Les rapports extra-financiers arrivent

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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La Suisse va devoir choisir entre les standards européens ou internationaux, entre contraintes et pragmatisme.

La prise de conscience du changement climatique et de la nécessité de ne pas gaspiller les ressources naturelles progresse. Cela stimule l’émergence de nouvelles idées, de nouveaux matériaux, de nouvelles méthodes. Mais l’essentiel de l’économie s’articule encore autour de processus non durables. Tout le défi consiste à inciter cette «ancienne» économie à se préoccuper d’objectifs autres que financiers. D’où l’importance des rapports que les grandes entreprises produisent sur ces questions. Point de situation en Suisse et dans l’Union européenne, avant un focus sur les institutions financières.

En Suisse, les «grandes» entreprises (au moins 500 emplois à plein temps, et un total du bilan d’au moins 20 millions de francs ou un chiffre d’affaires de 40 millions de francs) cotées ou assujetties à la Finma vont devoir publier en 2024, pour la première fois si elles ne le faisaient pas déjà volontairement, un rapport sur les questions environnementales et sociales liées à leurs activités. Cela découle du contre-projet indirect à l’initiative populaire «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement» voté par le Parlement en juin 2020. A partir de 2025, ce rapport devra intégrer l’impact de et sur le changement climatique, sur la base des recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD).

On parle de plus de 1000 indicateurs que l’UE est en train de définir en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

Ces règles suisses s’inspirent de la directive européenne adoptée en 2014 sur la publication d’informations non financières (Non Financial Reporting Directive ou «NFRD»). Cependant, celle-ci a été remplacée au début de cette année par la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive ou «CSRD»). Le champ d’application de celle-ci est bien plus large, puisqu’il ramène le nombre d’EPT d’une «grande» entreprise à 250 et la soumet qu’elle soit cotée ou non, et inclut aussi des PME cinq fois plus petites si elles sont cotées.

Cet élargissement aura lieu progressivement jusqu’en 2028, date à laquelle les entreprises non européennes qui ont une présence et un chiffre d’affaires d’au moins 150 millions d’euros dans l’UE seront aussi soumises à la CSRD. Il serait donc utile que les règles suisses soient reconnues comme équivalentes d’ici là. Le Conseil fédéral a chargé le DFJP de préparer un projet qui pourra être mis en consultation à l'été 2024. A noter que des entreprises suisses peuvent aussi être indirectement touchées en tant que sous-traitants d’entreprises européennes assujetties à la CSRD, car celles-ci leur demanderont des informations pour leurs propres rapports.

Outre le champ d’application, quelles différences y a-t-il entre les règles suisses actuelles et la CSRD? Tout d’abord la quantité d’informations à fournir: on parle de plus de 1000 indicateurs que l’UE est en train de définir en matière environnementale, sociale et de gouvernance. La possibilité d’expliquer pourquoi une entreprise ne fait rien dans un domaine disparaîtra en 2027. Un audit indépendant du rapport est requis (ce que n’exigent pas les recommandations de la TCFD). Enfin, la Suisse applique déjà le principe de la double matérialité, i.e. l’examen des risques non financiers sur les activités de l’entreprise, mais aussi l’impact de ses activités sur l’environnement et la société. Cependant, les standards internationaux de l’ISSB ne prévoient que l’impact financier sur les entreprises, et des pays comme le Canada, la Chine, les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et Singapour envisagent de s’en tenir à cette matérialité simple. La Suisse devra donc procéder à une pesée d’intérêts entre l’importance de ses liens avec l’UE et sa compétitivité mondiale.

Les banques sont concernées par ce qui précède comme les autres entreprises. S’agissant du rapport sur les questions climatiques en Suisse, elles devront en outre présenter des analyses prospectives de la compatibilité climatique fondées sur des scénarios. La Finma attend aussi des grandes banques qu’elles publient des informations sur leur gestion des risques financiers liés au climat. Elle a aussi ouvert une audition sur une nouvelle circulaire pour élargir cette analyse à tous les risques financiers liés à la nature. Il serait bon que ces diverses publications soient coordonnées entre elles.

Enfin, il faut rappeler que pour bien jouer leur rôle d’intermédiaires et de conseillers entre investisseurs et entreprises, les banques ont besoin des données, désormais aussi extra-financières, de celles-ci. Vouloir étiqueter des produits financiers selon leurs aspects Environnement, Société et Gouvernance n’a de sens que si les entreprises fournissent des informations standardisées et comparables, comme pour la présentation de leurs comptes financiers. A défaut de standard, il ne faut pas s’étonner si les notes ESG d’une même entreprise varient d’une agence de notation à une autre. Là aussi les règles sont en pleine évolution, surtout au sein de l’UE.

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