La valeur locative a de beaux jours devant elle

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Son abolition n’a aucune chance en votation populaire si l’on ne peut plus déduire les frais d’entretien.

Dans l’introduction de son rapport annuel écrite fin mars 2023, l’ABPS prédisait l’abandon de l’initiative parlementaire visant à abolir la valeur locative, déposée plus de six ans auparavant. Huit mois plus tard, force est de constater que ce sujet est toujours d’actualité, puisqu’il a été voté par le Conseil national en juin et que le Conseil des Etats va se prononcer en décembre sur les divergences entre les deux Chambres. Notre appréciation est pourtant toujours la même: ce projet va échouer.

Mais commençons par le début. La valeur locative est ce revenu fictif imposé en Suisse auprès des propriétaires de biens immobiliers qui s’en conservent l’usage. En contrepartie, ils peuvent déduire les frais d’entretien de ces biens (au sens large) et d’éventuels intérêts hypothécaires. Ce système est jugé injuste par certains, mais plusieurs réformes ont déjà été rejetées en votation populaire.

Le système suisse incite aussi à rester endetté plutôt qu’à rembourser, si l’on estime que l’on peut placer son argent pour gagner plus que le coût de l’hypothèque, après impôts. Le Fonds Monétaire International et l’OCDE s’inquiètent d’ailleurs du niveau d’endettement des ménages privés en Suisse et encouragent notre pays à réformer son système. Le fait que le montant total des hypothèques en Suisse (bientôt 1200 milliards) dépasse de 150% le PIB suisse (bientôt 800 milliards) serait dangereux.

Pour le maintien en bon état des biens immobiliers et surtout pour encourager la transition énergétique, il est nécessaire que les frais y afférant restent déductibles.

Il nous semble toutefois plus juste de comparer ces hypothèques à la fortune des citoyens suisses. Selon les statistiques 2020 de l’administration fédérale des contributions, la fortune imposée atteignait 2264 milliards. Elle a sans doute grimpé maintenant à au moins 2400 milliards, soit le double des hypothèques. En outre, il s’agit de la fortune nette, donc après dettes et déductions sociales, et la valeur fiscale des immeubles privés est souvent inférieure à leur valeur vénale. Enfin, les fonds de la prévoyance professionnelle (d’un montant total proche de celui des hypothèques) ne sont pas inclus dans la fortune imposée. Les hypothèques ne représentent donc pas plus du quart de la fortune des personnes physiques résidant en Suisse. C’est bien sûr une vision globale, mais elle permet de relativiser les risques du système actuel. D’autant que les banques restent très prudentes dans leurs estimations des biens immobiliers et exigent que les emprunteurs soient en mesure de payer des intérêts à un taux de 5%, même si le taux facturé est bien plus bas.

Revenons-en au Parlement fédéral. En juin 2023, le Conseil national s’est prononcé en faveur de la suppression de la valeur locative, y compris pour les résidences secondaires – les impôts fonciers sur celles-ci pourraient être plus élevés pour compenser. En contrepartie, les frais d'entretien ne seraient plus déductibles et les intérêts passifs plus qu’à hauteur de 40% du rendement imposable de la fortune. A l’inverse, le Conseil des Etats ne souhaite abolir la valeur locative que pour les résidences principales et voudrait permettre la déduction des intérêts passifs à concurrence de 70% du rendement imposable de la fortune. Sa Commission compétente campe sur ces positions et le plenum se prononcera le 14 décembre.

On notera en passant que le pourcentage de 40% ou 70% n’est pas vraiment relevant. Ce qui l’est, c’est la composition du «rendement imposable de la fortune», qui ne contiendra plus la valeur locative (abolie) ni surtout la majoration actuelle de 50’000 francs, que personne ne songe à préserver. Si les seuls revenus de la fortune des propriétaires ne sont que quelques intérêts et dividendes, 40% comme 70% de ceux-ci ne suffiront plus à déduire des dizaines de milliers de francs d’intérêts hypothécaires.

Mais la raison pour laquelle cette énième réforme semble vouée à l’échec, c’est la suppression des frais d’entretien (y compris frais d’administration et primes d’assurance), que personne au Parlement ne conteste. Cela est pourtant contraire au principe que les dépenses nécessaires au maintien de la fortune sont déductibles. En outre, cela n’encouragera pas les propriétaires à rénover leurs biens et l’état de nombreux logements se dégradera. Enfin, les entreprises et artisans qui effectuaient ces travaux d’entretien se mobiliseront contre un tel changement – ou seront incitées à effectuer ces travaux au noir, ce qui n’est pas souhaitable.

Les biens immobiliers continueront de faire l’objet de nombreux impôts spécifiques: impôt foncier sur leur détention, droits de mutation sur leur transfert, impôt sur le gain en capital privé qui serait autrement exonéré. Pour leur maintien en bon état et surtout pour encourager la transition énergétique, il est nécessaire que les frais y afférant restent déductibles. Une solution du Parlement qui ne le prévoirait pas sera balayée dans les urnes.

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