Conjoncture US: le calme avant la tempête?

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Malgré une robustesse apparente, l’économie américaine commence à afficher des signes de fragilité inquiétants.

En économie, les cyniques diront qu’il est dangereux de dire «cette fois, c’est différent». Comme d'autres aphorismes du monde de la macro-économie, ce dicton contient une part de vérité. Les économies ont tendance à suivre un cycle régulier de reprise, d'expansion, de ralentissement puis de récession. Or ce schéma peut se trouver perturbé par des cygnes noirs («Black Swans»), événements totalement imprévisibles pour la quasi-totalité des observateurs et dont l’impact se révèle majeur. Si l’on s’en tient à cette définition, la pandémie de Covid-19 et les confinements qui ont suivi seront très probablement considérés par les historiens comme un cas d’école.

Covid 19: un soutien économique inédit

Les confinements successifs ont engendré une récession inédite, alimentée par le fait que des milliards de travailleurs dans le monde ont dû rester chez eux sur un temps plus ou moins long. Certaines professions, en particulier celles qui impliquent une proximité physique avec autrui, ont été mises à l’arrêt du jour au lendemain, au moins temporairement. Les gouvernements ont dû mettre la main à la poche pour soutenir les entreprises et les ménages, tandis que les banques centrales ont acheté de grandes quantités d'obligations souveraines en soutien aux marchés financiers. Aux Etats-Unis, le Government Accountability Office estime que l'aide fédérale totale en réponse à la crise de la Covid-19 s'est élevée à 4,6 billions de dollars, soit 21% du PIB américain avant la pandémie. Dans le même temps, la Réserve fédérale (Fed) a accéléré sa politique de «quantitative easing», faisant passer son bilan de 4,2 milliards de dollars début 2020 à un pic de 9 milliards de dollars au printemps 2022.

Malgré un début de cycle inédit et la vigueur actuelle, les divers excès constatés pourraient enrayer les dépenses de consommation cette année.

Les chèques de relance et les allocations de chômage ont entraîné une augmentation massive des liquidités à disposition des ménages américains. Selon la Fed, l'ensemble des dépôts à vue auprès des banques est passé de moins de 1 milliard de dollars à la fin de 2019 à 4,5 milliards de dollars au troisième trimestre de 2022. Toutefois, confinements obligent, les consommateurs n’ont pas pu dépenser cette manne en voyages ou en sorties au restaurant par exemple. Ils l’ont donc plutôt dépensé dans les biens de consommation, achetés en ligne pour la plupart. Or, la pandémie a également perturbé les chaînes d'approvisionnement mondiales, entraînant des pénuries et incitant les grossistes et les détaillants à augmenter leurs commandes auprès des fournisseurs.

Une activité en berne

Ce cocktail de demande excédentaire, de pénuries et de politiques monétaires et fiscales prodigues a bien évidemment entrainé l’envolée de l’inflation entre début 2011 et mi-2022. Mais il a également permis de faire de la récession de 2020 la plus courte jamais enregistrée. Toutefois, la demande de biens s’est rapidement essoufflée. A l’excès de commandes par les directeurs d'achat s’est ajoutée la réorientation des dépenses vers les services à mesure que les confinements s’assouplissaient. Cela a engendré un effondrement de la confiance du secteur manufacturier, comme le montrent les données issues de l’enquête mensuelle de l'Institute of Supply Management (ISM), en territoire de contraction depuis novembre 2022.

Les données de l’ISM sont un indicateur clé de l’activité parmi de nombreux, tels que le «Conference Board Leading Economic Index», négatif depuis juillet 2022. D'autres indicateurs historiquement fiables sont également pourvoyeurs de messages préoccupants. Ainsi, la courbe de rendement des taux s'est inversée depuis novembre 2022 aux Etats-Unis. Ce phénomène avait précédé les huit récessions américaines enregistrées depuis les années 1960.

L'économie affiche toutefois une certaine robustesse. Le modèle de prévision GDPNow de la Fed d'Atlanta pour le premier trimestre prévoit que la croissance atteindra un taux annualisé de 3,4% en glissement trimestriel, tandis que la création surprise de 353’000 nouveaux emplois en janvier montre que le marché du travail reste extrêmement solide. De là à dire que de la courbe des taux est un faux signal? Rien n’est moins sûr.

Des signes d’inquiétude sous-jacents

Tout d'abord, il s’est écoulé en moyenne 13 mois entre le moment de l’inversion de la courbe des rendements et le début des quatre dernières récessions. L'inversion actuelle dure depuis 15 mois, ce qui demeure proche de la moyenne. En outre, dans chacun de ces cas, la courbe des rendements s'était normalisée avant le début de la récession. Aujourd’hui, elle reste inversée. Deuxièmement, l’épargne excédentaire que les ménages ont pu constituer a commencé à baisser en 2023 et on estime que cet excédent sera en large partie épuisé d'ici le troisième trimestre de cette année. Troisièmement, les remboursements des prêts étudiants ont été rétablis pour 43,2 millions d'Américains depuis octobre dernier. Cela nourrit les perspectives négatives en matière de dépenses de consommation. Quatrièmement, la valeur des dettes contractées par les cartes de crédit a augmenté de 24,7% au cours des deux dernières années pour atteindre un niveau record. De surcroît, 22,9% des responsables de crédit des banques américaines ont déclaré en janvier qu'ils resserraient les critères d'octroi des prêts sur carte de crédit.

Malgré un début de cycle inédit et la vigueur actuelle, les divers excès constatés pourraient enrayer les dépenses de consommation cette année. Par ailleurs, malgré des signes d’amélioration, l’enquête mensuelle de ISM suggère que la faiblesse de l’activité pourrait perdurer. Ces signes qui invitent à la prudence contrastent fortement avec l'optimisme des acteurs du marché. Les analystes boursiers prévoient que les bénéfices par action du S&P 500 augmenteront de 9,1% cette année, l’indice se négociant à 22,6 fois les bénéfices en cours. Dans ce climat ultra-optimiste, les investisseurs ne semblent pas préparés à un éventuel ralentissement de la dynamique économique au second semestre.

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