On n’échappe pas à la philosophie

Julien Serbit, Prime Partners

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Comme le décrivait l’auteur Karl Jaspers, aucun d’entre nous ne peut se soustraire à l’exercice permanent de la remise en question. «Faire de la philosophie c’est être en route».

Je ne pouvais honnêtement pas rêver de meilleur timing que les jours actuels sur les marchés financiers pour partager ces quelques réflexions. Malgré une actualité débordante, ce billet estival ne traite pas de l’un des sujets occupant actuellement les pensées des investisseurs. Je laisse donc à nombre de mes confrères le soin de décortiquer l’environnement actuel et donner leur point de vue sur la géopolitique, les résultats du second trimestre ou encore le fort regain de volatilité des dernières semaines. J’ai cependant l’espoir que ces quelques paragraphes à venir capteront votre attention et surtout vous évoqueront des moments, des ressentis et des discussions que nous connaissons tous dans les métiers de la finance.

Faire des marchés financiers son métier et y construire sa carrière est intriguant pour autrui la plupart du temps. Soyons clairs, pour le commun des mortels la finance évoque régulièrement un casino géant où se mêlent des clichés comportementaux peu reluisants véhiculés par le cinéma américain et une forme d’obscurantisme sur l’apport concret pour la société de ce que les «banquiers» et autres «traders» font toute la journée derrière des écrans clignotants. 

Il arrive d’ailleurs fréquemment qu’au milieu d’une carrière certain(e)s d’entre nous éprouvent le besoin de plus de «vrai» dans leur vie professionnelle. Acheter et vendre des actions n’a pas le côté concret de bâtir une maison ou de soigner un patient. Au fond, combien d’investisseurs, professionnels ou amateurs, ont-ils déjà tenu une action entre leurs mains? Les marchés financiers intriguent ainsi bon nombre d’observateurs extérieurs de par leur côté intangible et éphémère. Qu’on y voit une science, un art ou un immense jeu de hasard, ils ne laissent en général personne indifférent.

Tous les chemins ne mènent pas à Rome sur les marchés financiers. De très nombreux investissements ne mènent tout simplement… à rien.

Je serai bien imprudent de défendre l’une ou l’autre des vues évoquées ci-dessus quant à ce que sont les marchés. Surtout ne sont-elles pas toutes un peu exactes? Certains investisseurs gagnent de l’argent en appliquant des modèles mathématiques complexes et en faisant appel à des technologies informatiques de pointe. D’autres observent patiemment les réactions de la bourse face aux nouvelles et tentent de prendre avec bon sens les vagues les plus porteuses au fil des années. Certains enfin constituent des fortunes presque par hasard, «oubliant» tout principe de diversification ou témoignant d’une capacité hors du commun à rester calme quand la tempête fait rage et impassible quand la réalisation de gains déjà substantiels les harcèle (je laisserai aux plus curieux le soin de calculer les profits de celles et ceux ayant réussi le tour de force mental de conserver ne serait-ce que 10 actions Apple ou Microsoft depuis leur introduction en bourse).

Au-delà de la méthode employée, tous les chemins ne mènent pas à Rome sur les marchés financiers. De très nombreux investissements ne mènent tout simplement… à rien. Les exemples de la période Covid sont nombreux et les détenteurs d’actions des vélos Peloton ou des cinémas AMC Entertainment (deux exemples parmi tant d’autres) en savent aujourd’hui quelque chose.

Il est bon de régulièrement se questionner sur la pertinence du métier que l’on exerce, qu’il s’agisse de finance ou de tout autre chose. Il est important d’y trouver de l’intérêt, de la fierté et bien sur du sens, même quand les autres n’en voient pas. C’est peut-être là le plus grand défi des professionnels de l’investissement quand il s’agit de légitimer leur travail. D’abord parce la bourse n’est de loin pas un casino géant mais bien le lieu où les idées des entrepreneurs rencontrent le capital nécessaire à leur réalisation. C’est aussi une formidable école de vie et d’observation de la nature humaine au travers du prisme de l’argent. C’est enfin l’épicentre de l’information et de sa diffusion.

Les marchés financiers ont la roublardise de donner l’illusion à tout un chacun qu’en bourse tout est possible et qu’il suffirait presque d’avoir un peu de chance ou beaucoup d’audace.

Qu’on soit pâtissier, artisan ou financier c’est l’attrait pour ce que l’on fait qui nous pousse à bien le faire. Dans la durée je ne connais pas de mauvais investisseurs passionnés tout comme je ne connais pas de bons investisseurs désintéressés par leur métier. Les marchés financiers ont la roublardise de donner l’illusion à tout un chacun qu’en bourse tout est possible et qu’il suffirait presque d’avoir un peu de chance ou beaucoup d’audace. Il est certain qu’il n’en va pas de même en chirurgie ou en aéronautique… C’est de cette illusion que nait parfois la méfiance du grand public envers les marchés financiers et celles et ceux qui y travaillent.

Qu’on considère l’investissement en bourse comme une science, un art ou le reflet de nos émotions face à l’argent, la réussite y vient généralement avec le travail, la répétition des efforts et bien sûr l’intérêt qu’on y porte. Au-delà des résultats face aux fluctuations des cours des actions, on retire de la satisfaction dans l’anticipation des événements. Qu’il s’agisse d’une échéance électorale, du succès futur d’une société ou de l’avènement d’une technologie celles et ceux qui voient venir les choses avant les autres sont en général récompensés, que ce soit au travers de gains pécuniers ou de reconnaissance par leurs pairs.

Preuve que je ne suis pas rancunier envers le cinéma américain, au début du célèbre «Loup de Wall Street» l’exubérant trader campé par Matthew McConaughey explique à un jeune et encore naïf Jordan Belfort que «personne ne sait si une action va monter, descendre, se barrer sur le côté ou tourner en rond». Il semble difficile de totalement rejeter cette affirmation dès lors qu’on se place à très court terme. Cependant, une vaste majorité d’investisseurs ont un horizon temps bien plus long que l’ouverture des marchés du jour suivant.

J’espère à travers ces quelques lignes avoir ravivé des souvenirs de discussions familiales animées ou aider certain(e)s à se défendre en cas «d’attaque» sur le bienfondé de la finance au détour d’un prochain barbecue estival. Comme l’indique Jaspers, «les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses». Au-delà des résultats journaliers obtenus sur les marchés financiers, c’est bien à travers leur observation régulière et les leçons retenues au fil des années que nous retirons souvent le plus de valeur ajoutée. Prenons donc les choses avec philosophie.

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