De mission accomplie à mission impossible

Christopher Smart, Barings

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Plaignez nos banques centrales, car la récompense pour tout leur bon travail sera… davantage de travail.

© Keystone

Les autorités monétaires du monde entier ont remarquablement bien répondu aux difficultés induites par la pandémie et ses divers confinements. Elles doivent désormais affronter une nouvelle série de défis, extrêmement complexes, mais avec une visibilité réduite et un nombre limité d’outils à disposition. Le principal danger pour les marchés réside dans la montée d’une frustration politique qui amènerait à brider l’indépendance de ces autorités et en saperait l’efficacité lors de prochaines crises.

Il est bien trop facile, de par la confusion qui règne sur les données relatives aux prix et à la croissance, de se focaliser sur le risque que la politique monétaire actuelle ne soit pas la bonne et d’oublier à quel point les banques centrales du monde entier sont intervenues de manière décisive l’année dernière pour éviter la catastrophe. De Washington à Francfort, et de Pretoria à Moscou, l’action a été rapide et exhaustive.

Ces dernières n’ont peut-être pas fait tout juste, mais l’image d’un monde qui doit attendre des aides fiscales de la part de la sphère politique fait frémir. Répondre à la crise nécessitait une analyse minutieuse des dysfonctionnements du marché, une fine compréhension des différentes spécificités locales et une intervention minutieusement calibrée. Les gouvernements ont choisi de débourser des sommes considérables pour résoudre les problèmes. Si cette solution a fonctionné, les défis qui nous attendent désormais sont bien plus complexes, les désaccords de fond bien plus graves et les risques d’erreur bien plus élevés.

Les politiciens ne tarderont sans doute pas à demander pourquoi les banques centrales ne font pas plus d’efforts pour économiser l’argent des contribuables.
Inflation et déflation

La première épreuve réside dans la récente flambée des prix et dans cet impressionnant indice des prix à la consommation américain, qui a atteint 6,2% la semaine dernière. Les banques centrales et les économistes persistent à croire que ces pressions devraient se relâcher l’année prochaine une fois la demande normalisée et l’offre rétablie. En parallèle, ils savent que relever les taux d’intérêt ne permettra d’augmenter ni les capacités portuaires ni le nombre de camionneurs. Et que la patience est une vertu.

Si ces prévisions en matière d’inflation sont correctes, le défi suivant sera alors celui de la déflation. Les pressions démographiques, la mondialisation et la technologie ont contribué à faire baisser les taux de croissance des marchés développés au cours des dernières décennies et il n’est pas du tout certain que la pandémie ait inversé cette tendance. La Fed et la BCE ont annoncé de nouveaux cadres qui leur permettraient de dépasser leurs objectifs d’inflation de 2%, dans l’espoir de faire remonter la moyenne. Les taux d’intérêt négatifs pourraient constituer une aide à ce titre mais perdre de leur efficacité avec le temps. Il faut dire que la Banque du Japon n’a pas retiré grand-chose de ses pourtant nombreuses tentatives de relance.  

Après la pluie, le déluge

La Fed a encore mis en évidence un troisième casse-tête majeur, la semaine dernière, en faisant part de ses inquiétudes quant à l’agitation et l’exubérance qui viennent menacer la stabilité financière. Compte tenu de la quantité de liquidités que les gouvernements ont injecté dans l’économie pour soutenir la reprise, les possibilités en termes de conséquences inattendues sont nombreuses. Le rapport de la Fed  cite les risques liés au gonflement des prix des actifs, à l’augmentation des effets de levier et aux risques de financement. Et il soulève notamment, de manière quelque peu inquiétante, les risques de financement pour le secteur émergent des «stablecoins».

Il y a ensuite le coût des diverses dettes publiques, qui a bondi de plus de 15% du PIB dans de nombreuses économies développées pendant la pandémie. Si les banques centrales doivent étouffer les pressions inflationnistes avec des taux plus élevés, elles contribueraient ainsi directement à faire augmenter les coûts de la dette de leurs Etats. Quelques inquiétudes immédiates existent quant à la possibilité que les pays basculent dans une spirale insoutenable, mais les politiciens ne tarderont sans doute pas à demander pourquoi les banques centrales ne font pas plus d’efforts pour économiser l’argent des contribuables.

La taille et l’efficacité des banques centrales ont suscité des appels à renforcer les réponses aux changement climatique et à l’inégalité des richesses.

Enfin, la taille et l’efficacité des banques centrales ont suscité des appels à renforcer les réponses aux changement climatique et à l’inégalité des richesses. Mais aussi louables que soient ces ambitions, les banques centrales ne sont pas nécessairement les mieux placées pour y répondre. Dans leur rôle de supervision, elles peuvent veiller à ce que les banques fassent davantage d’efforts pour mesurer et communiquer sur les risques climatiques, voire même encourager les prêts aux plus démunis, mais la responsabilité de ces questions relève toujours du pouvoir législatif.

Des questions difficiles

Avec la complexification des défis viendra également celle des questions adressées à nos autorités monétaires. Pourquoi une légère inflation serait-elle mauvaise si elle permet d’apporter des emplois à ceux qui en ont désespérément besoin? Sont-elles conscientes compte à quel point l’augmentation des taux d’intérêt peut priver d’argent certains projets étatiques pourtant fondamentaux? Y a-t-il quelqu’un, quelque part, qu’elles ne seraient pas disposées à renflouer?

Même si ces questions ne débouchent pas sur de nouveaux mandats légaux, les marchés commencent à fournir leurs propres réponses. Peut-être que l’inflation commencera à flamber pour permettre à la Fed d’affirmer qu’elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour créer des emplois. Peut-être que la hausse des taux est retardée parce qu’elle risque de faire un trou dans le budget. Et, pire encore, l’incertitude autour des outils mobilisés par les banques centrales pour gérer les crises pourrait bien venir paralyser leur capacité à faire ce qu’elles sont aujourd’hui les plus à même de faire.  

Le conglomérat américain le plus célèbre, General Electric, a annoncé son intention de diviser ses diverses activités pour mieux se concentrer sur des bénéfices durables. On pourrait trouver dans cette décision des leçons aussi en matière de politique monétaire: la meilleure façon de protéger l’efficacité des banques centrales est de reconnaître tout ce qu’elles peuvent accomplir tout en respectant ce qu’elles ne sont pas en mesure de faire.

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