La pandémie tuera-t-elle la stagnation séculaire?

Christopher Smart, Barings

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La sortie de la pandémie pourrait inverser les grandes tendances des quatre dernières décennies.

©Keystone

Les marchés oscillent actuellement entre deux inquiétudes: inquiétude concernant les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, qui alimentent l’inflation, et inquiétude vis-à-vis des nouveaux variants du Covid qui compromettent la reprise économique. Mais, en fait, les questions qui se posent aujourd’hui sont ailleurs: que va-t-il se passer une fois la pandémie passée? Comment mettre fin à 40 ans de baisse de la croissance et des taux d’intérêts? Les changements radicaux qui sont en train de transformer les politiques fiscales et monétaires pourraient bien déboucher sur une croissance plus forte et plus durable. 

Une ère de «stagnation séculaire»

La théorie de la «stagnation séculaire» rend compte de la plupart des facteurs qui ont contribué à la baisse des rendements des investissements au cours des dernières décennies. Initialement formulée par l’économiste Alvin Hensen au lendemain de la Grande Dépression, cette théorie identifie une constellation de facteurs structurels et de choix politiques qui poussent les acteurs de l’économie mondiale à trop épargner et à trop peu investir. Elle a notamment été remise au goût du jour par l’ancien secrétaire au Trésor Lawrence Summers, suite à la crise financière mondiale de 2008.

Quand il y a trop d’épargne, la croissance ralentit et les banques centrales ont du mal à atteindre leurs objectifs d’inflation. Une faible croissance affaiblit à son tour l’incitation à l’investissement et les taux d’intérêt s’effondrent à partir du moment où l’offre excède la demande. Et en effet, le «taux neutre» décrit par les économistes comme favorisant le plein emploi sans créer d’inflation semble avoir été suffisamment bas ces dernières années pour contraindre les banques centrales à recourir à des taux directeurs négatifs et à d’abondants achats d’actifs.

Le facteur démographique pourrait bien être le facteur principal favorisant l’excès d’épargne et la baisse de la demande.

La stagnation séculaire n’est qu’une théorie parmi d’autres qui tentent d’expliquer la baisse à long terme des taux et des rendements. Mais les tendances sont indéniables et tout investisseur doit s’interroger sur ce qui pourrait les inverser une fois les défis du COVID-19 passés.

Le facteur démographique pourrait bien être le facteur principal favorisant l’excès d’épargne et la baisse de la demande. Les populations vieillissantes, notamment dans les pays riches, épargnent férocement en vue de préparer des retraites qui s’annoncent plus longues qu’initialement prévu. Dans des pays comme la Chine, où le système de sécurité sociale reste incomplet, les taux d’épargne avoisinent les 45%. Dans le même temps, la baisse des taux de natalité dans les pays développés a plombé les prévisions de croissance. Une situation qui n’est pas nouvelle en Europe, au Japon et en Chine. L’an dernier, le taux de natalité des Etats-Unis a baissé de 4% et le nombre des naissances était au plus bas depuis 1979.

La mondialisation a aussi contribué à ce déséquilibre. L’intégration des marchés financiers a encouragé les pays en développement à accumuler leur épargne dans des réserves et des fonds souverains, en prévision de la prochaine crise. En parallèle, les chaînes d’approvisionnement mondiales ont coupé court à la hausse des salaires de travailleurs qui doivent désormais affronter une concurrence bien plus nombreuse et éloignée. L’avancée rapide de la technologie exacerbe encore ces tendances par une innovation sans relâche qui reproduit l’activité humaine et sape les revendications salariales. Tout comme la robotique a décimé les emplois dans le secteur industriel, la combinaison de solutions de stockage de données bon marché, de réseaux mobiles et de l’intelligence artificielle menace de remplacer une part considérable du personnel administratif et de bureau.

Un nouvel espoir?

A quoi peut-on s’attendre après la pandémie? Les tendances démographiques évoluent, mais lentement. Le commerce continue de s’accroître et étend l’intégration économique malgré les craintes que les différents confinements et les tensions grandissantes entre les Etats-Unis et la Chine ne signent la fin de la mondialisation. L’innovation technologique devrait, à un certain point, commencer à créer plus d’emplois qu’elle n’en détruit. Mais on en est encore loin.

La montée d’un sentiment politique plus «populiste» aux Etats-Unis comme en Europe alimente la demande pour une augmentation des dépenses publiques.

Tout n’est pas perdu. Les forces mondiales qui minent la croissance des salaires ont certes également pu faire baisser la rémunération du travail en termes de part de PIB, grâce à l’expansion de l’automatisation, l’affaiblissement des syndicats et la mise en place de réformes fiscales favorables au monde de la finance. Mais la montée d’un sentiment politique plus «populiste» aux Etats-Unis comme en Europe alimente la demande pour une augmentation des dépenses publiques, qui viendraient compenser ces inégalités de revenus. Une augmentation qui pourrait par la même occasion encourager à investir plus et à épargner moins.

Pour se sortir de la pandémie, les gouvernements ont choisi d’augmenter leurs dépenses. Mais avec la montée de forces plus «populistes» et le recul d’acteurs plus conservateurs en matière fiscale, une occasion de stimuler la demande globale au-delà de cette phase de reprise pourrait apparaitre. Dans le même temps, les banques centrales semblent déterminées à maintenir un rythme soutenu sur la durée, en s’engageant à relever au cours du temps le niveau moyen de l’inflation aux Etats-Unis et en se fixant un objectif d’inflation «symétrique» en Europe. Ces réponses spectaculaires ont porté même Lawrence Summers à s’inquiéter d’une possible hausse de l’inflation. Un risque qu’il paraît cependant difficile de prendre au sérieux, à moins d’une perte soudaine de puissance de la part de ces grandes forces que sont la démographie, la mondialisation et la technologie.

L’augmentation des dépenses publiques n’est pas une panacée, surtout si elle ne fait que tirer la demande en avant sans générer de croissance durable à long terme. Les dettes publiques seront maîtrisables si l’argent est bien dépensé, en améliorant par exemple la qualité du capital humain avec un accès facilité à l’éducation et aux soins de santé. L’impact sera également plus durable si des plans d’investissement dans les infrastructures sont mis en place, stimulant l’innovation numérique et contribuant à atténuer les effets du changement climatique. L’assouplissement quantitatif risque lui aussi, s’il dure trop longtemps, de générer des rendements décroissants et de provoquer ainsi des bulles spéculatives.

Mais, en l’absence de répit de la part des dynamiques économiques les plus persistantes, ces risques pourraient bien se révéler inévitables. Une dépense publique généreuse qui transfère les ressources vers ceux qui choisiront de les dépenser, associée à des programmes d’investissement productifs et durables, pourrait bien représenter notre meilleur espoir de corriger ce déséquilibre entre épargne et investissement. Et notre seul espoir pour une hausse durable des taux et des rendements. 

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