La pénurie de main d’œuvre, une fatalité?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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L’immigration est la réponse la plus naturelle, qui contribue largement à la prospérité de la Suisse.

Nous avons un problème. D’accord, plusieurs, mais cette chronique est consacrée à un souci qui devient prédominant dans tous les secteurs: la pénurie de main-d’œuvre. De plus en plus d’articles y sont consacrés, et les causes semblent identifiées: la croissance conjoncturelle, l’évolution démographique, l’essor du temps partiel. Parmi les moyens d’y remédier, le plus efficace est l’immigration.

A la suite de la pandémie de coronavirus, les activités économiques ont repris de plus belle, portées par l’épargne forcée accumulée pendant les confinements. Depuis début 2021, plus de 300'000 postes nouveaux ont été occupés en Suisse, et le nombre de postes ouverts a presque doublé pour dépasser 100'000. Parallèlement, de nombreuses personnes ont décidé de réorienter leur carrière professionnelle ou de réduire leur temps de travail. Et ce phénomène s’est produit partout dans le monde, ce qui renforce la concurrence entre les pays.

La première source de travailleurs d’une population devrait être ses enfants. Or l’accroissement naturel en Suisse (naissances moins décès) est passé de 8 habitants sur 1000 en 1950 à 0,9 en 2022; cela ne représente plus qu’un solde positif de 8000 personnes environ. La raison en est surtout que les femmes ne font plus qu’à peine 1,5 enfants en moyenne, alors qu’au plus haut en 1964 ce chiffre était de 2,7. Le seuil de renouvellement d’une population, hors immigration, est de 2,1.

Si l’on zoome sur la population active, celle-ci représentait fin 2022 5,5 millions de personnes sur une population de 8,8 millions. De 2019 à 2021, les entrées dans la vie active, hors immigration, ont été inférieures aux sorties pour la première fois depuis 2004. En 2022 cependant, les entrées ont à nouveau été supérieures de 47'000 aux sorties. Effet de rattrapage suite à la pandémie? Les chiffres 2023 seront très intéressants, car il y aura alors peut-être plus de personnes de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 20 ans (alors qu’il y en avait trois fois moins en 1950 et deux fois moins en 1980). Parallèlement, en 2022, le solde migratoire total des actifs s’est établi à 73'000 personnes, un record.

On croit souvent que le travail à temps partiel est une cause de la pénurie de main-d’œuvre. En effet, si quelqu’un ne travaille pas à 100%, par convenance personnelle ou contrainte, cela réduit la force de travail disponible. Toutefois, une récente étude de l’institut KOF à l’EPFZ a montré que le développement du travail partiel est positif, car la diminution du temps de travail des hommes est bien inférieure à l’augmentation de celui des femmes.

Les entreprises ont plusieurs moyens à disposition pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre: améliorer les conditions de travail, offrir davantage de formations, baisser leurs exigences… mais tout ceci est un jeu à somme nulle s’il n’y a pas une plus grande participation générale au marché du travail. Il existe un potentiel auprès des mères si la Suisse améliore les possibilités de garde des enfants, et auprès des personnes de plus de 60 ans, par exemple en réduisant les cotisations de prévoyance dues pour elles, comme le prévoit la révision de la LPP votée par le Parlement.

Le meilleur moyen pour trouver les médecins, les informaticiens, les poseurs de panneaux solaires, le personnel de soin et de restauration qui manquent en Suisse reste l’immigration. Sur les 4,1 millions d’habitants que la Suisse a gagnés entre 1950 et 2022, près de la moitié sont étrangers, dont 80% de ressortissants européens, surtout d’Allemagne, d’Italie, du Portugal et de France. En 2022, 48% de ces arrivants avaient un diplôme universitaire. Cette immigration contribue à la richesse et au niveau de vie de la Suisse tout entière, et il faudrait l’élargir plutôt que la restreindre. Ce n’est pas la décroissance qui sauvera les assurances sociales et la qualité de vie des aînés!

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