Le régulateur américain à l’attaque du secteur crypto

Alexandre Stachtchenko & Grégoire Rey, Blockchain Partner by KPMG

2 minutes de lecture

Chronique blockchain. Les décisions des autorités US, en l’absence d’un cadre règlementaire clair, sonnent comme une «victoire» de l’approche européenne.

Depuis la faillite de la plateforme d’échange centralisée FTX au mois de novembre dernier, les instances réglementaires américaines ont porté plusieurs coups aux acteurs majeurs de l’écosystème crypto. Contrairement aux initiatives européennes, avec notamment la création du règlement MiCA («Markets in Crypto-Assets») qui entrera en vigueur en 2024, les Etats-Unis demeurent aujourd’hui dépourvus d’un cadre règlementaire précis, ce qui induit une gouvernance par mesures d’exécution au bon vouloir des autorités. Les plateformes d’échange centralisées Kraken et Binance en ont récemment fait les frais.

Tout d’abord, Kraken, ciblé par la Securities and Exchange Commission (SEC) le 9 février dernier1. Le régulateur américain a ordonné à la plateforme de cesser son offre de staking auprès de sa clientèle américaine. Ce n’est pas tant le concept technique du staking qui est remis en cause – à savoir la délégation par l’utilisateur de ses cryptomonnaies à la plateforme, afin qu’elle agisse comme un validateur de blocs en échange d’un rendement prédéfini – mais plutôt la façon dont l’avait commercialisé Kraken. En effet, les contrats d’investissement proposés faisaient état d’un rendement annuel fixe sans inclure les mises en garde nécessaires relatives, par exemple, au risque de perte en capital, visant à protéger les investisseurs. Le patron de la SEC, Gary Gensler, a également déclaré que les produits de staking devaient être enregistrés auprès du régulateur. La décision, avec prise d’effet immédiat, s’est accompagnée d’une amende de 30 millions de dollars.

La principale incertitude concerne la qualification de certains cryptoactifs en tant que titres financiers.

Après la SEC, ce fût au tour du Département des Services Financiers de l’Etat de New York (NY DFS) de se distinguer, à travers une attaque portée à Paxos, l’entreprise américaine émettrice du stablecoin BUSD pour le compte de la plateforme Binance. Le régulateur reproche à Paxos d’avoir laissé émettre le stablecoin sur d’autres blockchains qu’Ethereum, seule infrastructure autorisée par l’instance New-Yorkaise2. Par ailleurs, Binance a reconnu que les jetons de ce stablecoin circulant sur des réseaux autres qu’Ethereum avaient été sous-collatéralisés par le passé3. Ainsi, Paxos a été sommé d’arrêter d’émettre le BUSD sur toutes les blockchains, y compris Ethereum. Ce stablecoin, dont la capitalisation de marché est passée d’environ 16 milliards de dollars à 8 milliards de dollars depuis l’annonce du 13 février dernier, est condamné à mourir à petit feu, laissant aux détenteurs la seule possibilité d’échanger cet actif contre une autre valeur.

Ces deux événements récents viennent garnir le tableau de chasse des instances réglementaires américaines à l’encontre des acteurs cryptos. Ils sont synonymes d’une menace qui plane, pouvant frapper à tout moment, telle une épée de Damoclès. Actuellement, la principale incertitude concerne la qualification de certains cryptoactifs en tant que titres financiers. En effet, la SEC a de nombreuses fois fait entendre qu’elle considérait la plupart des cryptos comme étant des securities, auquel cas les actifs concernés devraient être enregistrés auprès de la SEC et se conformer aux règles afférentes.

Aussi, les décisions récentes remettent en cause l’image favorable dont bénéficiait le marché étasunien jusque-là. En effet, si pendant longtemps les autorités américaines ont pu sembler favorables à l’innovation, de par leur refus de réguler hâtivement les acteurs cryptos, la réalité apparaît aujourd’hui sous une lumière différente. Face au risque grandissant de sanctions ou interdictions ex post, les acteurs technologiques pourraient même regretter l’absence d’un cadre plus clair, bien que potentiellement plus contraignant.

En dépit d’un étau règlementaire qui se resserre, les entreprises crypto implantées aux Etats-Unis continuent à innover. A titre d’exemple, Coinbase, déjà cotée au Nasdaq, a récemment annoncé la création d’une couche secondaire appelée Base sur Ethereum4. Cette infrastructure, à destination des développeurs, devra servir de catalyseur pour embarquer une partie des 110 millions d’utilisateurs5 de la plateforme vers des applications décentralisées.

Cependant, à défaut d’initiatives législatives visant à réguler le marché américain, certains acteurs crypto outre-Atlantique pourraient trouver en l’espace de l’Union européenne une terre d’accueil plus propice à la poursuite d’initiatives innovantes. Ce scénario tendrait à valider l’approche menée par l’Union européenne, à savoir déterminer les règles du jeu avant le passage à l’échelle des services et produits du Web3.

A lire aussi...