A consommer avec modération

Julien Serbit, Prime Partners

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Il est raisonnable de penser qu’avec une performance proche des deux chiffres, les indices d’actions développées ont d’ores et déjà livré une grande partie de leur potentiel cette année.

Avec les prémices du printemps et à l’orée de douces soirées à l’ensoleillement prolongé, la recommandation d’être modéré dans notre consommation fait penser de prime abord à quelques breuvages frais et d’une couleur rosée. Il ne s’agit cependant pas ici de disserter sur la palette des saveurs offertes par les coteaux provençaux (entre autres!) mais bien d’appliquer cette recommandation aux portefeuilles actuels, dont la soif de performance (parfois également appelée avidité…), doit désormais être surveillée, sous peine d’une potentielle «gueule de bois» estivale.

Après un premier trimestre d’excellente facture sur les marchés actions qui a fait suite à une année 2023 toute aussi excellente, il est raisonnable de penser qu’avec une performance proche des deux chiffres, les indices d’actions développées ont d’ores et déjà livré une grande partie de leur potentiel cette année. 

La rotation sectorielle des dernières semaines et le rattrapage de certains secteurs face à la toute puissante «tech» est un signe positif pour la santé générale des marchés. Les «sept mercenaires» de 2023 ne sont plus vraiment sept depuis quelques mois et d’autres pans de la cote, moins imbibés d’intelligence artificielle et de promesses technologiques ont eux aussi reçu les faveurs des investisseurs.

Les chiffres économiques américains vont de bonne surprise en bonne surprise si bien qu’outre Atlantique, le scénario d’un «no landing» de l’économie est désormais une option tout à fait envisageable. Dans cette optique, Jérôme Powell et ses acolytes n’auraient pas vraiment besoin de baisser les taux d’intérêt rapidement et pourraient même se méfier à nouveau d’une inflation qui ferait de la résistance. 

Le dynamisme économique américain ne va pas soudainement disparaitre mais la logique voudrait qu’il finisse par se normaliser.

C’est donc deux salles, deux ambiances pour les opérateurs: une économie américaine qui carbure, induisant une politique monétaire qui n’a pas vraiment besoin d’être moins restrictive ou un ralentissement contenu de l’activité et des baisses de taux à venir.  Dans les deux cas les marchés actions devraient s’en réjouir…et c’est ce qu’ils font depuis six mois. Voyez-vous venir le potentiel problème?

Nous le savons bien la bourse anticipe beaucoup, quitte à se réaligner parfois brutalement à la réalité macroéconomique ou aux résultats des entreprises. Le dynamisme économique américain ne va pas soudainement disparaitre mais la logique voudrait qu’il finisse par se normaliser. Par ailleurs, il parait peu probable de voir émerger rapidement des relais de croissance suffisants pour maintenir la vitesse de croisière actuelle tant l’Europe et encore plus la Chine partent de loin vis-à-vis des données américaines. 

Il parait alors envisageable (du moins raisonnable!) de s’attendre à une consolidation prochaine des marchés actions. De quoi diversifier quelque peu son exposition en actions en dehors de la technologie puis saisir quelques opportunités pour la deuxième partie de l’année.

Que faire alors concrètement dans des portefeuilles qui affichent de bons résultats cette année et dont la part action est déjà généreuse? Probablement agir avec un peu plus de modération justement. Autrement dit ne pas initier d’exposition supplémentaire à des valeurs dont les performances récentes sont déjà excellentes. Ne pas non plus courir après des émetteurs dont les bilans quelques peu fragiles ne peuvent que rester sous pression dans l’optique d’une prolongation des taux d’intérêt élevés.

Être inactif étant un art difficile, pourquoi ne pas prendre également quelques profits ici et là dans le secteur technologique en gardant en tête les trajectoires parfois irréelles de certaines valeurs au cours des derniers trimestres. 

La dynamique haussière des indices d’actions ne se démentit que très peu dès lors qu’on prend un horizon temps suffisamment long. Mais dans la tête d’un investisseur, quelques semaines de baisse, voir quelques trimestres, sont éprouvants et marquants. Ces phases poussent régulièrement à capituler et à encaisser des pertes concrètes. Savoir éviter le plus fréquemment possible ces situations est sans aucun doute le plus grand défi de la gestion de portefeuille et c’est bien là qu’il faut savoir faire preuve de modération. 

À l’aube d’une nouvelle saison de résultats où les attentes sont élevées, il se pourrait que certaines entreprises se montrent prudentes dans leur guidance entre l’environnement des taux d’intérêt qui devrait rester globalement restrictif cette année et, il faut bien le dire, un contexte géopolitique, voir électoral, tendu. 

La carte du boom de l’intelligence artificielle ayant déjà été largement jouée depuis 18 mois, elle pourrait cette fois ci moins contenter les attentes d’un marché devenu très exigeant et dont la sévérité des sanctions boursières en cas de déception a déjà pu être observé ces dernières semaines ici et là.

Les réminiscences des envolés de certains cours de bourse durant la période du Covid sont encore bien présentes dans la tête de nombreuses personnes, rien de plus humain que cela. Cependant le contexte est clairement différent et «l’argent facile» (voir très facile) fait partie du passé, même si les conditions financières ne sont de loin pas si restrictives que le niveau des taux d’intérêts le laisse à penser. 
N’en demeure pas moins qu’après de nombreux mois de hausse et des indices désormais à leur plus haut historique pour la plupart d’entre eux, il parait sage de réduire un peu la voilure de notre «consommation» de risque et de lutter du mieux que nous le pouvons contre notre nature qui nous en demande toujours plus.

Comme le dit fort bien Sylvain Tesson dans son dernier ouvrage, l’excellent «avec les fées», «le gâteau plait à l’enfant sans qu’il ne sache rien du pâtissier». Essayons donc de ne pas succomber à la même tentation infantile devant des cours de bourse dont nous aimerions qu’ils aillent toujours plus haut, ignorant parfois les signes évidents de notre avidité qui méprise le bon sens.

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