La récession en scénario central

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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En attendant un repli de l’inflation début 2023, les perspectives de croissance s’orientent nettement à la baisse.

En juillet, les indicateurs cycliques en Europe et aux Etats-Unis ont accentué leur repli au point de s’approcher ou de franchir, dans certains cas, le seuil d’entrée en récession. La dégradation touche le climat des affaires, la confiance des ménages, les dépenses de consommation, l’activité du secteur immobilier, le commerce mondial. Voilà pour le passé.

Concernant l’avenir, les risques baissiers s’empilent les uns sur les autres: la Russie attise autant que possible la crise de l’énergie, ce qui aggrave la poussée d’inflation; l’accès au crédit devient plus difficile; les entreprises réalisent qu’elles ont trop de stocks par rapport à la demande anticipée. Seul point positif, les marchés du travail sont résistants, mais pour combien de temps? Ne cherchons pas de soutien du côté de la politique économique, la priorité est de combattre l’inflation, quitte à sacrifier une part de la croissance. Les politiques monétaires sont durcies à une vitesse rarement égalée par le passé. Il y a quelques mesures fiscales ciblées en réaction au choc énergétique, mais les politiques budgétaires sont au mieux neutres. Dans ces conditions, aucune région n’est à même de tirer les autres de l’ornière. La Chine se débat avec sa crise immobilière, les Etats-Unis sont en récession technique et au bord de la récession réelle, l’Europe reste la zone la plus fragile. La question n’est pas de savoir s’il y aura des pénuries d’énergie cet hiver mais de quelle ampleur.

S’il est d’usage de considérer le cycle économique comme l’alternance entre des phases d’expansion et de récession, le passage de l’une à l’autre est rarement instantané. La pandémie en est le parfait contre-exemple. Du jour au lendemain, l’économie mondiale a été stoppée, l’activité s’est effondrée, puis quelques mois plus tard, aidée par de puissantes politiques de relance, l’économie globale est repartie de l’avant à un rythme effréné. Dans un cycle ordinaire, ni la chute, ni le rebond ne se dessinent aussi nettement. Ainsi, le déclenchement de la guerre en Ukraine a accentué les risques baissiers sur l’activité, mais, pendant plusieurs mois, il subsistait un doute sur leur matérialisation. Ce doute n’est plus permis.

Désormais, la Fed et la BCE se gardent de pré-annoncer l’ampleur de leur prochain geste, mais restent claires sur la direction: poursuivre le resserrement de leur politique monétaire tant qu’il n’y aura pas des signes de modération de l’inflation.

Il n’y a plus de doute sur la volonté du gouvernement russe d’instrumentaliser la crise de l’énergie pour affaiblir et diviser les pays européens. Qui peut croire que ce sont des problèmes de maintenance des installations qui expliquent l’intermittence des livraisons de gaz russe? Depuis la mi-juin, les flux passant par Nord Stream ont été réduits à 40% de la normale, puis à zéro, rétablis à 40%, avant d’être recoupés à 20%. Les Européens diversifient leurs approvisionnements, remplissent les installations de stockage à un bon rythme, encouragent les efforts pour réduire leur demande, dans l’espoir que cela évite un rationnement. C’est une course contre la montre en prévision de l’hiver 2022-2023. A terme, Poutine perdra tout levier sur l’Europe dans le domaine de l’énergie, mais en attendant, il l’utilise au maximum. Le choc d’incertitude, loin de s’atténuer, a continué de s’intensifier. C’est au détriment des conditions d’activité.

Il n’y a plus de doute non plus sur le fait que les banques centrales sont prêtes à sacrifier la croissance économique, si besoin, pour faire baisser le risque inflationniste. Dans ce but, elles poursuivent la remontée de leurs taux directeurs à une vitesse accélérée, à l’exception de la Chine et du Japon. Le taux directeur mondial (une moyenne pondérée des taux directeurs de chaque pays) a été relevé de 7bp par mois au premier trimestre, 19bp par mois au deuxième trimestre, 36bp en juillet, pour un total d’environ 120bp depuis le début de l’année. On peut douter que ces actions modèrent rapidement l’inflation, qui résulte surtout d’un choc d’offre. Elles visent à éviter que les anticipations d’inflation ne déraillent. Désormais, la Fed et la BCE se gardent de pré-annoncer l’ampleur de leur prochain geste, mais restent claires sur la direction: poursuivre le resserrement de leur politique monétaire tant qu’il n’y aura pas des signes de modération de l’inflation.

Il n’y a plus de doute enfin quant aux répercussions de tout cela sur les conditions d’activité. En juillet, tous les indicateurs cycliques ont continué de baisser, qui plus est, à un rythme accentué. Cela concerne d’abord les entreprises. Pour la première fois depuis le confinement de 2020, le climat des affaires est tombé en «territoire de récession» dans plusieurs pays, dont l’Allemagne. Les entreprises ont des stocks de produits finis trop élevés au regard de la demande future, ce qui amènera à réduire plus avant la production (contrepoint positif: cela devrait modérer les tensions de prix). Secundo, le moral des ménages a enfoncé ses récents records de faiblesse. Avec un choc d’inflation qui perdure et ponctionne les revenus réels (malgré la compensation partielle via des mesures budgétaires ciblées et transitoires), les intentions de dépenses sont réduites. Les conditions d’emploi restent solides mais on perçoit des signes de fragilité, par exemple aux Etats-Unis une remontée des inscriptions au chômage. Tertio, les banques sont devenues beaucoup plus frileuses. En zone euro, le dernier Bank Lending Survey signale un resserrement des standards de crédit pour toutes les catégories de prêts. Aux Etats-Unis, la demande de logements, qui dépend beaucoup du coût des crédits, est en train de s’effondrer. Pour finir, on peut ajouter une remontée des risques politiques (Royaume-Uni, Italie) et géopolitiques (tensions US-Chine).

Ces éléments mis à bout à bout conduisent à abaisser les perspectives de croissance mondiale sur le second semestre 2022 et le début 2023. Les Etats-Unis étaient en «récession technique» au premier semestre, mais la contraction de la demande interne reste à venir. En Chine, malgré le rebond d’activité suite à la levée des restrictions sanitaires, la purge de la bulle immobilière bat son plein au point que les autorités ont admis que leur cible de croissance était hors d’atteinte. Ce n’est pas sans conséquence pour les pays émergents, déjà fragilisés par la forte hausse des taux américains et du dollar. En Europe, même si les efforts pour réduire la dépendance à la Russie portent leurs fruits, il est improbable que les mois d’hiver se passent sans aucune friction sur les marchés de l’énergie. Notre scénario de base est désormais une récession au cours des prochains trimestres. L’économie allemande est la plus exposée car sa base industrielle ne peut fonctionner efficacement si la production d’énergie est réduite, intermittente ou trop onéreuse. Dans ces conditions, on peut s’attendre à ce que l’inflation amorce un repli, potentiellement rapide, début 2023, donnant aux banques centrales l’occasion de stopper leur cycle de hausse de taux, ce qui par la suite allègerait les conditions financières. Par rapport à ce scénario central, la balance des risques penche toujours vers le bas; les raisons ne manquent pas: pénurie massive de gaz, reprise de la pandémie, crise de la dette…

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