La BCE face à ses incohérences

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Eviter à tout prix que le choc d’inflation exogène se transforme en choc endogène.

La BCE veut engager un cycle de hausses des taux directeurs… mais dans quel but exactement? Plusieurs réponses possibles. Tout d’abord, pour réduire l’inflation. Oui, mais l’inflation européenne est avant tout un choc exogène indifférent au taux de la BCE. Deuxièmement, pour stabiliser les anticipations d’inflation à moyen terme. D’accord, mais alors le coût est d’asphyxier le crédit et de pousser l’économie vers la récession alors qu’il n’y a pas de véritable surchauffe domestique. Enfin, pour soutenir l’euro et réduire la facture énergétique. Dans ce cas, il faudrait que la BCE soit vraiment crédible face au risque de fragmentation.

Hausse des taux en phase baissière du cycle

La BCE va augmenter ses taux directeurs pour la première fois depuis onze ans. La dernière hausse date du 7 juillet 2011, +25pb à 1,5%. Le taux d’inflation en zone euro était de 2,7%, ce qui était vu comme un dépassement gravissime de la cible de 2%. Sur les 25 membres actuels du Conseil des Gouverneurs, un seul était déjà en poste, Klaas Knot, gouverneur de la Banque des Pays Bas. Pour tous les autres, c’est le baptême du feu.

La BCE a commencé à préparer l’inversion de sa politique monétaire en février. L’option la plus souvent évoquée est une hausse de 25pb en juillet, 50pb en septembre, d’autres hausses étant censées suivre jusqu’à ce que les taux reviennent à un niveau «normal», entre 1% et 2% vers la mi-2023. Cela dit, par les temps qui courent, le contrôle des banques centrales est à considérer avec la plus grande prudence. A la BCE, la dernière rumeur est que la première hausse pourrait être de 50pb, une concession aux «faucons» en échange de leur soutien à l’outil anti-fragmentation. Si tel est le cas, c’est une curieuse manière de conduire la politique monétaire.

Combattre les anticipations d’inflation

Pourquoi la BCE est-elle décidée à durcir sa politique? L’explication triviale est qu’un resserrement monétaire réduira l’inflation. Or quand l’inflation pointe à près de 9% sur un an, une action urgente semble en effet s’imposer. Toutefois, même en faisant fi des délais de transmission de la politique monétaire à l’économie, on peut se demander si les choses se passeront ainsi en zone euro. Une politique monétaire plus restrictive peut réduire l’inflation si sa cause première est un excès de demande. Tant l’expérience historique que la théorie valident cette approche. Mais qu’en est-il si l’inflation résulte avant tout d’un choc d’offre exogène? Au premier trimestre 2022, en zone euro, la consommation réelle des ménages était encore 2,7% sous le niveau pré-Covid, l’investissement des entreprises 6,7% au-dessous. Excès de demande, vraiment? Par comparaison, aux Etats-Unis, la consommation dépassait de 4,8% son niveau de fin 2019 (+15% pour les dépenses en biens), et l’investissement de 5%. Dans les deux zones, le taux d’inflation est presque égal, mais ses causes sont différentes.

Personne à la BCE ne s’illusionne, on veut le croire, sur l’impact que les hausses de taux directeurs pourraient avoir sur les évolutions des prix du gaz naturel ou d’autres matières premières. C’est en dehors du champ d’application de la politique monétaire. L’objectif est ailleurs: il s’agit d’éviter que le choc d’inflation exogène se transforme en choc endogène si les agents économiques en venaient à modifier leur vue sur le régime d’inflation future (risque de spirale prix-salaires). Pour la stabilité économique, il y a de grands avantages à empêcher le dérapage des anticipations d’inflation. En regard, les risques liés au resserrement monétaire sont d’asphyxier le crédit bancaire et d’attiser les écarts de taux d’intérêt entre pays.

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