielle s’affaisse en Chine, l’effet le plus direct sera sur la demande adressée au reste du monde. Vu son poids dans la demande mondiale, l’effet attendu serait à première vue déflationniste. Il peut paraître audacieux d’utiliser ce mot de déflation alors que tout le monde s’inquiète de la poussée d’inflation, mais dans l’histoire des bulles immobilières, l’expérience montre qu’une correction est toujours de nature à peser sur la demande, sur le crédit et au bout du compte sur les prix.

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