Le jour du dépassement

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Le problème de la consommation mondiale des ressources est surtout dû au fait que plus la population s’enrichit, plus elle consomme de calories d’origine animale.

©Keystone

Les évènements climatiques extrêmes observés simultanément dans plusieurs régions du monde ces dernières semaines nous font plus que jamais prendre conscience de l’accélération du changement climatique ainsi que de la difficile cohabitation entre l’humanité et les écosystèmes qui la nourrissent.

Le 28 juillet marque d’ailleurs cette année le jour du dépassement, soit le jour ou l’humanité a consommé l'ensemble des ressources que la planète peut régénérer en un an. Jamais depuis le début des estimations dans les années 1970, ce jour n’était tombé aussi tôt dans l’année (graphique 1). Au rythme actuel de la croissance de la population et de l’utilisation des ressources, les scientifiques estiment qu’il nous faudra trois planètes pour nourrir toute l’humanité en 2050.

Graphique 1: Evolution du jour du dépassement depuis 1970

Source: National Footprint and Biocapacity Accounts 2022 Edition data.footprintnetwork.org, World Bank, Refinitiv Datastream, J.P. Morgan Asset Management.
*To determine the date of Earth Overshoot Day for each year, Global Footprint Network calculates the number of days of that year that Earth’s biocapacity suffices to provide for humanity’s Ecological Footprint. The remainder of the year corresponds to global overshoot. Earth Overshoot Day is computed by dividing the planet’s biocapacity (the amount of ecological resources Earth is able to generate that year), by humanity’s Ecological Footprint (humanity’s demand for that year), and multiplying by 365, the number of days in a year: (Planet’s Biocapacity / Humanity’s Ecological Footprint) x 365 = Earth Overshoot Day.  Most recent data as of June 2022

 

Certains estiment toutefois que ce calcul n’est que théorique, que les inquiétudes au sujet de la surexploitation des ressources terrestres par l’humanité ne sont pas nouvelles et qu’elles se sont jusqu’ici avérées infondées.

En effet, au XVIIIe siècle, l’économiste Thomas Malthus s’inquiétait déjà du fait qu’une croissance exponentielle de la population conjuguée à une croissance linéaire des ressources ne pouvait mener qu’à la famine et à la misère. Cependant, depuis lors, la croissance de la production alimentaire a heureusement généralement suivi celle de la population mais ceci n’a pu être possible que «grâce» à l’utilisation massive d’engrais et de pesticides chimiques pour augmenter les rendements et à la déforestation pour augmenter les surfaces agricoles.

Ce modèle n’est bien entendu pas soutenable. Tout d’abord, car l’agriculture, qui est responsable de 18% des émissions de gaz à effet de serre globales, doit se décarboner comme nombre d’autres secteurs, pour que nous puissions atteindre nos objectifs climatiques. Ensuite, car les forêts jouent un rôle crucial dans nos écosystèmes, notamment en termes de biodiversité et d’absorption de CO2, et qu’on ne peut dès lors pas continuer à développer les surfaces agricoles à leur détriment.

Compte tenu de ces contraintes, faut-il dès lors craindre que Thomas Malthus ne finisse par avoir raison et que la planète ne soit en effet pas en mesure de nourrir une population mondiale qui approchera les 10 milliards d’individus en 2050?

Le problème n’est pas la croissance de la population en elle-même mais le fait qu’à mesure que celle-ci s’enrichit, elle consomme davantage de calories d’origine animale. En effet, 77% des surfaces agricoles sont aujourd’hui consacrées à l’élevage mais celui-ci ne produit que 18% des calories consommées par les êtres humains (graphique 2). L’élevage est en outre l’activité agricole qui génère le plus de gaz à effet de serre, principalement du méthane dont l’effet sur le climat est plus dévastateur encore que celui du CO2.

Graphique 2: Répartition des surfaces agricoles dans le monde

Source: UN Food and Agriculture Organization (FAO), J.P. Morgan Asset Management

 

Si l’on veut pouvoir nourrir 10 milliards d’individus et décarboner l’agriculture dans le même temps, il faudra impérativement réduire la part des protéines animales au profit de protéines d’origine végétale dans notre alimentation. Il faudra en outre diversifier, le type de plantes consommées, car bien que la planète ait compté jusqu’à 6’000 plantes comestibles, aujourd’hui, 9 d’entre-elles (Riz, maïs, blé, pommes de terre, orge, huile de palme, soja, betterave sucrière, canne à sucre) génèrent à elles seules 75% des calories produites. Or, la culture intensive de ces quelques essences appauvrit les sols et requière donc davantage d’engrais. Elle entraine également moins de diversité génétique ce qui rend les plantes plus fragiles face aux attaques d’insectes ou aux aléas climatiques.

Une alimentation plus diversifiée est donc une condition nécessaire pour une agriculture plus durable mais pour nourrir 10 milliards d’individus, il faudra également une agriculture plus efficace, capable de maintenir des rendements élevés, sans s’étendre tout en s’adaptant au changement climatique. Pour ce faire l’apport des technologies sera capital, afin notamment d’assurer une bonne adéquation entre types de cultures et types de sols, de gérer l’irrigation en minimisant l’utilisation d’eau, d’utiliser les herbicides/pesticides de manière plus ciblée…

Dans ce contexte, face à la nécessité de relever le double défi de nourrir l’humanité et de réduire l’empreinte écologique de cette dernière, nous sommes convaincus que les entreprises qui offrent des solutions pour une agriculture et une alimentation plus durable auront le vent en poupe dans les prochaines années et qu’elles seront par conséquent plébiscitées par les investisseurs.

Ainsi, faire reculer le jour du dépassement pourrait donc bien également faire avancer la performance de nos portefeuilles!

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