Sacrifier la croissance pour combattre l’inflation

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Risquer une petite récession aujourd’hui plutôt qu’une grave dépression demain.

Pendant plus de trente ans, l’inflation étant faible et peu volatile, les responsables de politique économique ont pu croire qu’ils avaient définitivement résolu une partie du problème et qu’il leur suffisait de se concentrer sur l’autre. Quand l’économie tombait en récession, la réaction évidente était d’assouplir la politique économique, en particulier la politique monétaire, pour soutenir la demande et l’emploi sans craindre un dérapage des prix.

Dorénavant le problème est tout autre. L’inflation ne cesse de monter et n’est pas loin de 10% en zone euro. Après une accélération exceptionnelle en 2021, la croissance économique a fortement ralenti. De plus, comme la guerre en Ukraine a amplifié la crise énergétique au point de faire craindre un rationnement l’hiver prochain, le risque de récession augmente. Cette fois-ci, les deux objectifs appellent des réactions contraires de la politique économique. Combattre l’inflation demande un resserrement monétaire qui pèsera sur la croissance et provoquera une hausse du chômage.

Tout indique que les Européens sont aussi angoissés que les Américains par l’envolée des prix.

Ainsi, il faut choisir entre stabilité des prix ou stabilité de l’emploi. Pour trouver la bonne réponse, il faut considérer la nature du choc d’inflation et la répartition des coûts.

En 2020, l’économie mondiale a été mise à l’arrêt pour stopper la circulation du coronavirus. Ce fut la récession la plus grave de l’histoire moderne. Le rebond a été spectaculaire, mais ce résultat n’allait pas de soi. Beaucoup craignaient une reprise molle, avec des rechutes, voire pas de reprise du tout. Les préoccupations touchant à l’inflation étaient inexistantes. Or, en quelques mois, l’inflation s’est imposée comme le problème principal.

Une illustration frappante est donnée par un sondage que conduit Gallup depuis le début des années 1980 auprès d’un panel d’Américains. Il leur faut classer les problèmes économiques par ordre de sévérité. Pendant longtemps, l’inflation n’était presque jamais citée comme un souci. Aujourd’hui, environ un quart des sondés voient l’inflation comme un problème majeur. Tout indique que les Européens sont aussi angoissés que les Américains par l’envolée des prix.

«Infl’action», réaction

Il y a toutefois des différences entre les deux zones. Aux Etats-Unis, l’inflation vient pour 30% environ de l’énergie, le reste résultant de la vigueur de la demande en biens et services non-énergétiques. En zone euro, cette part dépasse 50%. En simplifiant, on serait tenté de dire que l’inflation américaine est due à un excès de demande tandis que l’inflation européenne résulte surtout de problèmes d’offre. Cette distinction est importante car la politique monétaire peut certes affecter la consommation des ménages ou l’investissement des entreprises mais n’a pas de prise directe sur la production et la distribution d’énergie.

Sans une réaction forte, les banques centrales perdraient toute crédibilité par rapport à leur mandat fixant l’inflation-cible à 2%.

Désormais, le changement de psychologie des consommateurs impose à tous les banquiers centraux de viser la désinflation sans tarder. Il y aura fatalement un coût en termes de croissance ou d’emplois perdus mais il doit être mis en balance avec des bénéfices espérés à plus long terme. L’expérience montre qu’en général, quand il faut resserrer la politique monétaire, les banquiers centraux optent pour le gradualisme. Ce n’est plus le cas.

Sans une réaction forte, les banques centrales perdraient toute crédibilité par rapport à leur mandat fixant l’inflation-cible à 2%. Les ménages pourraient être conduit à penser que 10% d’inflation sont un nouveau régime permanent, ajuster leurs revendications salariales en conséquence, aboutissant à une spirale entre les prix et les salaires. Une telle situation s’est produite dans les années 1970. Seule une grave crise économique avait alors permis de réduire les anticipations d’inflation. En 2022, le sacrifice revient donc à risquer une petite récession aujourd’hui plutôt qu’une grave récession demain.

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