Le temps des sacrifices

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La BCE évoque ouvertement l’idée d’un «sacrifice» entre croissance et inflation.

Avant la pandémie, le PIB réel mondial progressait au rythme d’environ 3,5% par an. Après une forte déviation vers le bas en 2020 puis vers le haut en 2021, on semblait revenir vers ce rythme de croisière en 2022 quand deux chocs sont survenus. Le premier est la guerre en Ukraine, qui a surtout des répercussions négatives directes sur l’Europe via les canaux de l’incertitude, des prix, de l’activité et des échanges. La crise de l’énergie s’est aggravée durant l’été. Le second est le revirement des politiques monétaires, lui aussi plus intense depuis l’été. Pour s’excuser de leur patience face à la hausse des prix en 2021, les banques centrales resserrent désormais leur politique à un rythme inégalé. Plus haut, plus vite et pour plus longtemps, telle est la direction du voyage monétaire.

L’Europe prise en tenaille

Depuis plusieurs mois, l’Europe est prise dans un étau. Crise énergétique d’un côté, resserrement monétaire de l’autre. Cet étau s’est encore resserré durant l’été. C’est à croire que Vladimir Poutine et la Banque centrale européenne ont un objectif commun, qui est de pousser l’économie européenne vers la récession. Du côté de Poutine, il s’agit d’infliger le plus de mal possible à un adversaire qui lui impose de lourdes sanctions. En suspendant ses livraisons de gaz à l’Allemagne, la Russie a provoqué une nouvelle flambée des prix de l’énergie, dans le but évident de créer de l’instabilité sociale dans l’UE, fragiliser les gouvernements et les forcer à atténuer les sanctions. C’est du chantage pur et simple. Rien ne suggère que l’Europe songe à réduire son soutien financier ou militaire à l’Ukraine, tout au contraire. Sur le champ de bataille, les dernières informations font état de revers pour les forces russes. Du côté de la BCE, affaiblir l’économie n’est pas une fin en soi mais c’est un moyen de calmer les tensions inflationnistes. Une récession est vue comme un mal nécessaire car c’est un processus désinflationniste. La BCE évoque ouvertement l’idée d’un «sacrifice» entre croissance et inflation.

Concernant la croissance, tous les risques pointent vers le bas. Dès l’invasion de l’Ukraine en février, les indicateurs de climat des affaires ont commencé à fléchir. Cet été, leur recul s’est amplifié jusqu’à franchir, dans certains secteurs ou pays de la zone euro, le seuil d’entrée en récession. Par rapport à 2019, le solde commercial en produits énergétiques s’est dégradé de l’ordre de 4 points de PIB. Il n’y a pas de précédent à un tel choc sur les revenus réels sans une contraction de l’activité et de la demande. Pour certaines entreprises, il est tout bonnement préférable de réduire l’utilisation de leurs capacités plutôt que de produire. C’est le cas des activités énergivores, telles que la chimie, la métallurgie, la production de papier ou de verre. Les Européens ont déjà commencé à diminuer leur demande d’énergie et à substituer d’autres sources de production mais le marché reste déséquilibré à l’approche de la période cruciale de l’hiver. Le risque de rationnement ou de coupure de courant est un paramètre que nul ne peut ignorer. Seul le marché du travail montre encore une certaine vigueur, mais il est douteux que les entreprises continuent d’embaucher si, par ailleurs, elles réduisent leurs investissements et apurent leurs stocks. Tout cela renforce le scénario d’une contraction de l’activité, au moins jusqu’à ce que les incertitudes hivernales soient passées.

Le grand retour de l’orthodoxie monétaire

Concernant l’inflation, les risques pointent vers le haut en zone euro, même s’il y a des signes de modération aux Etats-Unis et en Chine. Tout d’abord, les prix de gros du gaz et de l’électricité ont explosé, entre 10 et 20 fois au-dessus du niveau normal. Même si les prix de détail sont régulés et beaucoup moins réactifs, leur tendance reste haussière, d’autant que les mesures de protection des consommateurs sont amenées à s’amenuiser ou disparaître dans les prochains mois. Elles pèsent lourdement sur les finances publiques et brouillent les incitations à revoir le mix énergétique. Ensuite, il y a des signes d’accélération de l’inflation dans l’alimentation et certains services. La faiblesse de l’euro contribue à renchérir les importations. Après avoir dépassé 9% en zone euro en août, le taux d’inflation se dirige un record à deux chiffres d’ici le début de 2023.

Combattre l’inflation et éviter la récession appellent en principe des réactions diamétralement opposées de politique économique, restriction d’un côté, assouplissement de l’autre. C’est là une différence majeure avec la crise pandémique. A l’époque, les politiques budgétaire et monétaires étaient assouplies de concert car l’inflation était basse. Rien de tel n’est possible quand l’inflation atteint des records historiques. Ayant sous-estimé la persistance de ce choc l’an dernier, les banques centrales sont d’autant plus agressives maintenant. La Fed vise à être restrictive avec des taux directeurs au-dessus de 4% en fin d’année. Partie plus tard que la Fed dans le cycle de resserrement, la BCE va tout faire pour montrer qu’elle est inflexible dans son mandat anti-inflationniste. La BCE n’est pas simplement redevenue orthodoxe, elle est ultra-orthodoxe.

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