Il n’y a pas d’argent magique

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Pour financer la 13e rente AVS, la solution la plus durable passe par une hausse de la TVA.

Le peuple a voulu une 13e rente AVS, les rentiers l’auront dès 2026. Celle-ci coûtera plus de 4 milliards de francs lors de son introduction, puis son coût ne fera qu’augmenter vu l’augmentation prévisible du nombre de retraités. Le Conseil fédéral a présenté le 27 mars 2024 ses propositions pour financer cette dépense non planifiée. Pour bien comprendre les mesures proposées, il faut déjà connaître le financement actuel de l’AVS. Celui-ci est assuré par trois sources principales (données tirées des statistiques de l’AVS pour 2022):

  • 8,7% de cotisations salariales depuis 2020 (8,4% auparavant), soit 36,3 milliards en 2022; chaque 0,1% de cotisations représente donc plus de 417 millions de francs;
  • Participation de la Confédération à hauteur de 20,2% des dépenses de l’AVS (avant 2020, ce pourcentage était de 19,55%), soit 9,7 milliards en 2022;
  • 1% de TVA (pourcent démographique, entièrement dévolu à l’AVS depuis 2020), qui a représenté 3,2 milliards de francs en 2022.

Le premier effet de la 13e rente sera donc d’augmenter la part de la Confédération de 840 millions. Comme celle-ci prévoit déjà un déficit en 2026, avant 13e rente, le Conseil fédéral propose de réduire la participation de la Confédération à 18,7%, pour compenser. Cela représentera quand même encore 10,65 milliards de francs (57 milliards x 18,7%), soit un milliard de plus qu’en 2022.

Une taxe sur les transactions financières ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé.

Cette réduction de la participation de la Confédération implique bien sûr un effort supplémentaire des deux autres sources de financement. Le Conseil fédéral propose en fin de compte deux variantes: soit 1% de cotisations salariales en plus, soit 0,6% seulement, mais aussi 0,6% de TVA en plus. Les deux couvriraient l’intégralité du coût de la 13e rente.

En septembre 2016, l’initiative «AVSplus» voulait augmenter les rentes AVS de 10% au moyen d’une hausse de 0,8% des cotisations AVS. Cette voie ne semble pas prometteuse vu son rejet à 59,4% à l’époque. Par ailleurs, en mars 2024, ce sont essentiellement les plus de 50 ans qui ont voté en faveur de la 13e rente. Il ne serait donc pas juste de ne la faire financer que par les actifs. Certains milieux économiques demandent même que la 13e rente soit entièrement financée par la TVA; cela exigerait de relever celle-ci de 1,3%. On notera que la TVA a déjà été relevée de 0,4% cette année pour stabiliser les finances de l’AVS jusqu’en 2030 (avant 13e rente). Cette hausse avait été acceptée en septembre 2022 par 55% de la population.

Il reviendra donc au Parlement de se prononcer sur les propositions du Conseil fédéral, dès cet automne, après une consultation publique durant l’été. Certains partis envisagent de laisser fondre un peu le fonds de compensation de l’AVS pour financer une partie de la 13e rente. Ce fonds de roulement, qui selon la loi devrait être au moins égal aux dépenses de l’AVS, affichait fin 2022 un solde de 47 milliards (98,4% des dépenses de l’AVS). D’après les projections de l’OFAS, il devrait atteindre 57 milliards en 2026 (comme les dépenses de l’AVS). On pourrait bien le laisser couvrir une part plus faible des dépenses de l’AVS, mais cela réduira son rendement et surtout cela ne suffira pas à long terme et nécessitera des recettes encore plus élevées pour l’AVS à partir de 2030.

En quoi le secteur financier est-il concerné par ces questions d’AVS? Tout simplement parce que certains pensent qu’une taxe sur les transactions financières (TTF) ou une micro-taxe sur les virements électroniques serait une solution miracle pour financer la 13e rente. Le Conseil fédéral doit d’ailleurs rendre un rapport à ce sujet suite à un postulat Rieder adopté en juin 2022 par le Conseil des Etats - à une voix près!

Malheureusement, une TTF ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé. En effet, le volume total des transactions sur SIX atteint 1000 à 1200 milliards de francs par an. Même si on les taxait toutes (ce que ne font pas les pays qui ont introduit une TTF), il faudrait un taux de 0,4% ou 0,5% pour générer les 4 à 5 milliards requis pour l’AVS. Ou même 0,5% ou 0,6% si l’on considère que le droit de timbre de négociation, qui rapporte 1,5 milliard environ dernièrement, devrait être aboli pour éviter de taxer doublement les mêmes transactions. Ce serait cher en comparaison internationale, et surtout pénalisant pour les sociétés suisses, qui seraient tentées de se faire coter à l’étranger. En outre, les principaux payeurs de cette TTF seraient les caisses de pension, les fonds de placement, les assurances, etc. et les milliards prélevés pour l’AVS viendront réduire leur rendement. Enfin, le rendement d’une TTF serait, comme le marché des capitaux, très volatile et imprévisible, ce qui n’est pas adapté au financement de rentes AVS.

Certains imaginent alors qu’on pourrait étendre la TTF à tous les transferts de fonds, pour la rendre « invisible et indolore ». Le volume du trafic des paiements interbancaires a effectivement dépassé 50’000 milliards en 2022, ce qui fait qu’une micro-taxe de 0,01% sur ceux-ci rapporterait 5 milliards. A condition qu’ils restent tous en Suisse! Selon la réponse du Conseil fédéral à une interpellation socialiste en 2017, 95% de ces paiements étaient de plus d’un million… et ceux-ci seraient sans doute rapidement effectués à l’étranger plutôt qu’en Suisse pour éviter la micro-taxe. Il reste donc environ 2500 milliards de francs de transferts bancaires «ordinaires» par an (fournitures, salaires, loyers, assurances etc.), qui devraient être taxés à 0,2% pour atteindre 5 milliards. Cela signifie que quelqu’un qui gagne 100’000 francs par an paiera 200 francs de taxe en recevant son salaire et autant en le dépensant par virements bancaires. Soit 400 francs en tout, ce qui n’est pas moins indolore qu’une hausse de la TVA. Et combien seront tentés d’ouvrir des comptes à l’étranger pour éviter cela? Ce n’est pas pour rien qu’en 2021, une initiative populaire en faveur d’une telle taxe n’a pas réuni assez de signatures.

La question est d’autant plus importante que l’on votera le 9 juin 2024 sur une initiative qui voudrait que les primes d'assurance maladie ne dépassent pas 10% du revenu disponible. Selon comment l’on définit «primes» (avec quelle franchise?) et «revenu disponible» (après quelles déductions?), la Confédération fera face à 5 à 7 milliards de coûts supplémentaires, et même 7 à 11 milliards dès 2030! A quand une TVA à 13%?

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