Quand «transitoire» devient un gros mot

Christopher Smart, Barings

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Le débat fait rage pour définir les pressions inflationnistes actuelles. Attention à la sémantique!

©Keystone

«Transitoire – adj. 1. De courte durée: temporaire. 2. Qui tend à disparaître: non persistant.» Voilà, en quelques mots, le casse-tête auquel se trouve actuellement confronté le marché en matière de hausse des prix. Un dictionnaire pourrait se révéler un bon guide dans le débat qui fait aujourd’hui rage autour de l’inflation ainsi que dans l’élaboration d’une bonne stratégie d’investissement pour l’année à venir.

Le président de la réserve fédérale d’Atlanta, Raphael Bostic, a lui-même fait part de ses frustrations face à l’usage débridé et vague du terme lors d’un discours prononcé la semaine dernière. Les flambées des prix, l’engorgement des ports et les pénuries de main d’œuvre de cette année, a-t-il fait remarquer à juste titre, ne donnent pas du tout l’impression d’être «de courte durée».

Mais l’expression «tendant à disparaître» paraît encore légitime si l’on s’intéresse de près aux pressions qui provoquent les actuelles hausses des prix. C’est également la prévision la plus probable pour l’année prochaine. Pour ces investisseurs s’efforçant de déterminer les prix futurs, c’est sans doute cette définition qui leur sera la plus utile, même s’il reste important de garder un œil sur les risques.

Des pressions… transitoires

Pour ceux d’entre nous travaillant dans la finance, les marchés sont limpides lorsque les capitaux, les actions et les obligations sont transférés instantanément et à l’échelle globale entre acheteurs et vendeurs. Il est évidemment beaucoup plus difficile de pointer le bon vilebrequin, dans la bonne chaîne de montage, sur le bon moteur, au bon moment, lorsque ce flux extrêmement délicat a été perturbé. De même qu’amener le bon cuisinier dans le bon établissement prend du temps. Mais la plupart des marchés ne dysfonctionnent pas éternellement et il est difficile d’imaginer l’un des moteurs de l’inflation actuelle garder sa puissance sur les six prochains mois.

Il n’y a absolument aucune raison de s’attendre à un trend similaire l’année prochaine.

Ce printemps, les consommateurs vaccinés aux Etats-Unis et en Europe sont sortis de leurs confinements respectifs avec une envie frénétique de dépenser. Il n’y a absolument aucune raison de s’attendre à un trend similaire l’année prochaine. Quant aux différentes mesures de soutien budgétaire, un certain nombre d’entre elles sont déjà arrivées à terme, laissant aux ménages le soin de modérer leurs dépenses et d’entamer un retour au travail. Si les pénuries de main d’œuvre persistent, notamment parce que les travailleurs s’inquiètent des risques d’infection sur le lieu de travail ou ont décidé de changer de carrière, les campagnes de vaccination et l’augmentation du taux d’immunité seront bientôt en mesure d’apaiser la plupart de leurs craintes. Ceci, combiné à l’épuisement progressif de leurs économies, devrait inciter la plupart d’entre eux à se remettre à la recherche d’un emploi.

Les gestionnaires d’approvisionnement ont entamé l’année dans une grande incertitude quant à la nature de la reprise. Ils ont ensuite dû jouer des pieds et des mains pour suivre le pic de la demande estivale et doivent maintenant se confronter à une course effrénée aux stocks, en prévision des fêtes de fin d’année. Mais, si l’on se base sur les prix des voitures d’occasion, l’offre devrait pouvoir combler son écart avec la demande. Les retards de livraison, qui ont poussé les entreprises à augmenter leurs stocks et ont alimenté une forte hausse des prix en termes de marchandises et de capacités de transport, ne dureront pas.

Les blocages, provoqués par l’interruption de l’activité portuaire chinoise aux débuts de la pandémie et aggravés par les intempéries persistantes, devraient également se résoudre d’ici l’année prochaine. Du côté américain, les annonces du président Biden concernant le passage à une activité 24h/24 pour le port de Los Angeles et l’augmentation du nombre de licences de camionnage délivrées ne résoudront pas immédiatement tous les problèmes. Mais la stabilisation des prix des containers suggère une amélioration, plutôt qu’une dégradation, des pressions du marché.

Pour l’instant, rien ne semble indiquer que les anticipations soient en train de perdre leur ancrage.

En ce qui concerne la flambée des prix du pétrole et du gaz, ces derniers ont grimpé en flèche en raison d’une météo froide, de la mauvaise intégration de certains marchés et de la politique de l’Opep en matière d’approvisionnement. Il existe bien sûr de nombreux scénarios dans lesquels chacun de ces facteurs pourrait persister ou s’aggraver, mais sont-ils vraiment les plus probables? Quant à l’envolée du prix des matières premières, et notamment du bois, force est de constater que cette dernière s’est arrêtée aussi vite qu’elle a commencé.

Le risque de l’anticipation

Le seul facteur qui pourrait soutenir une inflation persistante serait l’intégration de cette hausse des prix dans les anticipations. Mais il est encore difficile de savoir comment ou quand un tel phénomène pourrait se produire. En effet, l’enquête sur les anticipations de prix de l’Université du Michigan n’a été initiée qu’après la grande inflation des années 1970. Une période bien différente de la nôtre, où la forte syndicalisation et les conflits industriels avaient contribué à créer une spirale de hausse des salaires et des prix.

Il suffirait du soupçon que cette augmentation des prix ne relève pas uniquement des suites de la crise du COVID pour provoquer une dégradation rapide des marchés. Les plans de la Fed visant à progressivement réduire les liquidités en circulation se transformeraient en un resserrement douloureux et en une hausse inattendue des taux. Les prix des actifs chuteraient. Pour l’instant cependant, rien ne semble indiquer que les anticipations soient en train de perdre leur ancrage. Les consommateurs anticipent naturellement une hausse des prix à court terme car ils absorbent ce qu’ils peuvent constater au supermarché ou sur le marché immobilier. Mais les prévisions à plus long terme ont à peine bougé par rapport à la période pré-COVID.

Raphael Bostic a finalement choisi le terme «épisodique» pour qualifier cette dynamique des prix. Terme qui lui laisserait de la marge pour quelques fluctuations dans les mois à venir et qui lui permettrait d’entrevoir une meilleure croissance, une inflation plus élevée et un relèvement plus rapide des taux de la Fed. Mais même ce point de vue reste très loin de l’idée d’une hausse persistante qui continue d’obscurcir le débat économique actuel.

Les données récentes peuvent sembler déroutantes, mais le fil rouge reste clair aux yeux des investisseurs: la croissance ralentit, mais reste forte et les prix s’adaptent à une dynamique «sauvage», mais n’échappent pas à tout contrôle.

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