L’économie retrouvera ses schémas traditionnels l’année prochaine, mais attention aux nouveaux dangers.
C’est la version financière de la troisième loi de Newton: «Toute action entraîne une réaction égale et opposée – et beaucoup de conséquences inattendues». Nous venons de vivre une période remplie d’actions et trois «réactions» sont à surveiller de près dans un contexte d’optimisme retrouvé: la diminution des soutiens étatiques, l’évolution des comportements suite à la pandémie et la rapidité du déploiement de l’innovation dans le domaine financier. Ces éléments ne causeront pas une nouvelle grande crise de sitôt, mais ils pourraient entraîner la formation de poches d’air à mesure que l’économie mondiale reprendra de l’altitude.
Les risques les plus visibles à la reprise actuelle sont bien connus et, s’ils devaient prendre racine, risquent de nuire aux rendements. Tout le monde sait que l’inflation pourrait durer un peu plus longtemps que prévu ou que la demande pourrait stagner en cas d’échec du plan d’infrastructures américain. Mais les investisseurs doivent rester attentifs aux dangers qui sont aujourd’hui difficilement perceptibles mais qui deviendront évidents aux yeux de tous avec un peu de recul. Pensons à quel point il est facile maintenant de faire le lien entre l’émergence sans précédent de l’économie chinoise au tournant du siècle et le quasi-effondrement de l’union monétaire européenne une décennie plus tard.
L’intégration de la Chine aux flux commerciaux mondiaux a fait exploser les recettes à l’exportation, alimentant des achats massifs de bons du Trésor américain (et d’autres obligations d’Etat) et faisant baisser les taux d’intérêts mondiaux. Cela a déclenché une course au rendement qui a, à son tour, nourri de nouvelles vagues d’ingénierie financière permettant de financer des prêts considérables à des acheteurs américains non qualifiés. Avec comme conséquence l’exposition de banques allemandes et françaises à des pertes brutales, le tarissement des liquidités dans les économies européennes les plus faibles, la révélation du surendettement du gouvernement grec et la mise en évidence des failles structurelles d’une union monétaire que tout le monde tenait pour acquise.
La réponse spectaculaire des pouvoirs publics à la pandémie a déclenché une poussée de l’activité économique comparable à l’émergence de la Chine sur la scène commerciale mondiale il y a vingt ans. Même si les taux peuvent augmenter et que les soutiens budgétaires reviennent à la normale, les marchés sont inondés de liquidités. Les bilans des entreprises et des ménages paraissent solides. Le Fonds Monétaire International (FMI) prévoit une croissance de 4,9% pour l’année prochaine ce qui, par rapport aux 2,8% de 2019, laisse entrevoir des perspectives favorables pour les marchés à risque.
L’envolée des marchés financiers a également induit des faillites notables parmi les fonds spéculatifs et dans le secteur immobilier chinois. Derrière ces excès financiers se cache le problème de l’imprévisibilité de la réaction du paysage concurrentiel à l’abondance de flux de capitaux. Des entreprises solides peuvent se trouver soudainement confrontées à des vents contraires face à une compétition plus faible, mais qui a accès à des capitaux bon marché. Dans ces courants changeants, les investisseurs doivent prêter une attention particulière aux éléments différenciants de modèles d’entreprise résilients.
De nouveaux modèles de dépenses sont par ailleurs en train de prendre forme alors que le COVID continue de faire des ravages entre des variants imprévisibles et des régions où la vaccination ne progresse pas. Un récent sondage, réalisé dans 27 pays représentant 81% du PIB mondial, indique que 56% des personnes interrogées sont convaincues que les pires moments de la pandémie sont encore à venir. Dans une déconnexion aussi complète que surprenante avec la logique des marchés, plus des trois quarts des répondants considèrent qu’une récession mondiale est imminente. Une conclusion qui peut paraître discordante, au vu des bons résultats saisonniers, mais qui montre à quel point la pandémie continue à perturber les attentes et la demande. Même si la trajectoire globale devait continuer à s’améliorer, les entreprises verront s’opérer des changements imprévisibles dans les préférences de leurs clients, faisant monter la pression sur les marges et entraînant des reconfigurations des chaînes d’approvisionnement. L’évolution des comportements des travailleurs américains est déjà en train de bouleverser les prévisions pour le marché du travail aux Etats-Unis.
L’innovation qui transforme le secteur de la finance mérite également un examen approfondi. Certaines de ces innovations sont transparentes et largement comprises, mais l’expansion des flux des capitaux et la liste grandissante de nouveaux produits s’accompagnent de risques. Les start-ups dans le domaine de la fintech, qui défient les banques traditionnelles ouvrent des perspectives prometteuses. Mais le véritable défi pour les régulateurs et les investisseurs reste de savoir comment l’interaction entre ces différentes innovations pourrait générer des problèmes inattendus. Que se passera-t-il si les banques systémiques ne parviennent pas à réaliser des bénéfices dans le nouveau paysage concurrentiel? Les monnaies alternatives auront-elles raison des intermédiaires des marchés financiers traditionnels?
Les risques d’inflation et de stagnation sont des risques connus qui font l’objet de débats animés et sont pris en compte dans les discussions actuelles. Certains risques «inconnus», comme une pandémie, nous prendrons toujours au dépourvu. Mais il existe une autre catégorie de risques que l’on peut déjà apercevoir du coin de l’œil et qui constitueront de véritables chocs pour tous ceux qui ne s’y attendront pas. C’est sur ces risques-là que les investisseurs devront garder un œil particulièrement attentif.