Le GFRI accueille un talent de Chicago

Emmanuel Garessus

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Classé 2e centre de recherche en finance en Europe, le Geneva Finance Research Institute présente ses objectifs à l’occasion de l’arrivée de son nouveau directeur Olivier Scaillet.

Olivier Scaillet, entré à l’Université de Genève en 2001, dirige le Geneva Finance Research Institute (GFRI) depuis cet été. Il reçoit Allnews dans son bureau avec son prédécesseur Tony Berrada. «Quand je suis arrivé, c’était un no man’s land», déclare-t-il. L’institut de recherche en finance est passé de six chercheurs en 2006 à 11 professeurs aujourd’hui, dont huit ordinaires, deux assistants et un associé. Sa taille reste toutefois au moins cinq fois plus petite que les départements correspondants aux Etats-Unis, souvent dotés de 40 à 80 professeurs.

Le GFRI est reconnu au plan mondial pour ses travaux en durabilité et en méthodes quantitatives. Mais les moyens sont limités. «La recherche prend les deux tiers du temps des professeurs, contre un tiers à l’administration et un tiers à l’enseignement», ironise Tony Berrada, l’ancien directeur du GFRI. Le développement de la recherche est très coûteux. Le prix d’achat d’une base de données atteint souvent 100’000 francs par an. C’est pourquoi le GFRI utilise de plus en plus les revenus tirés de ses cours «executive» pour financer son développement, expliquent Olivier Scaillet et Tony Barrada. Tous deux répondent aux questions d’Allnews.

Au moment du passage de témoin, quel bilan faites-vous à la tête du GFRI?

Tony Berrada: Notre objectif principal porte sur la qualité de la recherche. Celle-ci se mesure à travers notre politique de recrutement et le niveau des professeurs que nous attirons à Genève. Le marché académique est très concurrentiel en finance, car les personnes ayant obtenu un doctorat ont souvent la possibilité de faire une carrière dans l’industrie financière et y obtiennent des rémunérations élevées. Beaucoup d’universités offrent des grilles de salaires flexibles en fonction des domaines, à l’avantage des financiers. Nous cherchons donc à attirer de jeunes professeurs assistants de qualité, sachant que la grille salariale est imposée par le canton de Genève.

«Nous avons une tradition en matière de recherche en finance durable qui dépasse une décennie, sous l’égide de Philipp Krüger.»
Votre marge de manoeuvre salariale est-elle nulle?

Olivier Scaillet: L’aide du Swiss Finance Institute (SFI) nous offre une marge de manoeuvre. Elle est également accrue avec les revenus tirés des programmes exécutifs que nous avons mis en place.

Avez-vous recruté récemment les chercheurs souhaités?

T.B.: Nous avons engagé une doctorante de l’université de Chicago, peut-être la meilleure université en finance du monde. Il s’agit d’ailleurs d’une femme, ce qui répond aussi à l’un de nos objectifs. Enfin, elle travaille dans la finance durable, un domaine clé de notre expertise. Son nom est Vera Chau. Elle a débuté au GFRI en septembre.

Quel facteur a fait pencher la balance en faveur de Genève?

O.S.: Nous avons une tradition en matière de recherche en finance durable qui dépasse une décennie, sous l’égide de Philipp Krüger. Nous sommes des précurseurs, alors que ce n’est pas encore un thème de recherche majeur aux Etats-Unis. Le GFRI profite aussi de son intérêt pour la transdisciplinarité qui permet d’échanger notre savoir en finance avec les sciences exactes, comme les neurosciences. Notre département de finance est atypique et surtout ouvert.
Cette approche se retrouve dans nos publications. Nous publions dans les principaux journaux académiques en finance, mais aussi dans des revues spécialisées dans d’autres domaines de recherche.

Est-ce que vous enregistrez d’autres recrues majeures?

T.B.: Nous avons engagé en 2019 Giuseppe Ugazio en tant que professeur assistant en philanthropie comportementale. Venant des neurosciences, il s’agit ici, pour lui, de mieux comprendre l’investissement des fondations en philanthropie en analysant les bases de neurones associées aux décisions.

Quel est l’état de la recherche dans ce domaine?

T.B.: Sa situation se rapproche de celle de la finance durable il y a dix ans. La compréhension de la structure des financements de la philanthropie est absolument fondamentale parce que le regard porte sur des acteurs majeurs de la transition à venir. L’approche est d’ailleurs très atypique et très scientifique.

