La crypto peut-elle encore mourir?

Alexandre Stachtchenko & Flavio Restelli, Blockchain Partner by KPMG

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Chronique blockchain. Chaque année, la fin des cryptos est annoncée. Pourtant le Bitcoin vient de souffler sa quatorzième bougie. Mais les risques ne sont pas tous écartés.

Comme recensé par plusieurs sites à caractère ironique, Bitcoin est déjà «mort» entre 400 et 500 fois. Et avec lui, l’ensemble de l’écosystème crypto a souvent été déclaré au bord du gouffre. Néanmoins, force est de constater qu’en dépit des nombreuses oraisons funèbres, Bitcoin et les cryptos sont toujours là. Malgré une année 2022 difficile du point de vue des valorisations boursières, l’adoption progresse, et le développement technologique garde le cap dans la tempête. A cet égard, vous retrouverez nos analyses dans le rapport KPMG «Perspectives Crypto 2023», qui sera publié le 10 janvier.

Revenons à notre question: est-ce que la Crypto peut encore véritablement mourir? Y-a-il des risques qu’il faut surveiller avec attention particulière? La réponse courte est «oui», bien que la probabilité soit très faible.

D’abord, passons en revue les questions qui, selon nous, ne constituent pas de risques mortels pour les cryptos.

Tout d’abord, la cybersécurité. 2022 a vu les chiffres des cyberattaques à l’encontre de protocoles et entreprises crypto atteindre de nouveaux sommets. Déjà en juin, nous soulignions ce problème majeur, qui ralentit l’adoption des cryptos mais n’est pas sans solution. Trois facteurs principaux sont susceptibles de contribuer à un changement:

  • La généralisation de bonnes pratiques, tant du côté des prestataires de services que parmi les utilisateurs;
  • L’augmentation du nombre d’experts cyber-crypto, capables par exemple de réaliser un audit complet de smart contracts;
  • L’avancement de la règlementation, accélérant le nettoyage du secteur au détriment des acteurs qui n’assurent pas un niveau de sécurité suffisant.
Tuer définitivement le Bitcoin ou l'Ethereum demanderait un effort de coordination international très improbable, voire complètement inédit.

A la deuxième place: la conformité. Pour rappel, puisqu’elles circulent sur des registres publics transparents, les cryptos ne se prêtent pas ou très peu aux pratiques illégales. Selon Chainalysis, société spécialisée dans la traçabilité on-chain, seulement 0,15% des opérations cryptos sont liées à des activités illicites. L’adoption par les institutions financières est rendue possible par l’application de plus en plus systématique de contrôles d’origine des fonds, avec les technologies proposées par des acteurs comme le susmentionné Chainalysis, ou encore Scorechain ou Ciphertrace.

Enfin, les monnaies numériques de banque centrale, parfois vues comme les grands concurrents des cryptos. Nous identifions trois scénarii à ce propos:

  • Scénario «à la chinoise»: interdiction des cryptos et promotion de la MNBC nationale ou régionale. Nous espérons que l’Union Européenne ne fera pas ce choix liberticide, foncièrement contraire à ses principes fondateurs.
  • Scénario «coexistence»: l’euro numérique circule sur une infrastructure centralisée, contrôlée par la BCE. L’objectif assumé serait de remplacer les espèces, mais cet «e-euro» resterait censurable, saisissable. Les cryptos, utilisant des blockchains publiques et décentralisées, existent en parallèle, avec une proposition de valeur bien différente: la possession numérique.
  • Scénario «full-blockchain»: la BCE émet l’euro numérique sur une blockchain publique. Autrement dit, la banque centrale crée son propre stablecoin, au sein de l’écosystème crypto.

Mais alors, quels sont les risques mortels pour les cryptos? Puisque la galaxie crypto tient essentiellement sur deux piliers, à savoir Bitcoin et Ethereum, nous identifions un danger majeur de chaque côté.

  1. Risque pour Bitcoin: l’interdiction de la preuve de travail.
    L’utilisation élevée d’énergie du réseau Bitcoin est considérée comme un fait problématique dans le débat public. En réaction aux critiques à l’encontre de la preuve de travail, utilisé pour sécuriser l’infrastructure Bitcoin, certains députés européens sont allés jusqu’à proposer son interdiction. Heureusement, la version finale du règlement européen MiCA n’inclut pas cette interdiction, qui n’aurait pas seulement été néfaste pour Bitcoin, mais aussi intrinsèquement injuste voire illogique. En effet, le minage ne constitue pas le fléau environnemental que certain décrivent, pouvant notamment servir de tampon économique pour l’énergie gaspillée. La géo-indépendance des mineurs constitue même un atout pour la transition énergétique, puisque le minage pourrait favoriser la rentabilité des investissements dans les énergies renouvelables et la stabilité des réseaux électriques. Plus de détails dans notre Rapport 2023.
     
  2. Risque pour Ethereum: la qualification de l’Ether comme security.
    Il s’agit de savoir si, d’un point de vue juridique, la cryptomonnaie native d’Ethereum, l’Ether, constitue une commodity (un bien marchandise) ou bien une security (un titre financier). Le passage d’Ethereum à une méthode de consensus de preuve d’enjeu  a compliqué cette affaire, puisqu’il est désormais possible de participer à la sécurisation du réseau en bloquant des Ethers dans le protocole, en échange d’une rémunération. A date, l’enjeu intéresse notamment les institutions américaines, avec des opinions divergentes  entre la SEC  et la CFTC. La résolution de ce désaccord pourrait avoir des implications très lourdes pour l’écosystème Ethereum, au sein duquel l’Ether a été émis et circule librement depuis plus de 7 ans. Est-ce qu’Ethereum pourrait encore être considéré comme une infrastructure décentralisée, si sa cryptomonnaie fondatrice était contrôlée par la SEC? Et la SEC aurait-elle la capacité effective de contrôler l’ETH?

Rassurons-nous: compte tenu de la portée potentiellement catastrophique des deux mesures, sur des bases largement discutables, le risque pour les cryptos demeure limité, bien qu’il existe. Tandis que des cryptomonnaies mineures disparaissent tous les jours, tuer définitivement Bitcoin ou Ethereum demanderait un effort de coordination international très improbable, voire complètement inédit.

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