Le plongeon irréfutable de l’économie américaine

Emmanuel Garessus

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La hausse des taux d’intérêt constitue un défi pour une économie toujours plus dominée par l’extension des dépenses publiques.

© Keystone

Après deux reculs successifs du PIB trimestriel qui ont lancé le débat sur l’existence ou non d’une récession de l’économie américaine, l’estimation pour le troisième trimestre vient d’être revue à la baisse. Le modèle prévisionnel de la Fed d’Atlanta ne s’attend plus qu’à une augmentation de 0,3%, contre 1,3% le 9 septembre dernier, selon une note de John Plassard, directeur chez Mirabaud & Cie. La crise de l’énergie déploie tous ses effets. Dans l’ensemble du monde, les coûts de l’énergie représentent d’ailleurs 13% du PIB cette année et non plus 4% comme en 2000, selon l’économiste. En parallèle, la lutte contre l’inflation oblige la Réserve fédérale à relever ses taux d’intérêt plus fortement et plus longtemps qu’elle ne l’envisageait au début de l’année. La Fed a augmenté ses taux directeurs de 0,75% mercredi, comme prévu par les économistes.

Joe Biden s’époumone à tenter de montrer la bonne tenue de l’économie américaine, mais en période préélectorale – les Midtermes se tiendront le 8 novembre – la méfiance est de mise à l’égard des déclarations des autorités. Il est certain qu’un reproche ne peut pas être attribué au président américain, le niveau d’inflation.

Le phénomène de hausse généralisée des prix est en effet le fruit d’une augmentation massive de la monnaie depuis le déclenchement de la pandémie (Hausse de la masse monétaire M2 de 41% en deux ans et demie). L’inflation est toujours un phénomène monétaire, comme l’a montré Milton Friedman. Le coup de frein récent de la Fed et la stagnation des agrégats monétaires produiront donc des effets très positifs sur les prix dans 12 à 18 mois mais augmenteront le risque de récession en 2023.

Contestation du bilan de Joe Biden

La loi contre l’inflation («Inflation Reduction Act») n’aura aucun impact à ce sujet, puisqu’il s’agit avant tout d’un programme de dépenses budgétaires destiné à réduire le réchauffement climatique, juge l’économiste Daniel Mitchell, sur son blog International Liberty. En matière de politique monétaire, Joe Biden joue tout de même un rôle, ajoute ce dernier, parce qu’il participe aux nominations à la direction de la Fed. Et ces dernières «suggèrent qu’il ne comprend pas la nécessité d’une saine politique monétaire», note Daniel Mitchell.

La «Bidenomics» est pourtant un succès si l’on en croit un article du New York Times sur le bilan positif dressé par Janet Yellen, Secrétaire au Trésor américain, à l’égard de sa «politique de l’offre»: investissements en infrastructures, extension de l’industrie des semi-conducteurs, soutien aux véhicules électriques.

La satisfaction des autorités sur leur bilan contraste avec les statistiques des salaires. En juillet, les revenus réels hebdomadaires ont chuté de 3,6% en un an et de 4,2%, selon les statistiques du Département du Travail, depuis l’entrée en fonction de Joe Biden, critique Daniel Mitchell. La hausse des prix (8,3% en août sur base annuelle) dépasse largement les ajustements de revenu des salariés.

Hausse du coût de la dette d’ici 2032

Si l’on prend un peu de distance sur les chiffres mensuels, les tendances à long terme ne sont guère rassurantes. Le changement de tendance des taux d’intérêt se traduit par un durcissement des conditions de crédit. Le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans a bondi à 4,6% (contre 1,5% fin 2021), ce qui accroît le coût de la dette publique.  

Le bureau du budget du Congrès américain, une agence non partisane, prévoit que dans dix ans le PIB américain aura augmenté de 48,5% par rapport à 2022, mais les dépenses publiques se seront accrues de 51,8% et les recettes fiscales fédérales de 36,2%. Il en résulterait un déficit budgétaire de 2 250 milliards de dollars, une augmentation de 217% par rapport à 2022. Le montant fait tourner la tête. Certes les prévisions sont très incertaines sur une longue période, mais l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le coût de la dette américaine serait impressionnant selon le scénario actuel.

L’Etat américain emprunte en effet plus de 1000 milliards de dollars en 2022, dont 39% pour le service de la dette. Dans dix ans, 1193 milliards de dollars, soit 52%, seront alloués au paiement des intérêts. «Plus de la moitié de ce que les Etats-Unis dépenseront pour emprunter ne serviront qu’à payer les intérêts de la dette», résume Richard Ebeling, essayiste et professeur émérite d’éthique à la Citadelle, à Charleston, sur le blog de la Future of Freedom Foundation.

Hausse du budget de l’état et de son coût

Il est nécessaire de mettre ces montants en perspective. En 1970, la sécurité sociale américaine, y compris Medicare nécessitait (en dollars d’aujourd’hui) 1500 milliards de dollars de dépenses publiques, soit 21% du budget fédéral. En 2022, la facture est passée à 1800 milliards (31% du budget). Or les déficits s’accumulent et le besoin de réforme s’intensifie face aux déficits des assurances sociales, en particulier en raison du vieillissement.

Les dépenses militaires atteignaient 600 milliards en 1970, en pleine guerre du Vietnam. En 2021, elles dépassaient 800 milliards de dollars (ajustés de l’inflation), note Richard Ebeling. La facture militaire s'est accrue d’un tiers en 50 ans.

Le poids de l'État dans l’économie n’a donc cessé d’augmenter, pour le meilleur ou pour le pire. Il représente 40% du PIB à travers les dépenses fédérales, des Etats et des collectivités locales. Le montant total atteint 10’000 milliards de dollars, ce qui correspond à la consommation de services  (transports, logement, santé, loisirs, hôtels, services financiers, assurances) des ménages américains, déplore Richard Ebeling.

La hausse des taux d’intérêt posera tôt ou tard la question des priorités à définir sur le total de 10’000 milliards de dollars de dépenses de l’Etat qu’il s’agit de financer d’une manière ou d’une autre.

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