Crise de l’énergie: la facture s’alourdit encore

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Face au risque de récession, la BCE est soit dans le déni, soit dans l’idée que c’est un mal nécessaire…

L’incertitude sur la production et sur la consommation d’énergie l’hiver prochain est plus forte que jamais, causant un emballement des prix de marché du gaz et de l’électricité. Ces prix exagèrent le coût réel supporté par les entreprises et les ménages mais le renchérissement de la facture énergétique est tout de même massif. Les importations nettes d’énergie en zone euro absorbent environ 3 points de PIB de plus qu’en 2021. Autant de ressources détournées d’un usage productif ou générateur de croissance. Même avec des mesures compensatoires, l’inflation est vouée à accélérer, attisant la phobie inflationniste de la BCE.

Récession et inflation à deux chiffres en vue

La crise de l’énergie en Europe, qui a débuté l’été dernier, a pris des proportions gigantesques. Le prix du gaz naturel ressort à 238 euros le mégawatheure en moyenne en août quand le niveau usuel jusqu’en 2019 ne dépassait pas 20 euros. Le prix de l’électricité, qui dépend en large partie de celui du gaz, bat aussi record sur record, à dix fois son niveau normal, et même plus de vingt fois si on considère les prix futurs sur les échéances de l’hiver prochain. La cause, les perturbations répétées des livraisons de gaz russe font craindre que la fourniture d’énergie et d’électricité soit structurellement insuffisante dans les prochains mois.

Au total, si les prix actuels devaient perdurer, cela mettrait la facture énergétique à plus de 16% du PIB en zone euro au lieu de 3% en 2019 et 5% en 2021. Ce calcul est une exagération car les prix en question ne sont pas ceux réellement payés par toutes les entreprises, certaines ayant des contrats de long terme avec leurs fournisseurs, et encore moins par les ménages qui bénéficient des mesures de plafonnement ou d’aides fiscales. Une estimation plus juste de la facture énergétique consiste à valoriser la balance des échanges en produits énergétiques. Elle avoisine 5% du PIB actuellement, soit près de 3 points de plus que la norme prépandémie, ou 350 milliards d’euros. Avant même la montée usuelle de la demande durant l’hiver, les consommateurs européens, firmes ou ménages, ont à subir une lourde ponction sur leurs ressources, ce qui est de nature à perturber la production, à déprimer la demande, bref à causer une récession.

Des ajustements à venir

L’envolée récente des prix traduit l’anticipation d’un déséquilibre durable sur les marchés de l’énergie. Du côté de l’offre, ce déséquilibre vient des tensions entre l’Europe et la Russie. Dans ce rapport de forces, la Russie a tout intérêt à réduire ou couper ses livraisons de gaz avant que l’UE n’ait eu le temps de bâtir les infrastructures permettant de diversifier ses achats ou de modifier son mix énergétique. Les contraintes d’offre liées aux tensions avec la Russie sont amplifiées car les marchés de l’énergie sont mal intégrés d’un pays à l’autre en Europe.

Du côté de la demande, la réaction semble modeste à ce jour en raison du délai de transmission du choc de prix et de la relative insensibilité de la demande. Dans le cas du gaz, l’élasticité-prix de la demande des ménages est estimée par le FMI à -0,15 et le coefficient de transmission des prix de gros aux prix de détail à 20%. Partant de là, une hausse des prix de gros de 500% entraînerait une baisse de la demande de 15%, une proportion vue comme suffisante par la Commission européenne pour absorber la fin des livraisons de gaz russe. Dans les faits, la transmission dans la chaîne de prix est plus atténuée. Pour les ménages, la consommation d’énergie répond avant tout à des besoins primaires. Il faut donc une forte incitation pour en changer, soit par la réglementation, soit par le jeu du marché. Cet ajustement reste à venir.

Même s’il y a des délais dans l’ajustement de l’offre et de la demande en énergie, l’envolée récente des prix de gros n’en reste pas moins surprenante. Comment l’expliquer? Tout d’abord, on ne peut exclure des surréactions liées à des ajustements techniques dans le cadre de stratégie de couverture des acteurs de marché. De plus, dans la perspective d’un arrêt définitif des livraisons de gaz russe, la demande de stockage est certainement plus forte que la normale, encouragée par les gouvernements qui veulent aborder la période hivernale avec le maximum de réserves. Pour autant, personne ne peut dire aujourd’hui si les températures hivernales seront dans la norme ou si elles s’en écarteront et dans quel sens. En somme, les prix actuels risquent de surestimer le déséquilibre réel entre offre et demande.

A ce jour, l’inflation en zone euro est due pour moitié directement à l’énergie, davantage en comptant les effets indirects. A 8,9% sur un an en juillet et avec des risques haussiers, une inflation moyenne à deux chiffres en zone euro est tout à fait possible fin 2022-début 2023. Dans ces conditions, la BCE va poursuivre le resserrement avec en tête l’objectif de rassurer sur sa crédibilité anti-inflationniste. On peut avoir de sérieux doutes sur l’effet désinflationniste d’une hausse des taux directeurs face à un choc d’offre. Il est certain par contre que cela renforcera l’impact négatif sur la demande domestique et l’activité. Aux dernières nouvelles, face au risque de récession, la BCE est soit dans le déni, soit dans l’idée que c’est un mal nécessaire…

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