Europe/Russie: une interdépendance économique

Arthur Jurus & Maëlle Vaille, ODDO BHF

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Le coût économique est négatif et partagé entre l’Europe et la Russie. Le risque le plus probable est un renchérissement des prix de l’énergie qui augmenterait l’inflation.

Le conflit entre les séparatistes russes et l'armée ukrainienne connaît un regain de tensions suite à la demande ukrainienne d’intégrer l’OTAN. Face au risque de perdre sa sphère d’influence traditionnelle, la Russie exige désormais le non-élargissement de l’OTAN à l'Ukraine, à la Géorgie et le retrait de ses forces présentes en Roumanie et Bulgarie. En cas d’invasion de l’Ukraine, la Russie a déjà été informée par les dirigeants occidentaux que de nouvelles sanctions commerciales et financières pourraient advenir. La situation diplomatique actuelle pourrait rapidement avoir des conséquences économiques négatives pour l’Europe et la Russie.

Suite aux embargos américain puis européen annoncés en mars 2014, l’économie russe avait cédé 0,2 point de croissance chaque année entre 2014 et 2018, selon le FMI. Depuis, sa croissance a difficilement atteint les 3% jusqu’en 2021. Surtout, l’inflation s’est maintenue à des niveaux élevés de 15% en 2015 à 4% en 2017 en raison de la forte dépréciation du rouble, de 61% face à l’USD et de 68% face au CHF au cours des 12 mois suivants les annonces d’embargo de la part de l’Union Européenne en mars 2014.

La situation macro-financière russe en 2022 semble néanmoins plus favorable qu’en 2014. Toujours selon le FMI, la croissance économique en Russie a atteint 4,5% en 2021 et devrait progresser de 2,8% en 2022. Son économie, tributaire de ses exportations d’hydrocarbures qui expliquent le quart de son PIB, restera soutenue par la tendance haussière du prix du baril de pétrole, désormais proche de 100 dollars. Cela sera également favorable à l’équilibre de ses finances publiques qui nécessite un baril supérieur à 40 dollars. Surtout, la Russie a mis en place la stratégie de la « forteresse » pour réduire sa dépendance économique vis-à-vis de l’Occident, notamment en favorisant la dédollarisation de son économie. Cette politique a conduit à accumuler 640 milliards de dollars de réserves de change et à renforcer son fonds souverain doté de 183 milliards. La Russie dispose donc d’une marge de manœuvre plus importante qu’en 2014, notamment en cas de nouvelle dépréciation de sa monnaie, pour stabiliser son économie en cas de choc économique négatif.

Il n’en demeure que l’impact économique de nouvelles sanctions resterait négatif pour l’Europe et la Russie. En zone euro, 10% du gaz importé depuis la Russie ne pourrait être remplacé en cas de choc d’approvisionnement. L’Allemagne et l’Italie seraient les économies les plus affectées, avec respectivement 50% et 46% de leurs importations de gaz en provenance de la Russie. Cette situation maintiendrait les prix du gaz à des niveaux élevés et serait source de davantage d’inflation, ce qui pénaliserait le pouvoir d’achat et donc la consommation privée, principal moteur de l’activité européenne.

L’impact est également négatif pour la Suisse. 47% du gaz importé en provenance de Russie tandis que 20% des ménages se chauffent au gaz. L’avantage suisse est que certaines installations industrielles sont de type bicombustible et permettent de substituer du mazout au gaz naturel en cas de problème d’approvisionnement. Par ailleurs, l’effet sur le consommateur est plus modéré. Le prix du gaz a augmenté de 37% depuis un an.  Actuellement, sur les 1,6% d’inflation observée, 1 point est expliqué par les biens et services importés et seulement 0,2 point par la hausse du prix du gaz et de l’électricité. L’impact négatif reste donc mieux maitrisé.

En Russie, l’impact sur l’activité serait au moins de 0,2 point de PIB par an, comme en 2014. Malgré un environnement plus favorable qu’en 2014, plus du tiers de ses importations russes proviennent d’Europe. La demande russe reste ainsi fortement dépendante des exportations occidentales en biens d’équipements professionnels et issues du secteur pharmaceutique, de l’aéronautique, de l’automobile et de la chimie. Par ailleurs, les pressions baissières sur le rouble, actuellement limitées, pourrait renchérir le coût des importations et pénaliser davantage le pouvoir d’achat réel des ménages.  Enfin, l’impossibilité pour les entreprises russes de réaliser des transactions en USD et le blocage de leur accès au réseau SWIFT les excluraient du principal système de paiement international qui donne accès à 110 000 entreprises dans 200 pays.

Le coût économique est donc négatif et partagé entre l’Europe et la Russie. Le risque le plus probable est un renchérissement des prix de l’énergie qui augmenterait l’inflation. Cela pourrait contraindre les banques centrales à augmenter leur taux, au risque d’impliquer un ralentissement économique. Un scénario peu souhaitable et qui explique le regain de volatilité sur les marchés financiers depuis le début d’année.

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