Hasard du calendrier ce billet sera publié le lendemain de l’annonce par la Fed de la première baisse de taux tant attendue par les investisseurs depuis de nombreux mois désormais. Le marché s’est passionné ces dernières semaines sur l’ampleur de cette dernière, les 25 points de base habituels se partageant les faveurs des pronostics avec une baisse plus conséquente de 50 points de base. Cette configuration pour le moins inhabituelle pourrait nous laisser penser que peu importe l’annonce officielle du 18, la moitié des investisseurs aura été déçue par l’action de la banque centrale américaine. En tant que fervent défenseur de l’art d’investir avec un horizon temps suffisant, j’aime à croire que, tout comme à la roulette, ce débat sur 25 ou 50 points de base de baisse relève avant tout de la distraction et aura finalement été plus proche du casino que de l’investissement. Plus encore, je crois que dans les deux cas c’est bien le narratif qui aura compté et dans ce domaine Monsieur Powell aura dû être convaincant pour expliquer la décision.
Si l’on revient un peu en arrière il est assez aisé de comprendre comment est né ce débat. Certains chiffres économiques américains portent à croire que la dynamique économique du pays ralentit. Là-dessus le consensus est à peu près clair. C’est l’ampleur de ce ralentissement, et donc dans quelle mesure les banquiers centraux du pays de l’Oncle Sam accuseraient un retard vis-à-vis de la réalité économique, qui divise les opérateurs. Certains auront donc prôné une «jumbo» baisse de 50 points des taux d’intérêt afin de rattraper un peu cet éventuel «retard» …
La critique étant aisée mais l’art difficile j’avoue n’avoir eu que peu d’avis (ni d’intérêt) sur ce point précis…Je n’aurai donc ni misé sur le rouge ni sur le noir car sincèrement…ça ne change pas grand-chose. Ce qui doit intéresser les investisseurs c’est bien l’appréciation de la conjoncture économique américaine par la Fed pour commencer à normaliser sa politique monétaire après avoir fait plier (en grande partie) l’inflation et ce, sans détruire la dynamique économique qui s’est révélée extrêmement solide et résiliente au cours des 18 derniers mois.
Le mandat de la Fed, bien que plus large que celui d’autres banques centrales, n’inclut pas de tout faire pour que l’indice S&P 500 monte. Tout le monde le sait (surtout la Fed) mais beaucoup tendent à l’oublier selon les circonstances. Les actions américaines sont déjà considérablement montées depuis le choc du Covid 19 et ce malgré une phase de hausse des taux d’intérêt inédite. Dit autrement, il semble raisonnable de croire que l’effet positif de taux d’intérêt plus bas à venir est d’ores et déjà bien intégré dans les prix actuels. Il conviendra donc peut être mieux dès mercredi soir de juger de la bonne adéquation entre l’analyse de la santé économique américaine faite la Fed et les indications qu’elle nous donne concernant le processus de baisse à venir. Le niveau cible recherché et la temporalité pour l’atteindre seront notamment deux éléments clés où les mots de M. Powell auront été très attendus.
J’ai lu récemment que la cécité pouvait éviter bien des tourments. Non pas que l’auteur indiquait qu’il souhaitait être aveugle mais plutôt que fermer les yeux temporairement peut parfois être salutaire. Ce concept trouve bien sûr de l’écho sur les marchés financiers. La secousse de début août, bien que sérieuse, passe inaperçue quelques semaines après. Elle aura donné lieu à d’innombrables débats, craintes et que sais je encore…Pourtant un investisseur vaquant à d’autres occupations cet été n’aura lui rien vu, préservant par la même occasion son énergie pour d’autres activités que les cours de bourse.
Le concept prend toute son ampleur quand on observe les principaux indices boursiers sur de longues périodes. Tant d’évènements catastrophiques, d’imprévus, de prédictions apocalyptiques et pourtant…tant de hausse au final. Nous n’en sommes donc pas à savoir si, pour enclencher la phase de baisse des taux d’intérêt la Fed, devait faire 25 ou 50 points de base…c’est anecdotique et l’histoire ne le retiendra pas.
L’économie américaine n’a cessé de nous surprendre. Sa vigueur, la flexibilité de son consommateur, sa capacité à innover et bien sur sa productivité font qu’il est difficile de croire que, sans un choc externe majeur, elle pourrait basculer rapidement dans une récession marquée. La théorie du «soft landing» prend de l’épaisseur alors qu’est désormais venu le temps de desserrer l’étreinte monétaire et de redonner aux entreprises américaines un peu d’air. Même si ralentissement il y a et même s’il vient à être un peu plus marqué ou plus durable que les plus optimistes ne le pensaient, souvenons-nous du niveau duquel nous venons et surtout souvenons-nous de regarder loin devant quand il s’agira d’investir.
Tout connaître c’est aussi tout redouter et nous avons effectivement beaucoup à redouter, c’est vrai. L’endettement général des États, la géopolitique et même la démographie méritent peut-être à eux seuls quelques nuits blanches pour l’investisseur mais c’est surtout l’investisseur «calendaire» qui souffre d’un sommeil plus léger. Celles et ceux dont le 31 décembre ne prend pas la forme chaque année d’un couperet n’ont probablement pas à s’en faire à ce stade vis-à-vis de la conjoncture américaine.
Il m’est toujours agréable de finir sur une note un peu moins terre à terre. Dans ce registre, la contemplation est une notion très positive dans la littérature. Aristote l’a décrit même comme «une participation à la vie divine». Il est vrai qu’à de nombreux égards contempler est apaisant, qu’il s’agisse de nature ou d’art. Ironie du sort, la contemplation régulière des cours de bourse et du brouhaha des marchés financiers est un exercice moins apaisant…N’en déplaise à Aristote, il n’y avait nul besoin de contempler les éventuels 25 ou 50 points de base de la Réserve Fédérale Américaine ces dernières semaines.