O.S.: Si l’on croit à la théorie des avantages comparatifs, notre avantage ne consiste pas à répéter ce qui est fait aux Etats-Unis. En finance durable, nous sommes clairement des pionniers. Nous sommes maintenant au bénéfice d’un centre en philanthropie et d’un diplôme en philanthropie. La demande est significative à Genève dans ce domaine également caractérisé par sa transdisciplinarité.

Quel est votre potentiel de développement?

O.S.: Nous devons d’abord maintenir nos avantages parce que nous n’avons pas l’effet d’échelle d’un département tel que celui de la finance à Chicago ou à New-York. Le budget correspond à un montant défini par le rectorat. Pour nous développer, nous devons nous-mêmes chercher des fonds supplémentaires à travers notre programme d’«executive teaching», soit les cours payants qui sortent des formations fondamentales et destinés à des personnes qui ont une grande expertise dans leur spécialité. Ces cours s’intéressent à des domaines de recherche appliquée.

T.B.: Nous l’avons développé avec un partenaire en Chine et il rencontre un tel succès qu’il finance la majeure partie de nos activités de recherche, telles que l’achat de bases de données ou le financement de doctorants et de conférences. Le doctorant, lors de la première année, n’est en effet pas financé par une charge d’assistanat. Le développement du GFRI est donc fonction de notre activité entrepreneuriale.

«Nous réfléchissons à d’autres partenaires que la Chine. Mais si l’executive education est une stratégie pour certaines Business Schools pour faire de l’argent, notre priorité est ailleurs.»
Quelle est votre performance dans le monde de la recherche?

T.B.: Le GFRI est la deuxième en Europe, derrière la London Business School, selon une étude de productivité portant sur la performance des centres de recherches en finance sur dix ans (entre 2010 et 2020). Effectuée par l’Université Washington à St.Louis en 2021, elle a analysé les publications dans les grandes revues. La méthode est quantitative mais rapportée à la taille du département. Le GFRI se classe donc devant l’EPFL, les universités de St.Gall, Zurich, Lausanne ou HEC Paris. Au plan mondial, nous sommes 24e.

Est-ce que le nombre de publications demeure le meilleur indicateur de qualité?

O.S.: Oui, c’est d’ailleurs le critère de promotion principal.

T.B.: L’hétérogénéité des types de publication est un avantage pour le GFRI. Toutes les facultés n’ont pas les mêmes objectifs. Mais quand un financier publie dans des journaux de science fondamentale, cela paraît plus «scientifique». Giuseppe Ugazio a par exemple publié dans Science et non dans le Journal of Finance et moi dans la principale revue de biologie. Nous considérons que nous sommes un centre de recherche scientifique. Les Business Schools n’ont pas nécessairement ce but.

La finance peut-elle devenir une science?

O.S.: Nos recherches ont toute la rigueur scientifique possible. Lorsque j’ai publié une étude sur les caisses de pension suisses face aux taux bas, soulignant par exemple que 70% des institutions risquaient une sous-couverture en cas de nette hausse des taux d’intérêt, ce n’est pas une discussion de café du commerce. Cette étude lancée par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) est entièrement romande. C’est un partenariat privé-public, puisque le GFRI l’a réalisée avec Pittet Associés.

Est-ce que vos sources de financement extérieurs réduisent le degré d’indépendance de vos recherches?

O.S.: Non. Le SFI n’a jamais donné de direction en termes de thématiques de recherche. Sur le plan de l’offre et des «master classes», nous répondons à une demande d’enseignement du privé.

T.B.: Le support financier du SFI dépend de la qualité de la production et non pas du contenu de la thématique de recherche. Si vous publiez une recherche dans une revue de grande renommée mais qui ne plaît pas à des banques, cela n’empêche pas un support du SFI. Par ailleurs le financement issu des programmes «executive» est indépendant du SFI. Nous fournissons un service à des étudiants chinois, mais la Chine n’intervient pas sur notre programme.

Pouvez-vous développer vos «executive DBA»?

O.S.: Nous réfléchissons à d’autres partenaires que la Chine. Mais si l’executive education est une stratégie pour certaines Business Schools pour faire de l’argent, notre priorité est ailleurs. Elle est là pour financer notre recherche. Nous ne sommes pas une machine à faire de l’argent. Dans un établissement européen que je ne citerai pas, les professeurs sont des «partners» et payés en fonction des revenus des programmes «execs». Nous sommes des universitaires. Si l’argent était ma principale motivation, je ne serais pas ici.

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