L’investisseur a ses raisons que la raison ne connaît point

Julien Serbit, Prime Partners

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Qu’il s’agisse de phases de panique ou d’avidité, nul n’est épargné par la perte temporaire d’une forme de rationalité.

Loin de vouloir paraphraser Blaise Pascal, il n’en est pas moins tentant de faire un parallèle entre la citation la plus populaire du célèbre mathématicien français et les comportements régulièrement erratiques des investisseurs.

Qu’il s’agisse de phases de panique ou d’avidité, nul n’est épargné par la perte temporaire d’une forme de rationalité. Les excès font en général partie de la vie et surtout de l’apprentissage de l’investissement. Ils condamnent parfois durablement leurs auteurs mais en rendent également riches certains autres. 

Je me plais à penser que l’art de bien investir sur le long terme consiste en partie à anticiper un peu mieux que la moyenne ces phases d’excès, qu’elles soient teintées d’un optimisme trop débordant ou d’une peur trop paralysante. 

Après bientôt cinq mois d’une année 2024 où, hormis l’exceptionnelle résilience de l’économie américaine, de nombreux paramètres macroéconomiques et géopolitiques devraient peser sur les indices boursiers, nous sommes actuellement en droit de nous demander si nous ne faisons pas preuve de complaisance et n’échouons pas dans notre ambition de détecter une phase d’excès.

De nombreux investisseurs sont conscients de certains des paradoxes criants des valorisations actuelles vis-à-vis du contexte global. Certes, l’heure n’est pas à la débâcle pour les économies européennes mais tout le monde s’accorde à dire que ce n’est pas non plus la grande forme. Du côté chinois là encore, pas de débâcle (encore que…) mais le temps des croissances flamboyantes semble révolu. Reste donc à s’accrocher comme la plupart du temps à la locomotive américaine qui elle, ne rechignons pas, se montre plus qu’à la hauteur depuis dix huit mois, faisant quasiment oublier que nous vivons dans un monde de taux d’intérêts élevés et avec une dette de plus en plus abyssale de l’Oncle Sam. 

Le cash si peu sexy ces dernières années, continue de proposer une belle récompense à la prudence.

Nul besoin d’ajouter que le climat géopolitique est, soyons clairs, effrayant. Le retour potentiel d’une personnalité comme celle de Donald Trump à la présidence de la première puissance mondiale n’étant probablement pas le meilleur moyen de nous rassurer.

Malgré ce tableau pour le moins nuancé de la période actuelle, les indices vont de record en record, principalement dopés par l’évolution (bien réelle!) de la technologie et les espoirs du démarrage d’un cycle de baisse de taux par les banquiers centraux. 

Rappelons-nous cependant que ce sont bien ces mêmes espoirs de baisses de taux qui alimentaient déjà (en partie) le rallye des actions en 2023 et qu’il y a de cela à peine quelques mois le consensus en anticipait six voire sept pour cette année…Excès vous dit-on. De là à penser qu’une fois ces baisses de taux passant de l’espoir à la réalité le marché pourrait rendre un peu de ses importants gains des dix-huit derniers mois il n’y a qu’un pas… que je franchis volontiers.

Il n’est pas ici question d’un krach brutal à la 2008 mais bien d’une phase de consolidation, permettant aux valorisations de dégonfler quelques peu et ainsi s’ajuster à la réalité économique à laquelle de nombreuses sociétés font face et au climat incertain qui entoure les équilibres géopolitiques actuels.

La théorie voudrait alors qu’une telle période de «décompression» vienne à se tempérer dès lors que le desserrement de la bride des taux d’intérêts commence à se faire sentir sur bilans des entreprises, petites et moyennes capitalisations en tête, pour qui «l’oxygène» redeviendrait enfin plus abondant.

Ce cheminement parait faire du sens… et même du bon sens! N’en demeure pas moins que son timing n’est lui que peu prédictible à la semaine près. Doit-on donc se contenter, un brin fataliste, à la pensée de Blaise Pascal et se dire que les investisseurs auront leurs raisons que la raison ne connait point? 

En d’autres termes pourra t on éviter des futurs mouvements de baisse comportant certains excès? Bien sûr que non! L’histoire boursière fourmille d’exemples qui démontrent que les sentiments sont excessifs dans ces instants et il n’en sera surement pas différemment la prochaine fois.

En revanche rien n’interdit d’agir en amont, avant qu’une éventuelle mais pénible secousse boursière ne vienne nous ôter temporairement un peu de raison (et de sommeil…). Pour se faire les recettes sont connues…diversification de toute part, prise de profits quand ces derniers sont déjà rondelets et autres recettes du petit guide de l’investisseur… De plus, le cash si peu sexy ces dernières années, continue de proposer une belle récompense à la prudence.

Alors que débute la période où les jours sont les plus longs en Europe pourquoi ne pas en profiter pleinement et nous épargner trop d’espoirs et d’illusions de gains supplémentaires qui viendraient se tamponner dans nos esprits?

Un mathématicien en appelant un autre, un dernier mot concernant Jim Simons et les performances absolument irréelles du fonds «Medallion» au cours des trente-cinq dernières années. Parmi ses nombreuses citations récemment reprises suite à sa disparition, l’une d’elle nous indique «qu’il faut se concentrer sur ce que l’on peut contrôler sans se laisser distraire par les choses que nous ne pouvons changer».

Faire preuve de raison face au couple valorisation/environnement actuel en serait peut-être une illustration, éloignant ainsi la perspective de nous retrouver prochainement dans la peau d’investisseurs outragés par des gains 2024 rapidement évaporés…

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