Le nouveau logiciel de la BCE

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La poussée d’inflation post-confinement amène les banquiers centraux à revoir leur mode de comportement.

Jusqu’à récemment, il était largement admis qu’une banque centrale ne devait pas réagir à une poussée d’inflation causée par un choc d’offre et qu’elle devait être graduelle dans les phases de resserrement monétaire. La Banque centrale européenne fait le contraire. Sa fonction de réaction a changé. Désormais, elle considère que l’origine du choc d’inflation, offre ou demande, est indifférent.

Le gradualisme est passé de mode

En décidant une hausse de ses taux directeurs de 50 points de base à sa réunion du 21 juillet, la BCE avait prévenu qu’elle augmenterait les hausses de taux sauf si les tensions d’inflation s’apaisaient. Dernièrement, plusieurs gouverneurs se sont positionnés en ce sens et les deux membres les plus influents du Conseil, à savoir Isabel Schnabel (directoire de la BCE) et Joachim Nagel (Bundesbank), n’y semblent pas opposés.

La raison immédiate poussant la BCE à amplifier le resserrement monétaire est que l’inflation continue de s’éloigner de sa cible, en large partie car la crise de l’énergie continue de s’aggraver. En août, la hausse des prix à la consommation a inscrit un nouveau record en Allemagne (8,8% sur un an), en Italie (9%) et en zone euro (9,1%). On est proche des points hauts en France (6,5%) et en Espagne (10,3%). Encore ces chiffres sont atténués par les mesures de protection des consommateurs, mais elles ne sont pas éternelles.

La raison est que la BCE a radicalement changé son logiciel d’analyse du choc d’inflation et la réponse qu’il faut lui apporter. Le problème qui est posé aux banquiers centraux est simple à formuler, quoique souvent difficile à résoudre: voici un mandat, garantir la stabilité des prix, libre à vous de modifier votre politique pour que l’économie s’écarte le moins possible des objectifs fixés. La fameuse «règle de Taylor» décrit ainsi comment le niveau des taux directeurs doit évoluer en fonction des écarts entre l’inflation et sa cible, entre le chômage et son niveau d’équilibre. Une banque centrale ne suit jamais à la lettre une règle aussi simple mais elle a nécessairement un cadre d’analyse éclairant les questions suivantes: Faut-il réagir de manière graduelle ou agressive? Ou encore, faut-il ajuster la réaction à la nature du choc?

Les réactions de la BCE

Vu l’expérience des dernières décennies caractérisées par la modération puis par la faiblesse de l’inflation, les réponses usuelles à ces deux questions étaient à peu près les suivantes.

Il faut réagir de manière agressive si les risques pointent vers la récession, à plus forte raison vers la déflation, mais de manière graduelle en cas de surchauffe. Cette asymétrie tient à l’existence d’une limite à la baisse des taux. Face à un choc négatif, il vaut donc mieux agir sans délai afin de ne pas atteindre cette limite où la politique monétaire inefficace, et si c’est le cas, il ne faut pas hésiter à inventer des outils de type quantitative easing. A l’inverse, comme il n’y a pas de plafond à la hausse des taux, il est préférable d’avancer avec précaution lors des phases de resserrement monétaire. C’est la thèse du gradualisme qui était jusque récemment un article de foi pour les banquiers centraux.

De plus, Il faut réagir aux chocs d’inflation venant de la demande car la politique monétaire a un rôle de stabilisation du cycle en influençant les conditions de crédit et d’activité, mais non sur les chocs d’offre qui ne dépendent pas de facteurs monétaires.

Mais, la poussée d’inflation post-confinement aggravée par la crise de l’énergie, amène les banquiers centraux à revoir leur mode de comportement. Plusieurs discours récents sont éclairants sur ce point, surtout celui d’Isabel Schnabel à Jackson Hole, mais aussi ceux du gouverneur de la Banque de France et du chef économiste de la BCE. En résumant à gros traits, on comprend que la BCE a pour ligne de conduite les deux axiomes suivants: Dans un choc qui se distingue par une incertitude sans précédent sur la persistance de l’inflation, le resserrement monétaire doit être le plus rapide et agressif possible; Il n’importe pas du tout de savoir si l’inflation est causée par la demande ou par l’offre.

L’argument principal touche aux anticipations d’inflation. Plus le choc dure, plus il est fort, plus les agents peuvent penser qu’il traduit un changement structurel dans la formation des prix, et non une déviation qui se corrigera au cours du temps. La crise de l’énergie en donne un bon exemple. Même si l’inflation a une cause avant tout énergétique, les tensions tendent à se diffuser.

Compte tenu de la nouvelle fonction de réaction de la BCE, il semble probable que la BCE opte pour des hausses de taux plus sévères qu’auparavant. Au cours de l’été, les marchés de swap ont revu à la hausse leurs anticipations de taux directeur, sans être contredit par le moindre commentaire officiel. Les derniers chiffres d’inflation ayant surpris vers le haut, les nouvelles projections du staff de la BCE seront revues dans le même sens, donnant du poids aux partisans d’une hausse plus rapide et plus forte.

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