Les industriels suisses s’adaptent mieux que prévu

Emmanuel Garessus

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Malgré les hausses de coûts, notamment salariaux et énergétiques, les analystes ne doutent guère de la résilience des entreprises.

© Keystone

La désindustrialisation allemande fait la couverture de nombreux médias à la suite de la crise énergétique. Le déclin allemand devrait, dit-on, affaiblir les groupes suisses et limiter les perspectives de ces entreprises familiales qui surperforment depuis des années. Ce n’est pourtant pas vraiment le cas, selon les analystes interrogés par Allnews.

Les résultats semestriels des entreprises suisses ont mis en lumière une nette hausse des chiffres d’affaires, un relèvement des prévisions de ces derniers pour l’ensemble de l’année et des pressions significatives sur les marges. «L’inflation se répercute sur les entreprises avant tout à travers une augmentation des salaires, et pas uniquement par les coûts de l’énergie, ainsi que par un besoin d’adaptation rapide des prix de vente», observe Eugi Burgener, directeur de Mirabaud Equity Research en Suisse. «Les salaires augmenteront par exemple davantage en 2023 qu’en 2022. Selon le modèle d’affaires, les frais de personnel comptent parfois davantage que les coûts de l’énergie», confirme Christian Wildhaber, analyste auprès du gérant Albin Kistler. La liste des préoccupations s’étend aussi aux risques de pénuries de matières premières et au niveau d’endettement, dans un contexte de hausse des taux, indiquent les deux experts.

Avec la hausse des prix de l’énergie, «l’attention se concentre logiquement sur les plus grands utilisateurs, comme Holcim, Aryzta, Gurit, Autoneum ou Emmi. Mais chaque entreprise doit être analysée individuellement», déclare le responsable de Mirabaud Securities. Il est important de trouver par exemple celles qui sont le moins dépendantes du gaz. Mais tous les groupes ne publient pas le détail de leur facture énergétique. Dans ce contexte, il est important que les managers des entreprises soient transparents sur leur situation. Antoine Lorotte, fondateur et directeur du bureau d’ingénieurs FiveCo, au Mont-sur-Lausanne, ressent toutefois «un grand désarroi dans certaines entreprises». La grande question porte d’ailleurs moins sur le coût que sur «la capacité à devenir autonome en matière d’énergie. La Suisse devrait être leader dans ce domaine».

De façon générale, mieux vaut que l’entreprise soit globale que de concentrer sa production en Europe.
La crise est une opportunité

Les entreprises industrielles prennent plusieurs types de mesure face au risque d’approvisionnement. Geberit, par exemple dispose de plusieurs sites de production en Europe, soit en Allemagne, le plus important, en Suisse et en Pologne. La société a dorénavant la possibilité de passer au gaz liquide ainsi que de délocaliser une partie de sa production d’Allemagne en Pologne, note Christian Wildhaber. Le problème consiste à gérer à la fois la hausse des prix et le risque d’approvisionnement. Il est possible par exemple de passer du gaz en provenance de Russie au gaz liquide, lequel est toutefois plus cher.

La crise de l’énergie est parfois interprétée comme une opportunité. Pour Antoine Lorotte, «la crise est un électrochoc. C’est un moyen de bousculer son petit confort, une opportunité. Lorsqu’une entreprise achetait une machine-outil, le choix portait sur les critères de rapidité, de solidité et de prix, mais jamais de sa consommation d’énergie. Un changement de paradigme est en train de se produire dans les ateliers», déclare cet ingénieur en contact avec des spécialistes de l’innovation technologique.

La complexité est d’autant plus élevée pour des groupes globaux, sachant que les prix du gaz sont différents d’un pays à l’autre et d’un continent à l’autre. De façon générale, mieux vaut que l’entreprise soit globale que de concentrer sa production en Europe, avance Eugi Burgener.

Confiance renouvelée

En bourse, Eugi Burgener estime que les estimations pour 2023 sont encore trop élevées. Mais beaucoup d’investisseurs valorisent les entreprises sur la base de leur potentiel à plus long terme. Les cours de Geberit, Holcim, Sika, Logitech ou Givaudan intègrent déjà un grand nombre de mauvaises nouvelles, note-t-il. L’expert révèle que les gérants américains ont vendu les actions européennes en bloc, sans trop observer si des entreprises traversaient la tempête sans dommages. Ces prochains mois, les cours pourront difficilement perdre beaucoup de terrain, avance-t-il. Ce dernier recommande d’attendre les résultats trimestriels des groupes internationaux avant de s’engager. Sinon, mieux vaut investir, à son avis, dans les actions de sociétés dont le modèle s’appuie sur l’îlot de stabilité suisse et qui ont d’ailleurs bien résisté ces derniers mois.

Pour l’instant, Albin Kistler n’a dû abandonner aucune de ses recommandations d’achat à long terme sur les actions suisses. «Nous portons notre jugement en premier lieu sur le fonctionnement du modèle d’affaires et sa capacité à reporter la hausse des coûts sur les clients», affirme Christian Wildhaber. Beaucoup de ces titres ont corrigé parfois de près de 50% en bourse, comme Sika, Geberit, Interroll, Inficon ou Dätwyler. En dépit des circonstances, des entreprises continuent de croître grâce à leur positionnement sur le marché, comme Belimo.

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