Croissance en sursis

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Malgré des chiffres meilleurs qu’attendus, les économies occidentales voient leur horizon s’obscurcir.

Largement annoncée, la récession économique, qui devait succéder au «bear market» observé sur le marché des actions en 2022, n’a finalement pas eu lieu en 2023. L’économie américaine a même progressé pour atteindre un taux de croissance annualisé de 4,9% au troisième trimestre, contre 2,1% au deuxième trimestre, et le tracker «GDPNow» de la Réserve fédérale (Fed) d'Atlanta anticipe une croissance de 2,5% au quatrième trimestre, largement au-dessus du taux de croissance potentiel. Alors, l'année 2024 nous réserve-t-elle de nouvelles surprises?

La dynamique du second semestre de l'année dernière devrait se poursuivre en ce début d’année. La croissance de l'emploi demeure importante, avec 216’000 créations d’emplois en décembre, contre une estimation attendue de 175’000. Etabli à 3,7%, le taux de chômage reste quant à lui proche des 3,4% observés en avril, plus bas niveau depuis 54 ans. Enfin, les ventes au détail de novembre ont augmenté de 4,1% en glissement annuel (g.a.), un chiffre dopé par le Black Friday et supérieur aux prévisions, sans doute grâce au surplus d'épargne des ménages.

Un «soft landing» précaire

L’économie américaine devrait toutefois connaître un second semestre plus difficile. Tout d'abord, les fortes hausses de taux directeurs décidées entre mars 2022 et juillet dernier seront de plus en plus pénalisantes pour les emprunteurs à taux fixes, à mesure qu’ils doivent renouveler leurs emprunts. Inquiètes quant à la qualité du crédit, les banques ont en outre continué à resserrer leurs normes de prêt. Selon la dernière «Senior Loan Officer Opinion Survey» de la Fed, 33,9% des sondés indiquent poursuivre le resserrement de leurs conditions de prêt. La confiance des entreprises aussi est en berne, et ce depuis plusieurs mois. Selon les enquêtes de décembre de l'«Institute of Supply Management», la confiance dans l’industrie manufacturière se trouve en zone de contraction pour un quatorzième mois consécutif. De leur côté, les entreprises de services ont rapporté une chute des conditions d'emploi à leur plus bas niveau depuis le déclenchement de la pandémie. Enfin, l’augmentation du volume d’emprunts par carte de crédit à des chiffres proches des records historiques (1,03 billion de dollars contre 736 milliards en avril 2021), les subsides de la période pandémique et les allocations de chômage ont stimulé les dépenses de consommation. Les soldes de trésorerie des ménages sont ainsi passés de 0,9 à 4,8 milliards entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2022. Toutefois, au rythme de dépense actuel, les ménages devraient avoir épuisé une grande partie de l'épargne excédentaire d'ici l'été.

La zone euro devrait quant à elle entrer en récession technique (baisse du PIB sur deux trimestres consécutifs). Au troisième trimestre 2023, le PIB a reculé de 0,1%, après une croissance de seulement 0,1% aux deux premiers trimestres, et le quatrième trimestre ne s'annonce guère meilleur. L'indice composite des directeurs d'achat (PMI), qui englobe l'industrie manufacturière et les services, est en territoire de contraction pour sa part depuis juin dernier, une situation qui a peu de chance se s’inverser en 2024. Réputée plus dépendante du crédit bancaire que les Etats-Unis, la zone euro a également vu les conditions de prêt accordées aux emprunteurs se durcir lors des derniers trimestres. En prime, le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) s'établit actuellement à 4,0%, soit le niveau le plus élevé depuis l’adoption de la monnaie unique. Selon Bloomberg, le PIB attendu progressera de seulement 1,3% pour l’année.

Malgré de fortes attentes chez les économistes, enthousiasmés par l’abandon de la politique «zéro covid» en décembre 2022 et l’anticipation d’un mini-boom de l’activité, la Chine a fortement déçu en 2023. La reprise espérée n’a pas été à la hauteur et les prévisions de croissance du PIB pour 2023 sont passées de 5,7% à 5,2%. Légèrement plus encourageantes toutefois sont les données récentes sur l'activité. Sur les douze mois précédant à novembre dernier, la production industrielle a augmenté de 6,6% tandis que les ventes au détail ont rebondi de 10,1%. Il n’empêche que le consensus sur les prévisions de croissance pour cette année (4,5%) est bien inférieur aux moyennes observées dans les années 2000 (10,2%) et 2010 (7,8%).

Le spectre d’une inflation durable

Les récentes baisses de l'inflation globale ont suscité l'espoir de voir les prix bientôt alignés sur les objectifs d'inflation de base des banques centrales, généralement fixés à 2%. Aux Etats-Unis, l'indice global des prix à la consommation (IPC) s’est établi à 3,4% en g.a. en décembre, après un pic récent à 9,1%, alors que l’inflation de base a reculé de 6,6% à 3,9% en g.a. Cet écart s’explique en majeure partie par la chute des prix de l’énergie de 14,3% par rapport à leur sommet. La poursuite de la désinflation devrait toutefois se faire à un rythme plus lent, en raison notamment des pressions salariales qui pourraient obliger les entreprises à augmenter leurs prix. En effet, malgré une légère accélération en décembre (à 4,1% en g.a.), la progression des salaires horaires moyens demeure bien en deçà du taux d'inflation attendu par les consommateurs lors les douze prochains mois (5,6%), selon la dernière enquête groupe de recherche «The Conference Board». D'autres demandes de hausse de salaire sont donc probables.

En outre, l'objectif affiché des gouvernements occidentaux de réduire leur dépendance excessive aux chaînes d'approvisionnement mondiales, en particulier avec la Chine, donne lieu à des politiques d'«onshoring», de «nearshoring» ou de «friendshoring» susceptibles d'entraîner une hausse des coûts de fabrication. Sans compter que les coûts de transport de marchandises ainsi que les délais d’acheminement ont fortement augmenté récemment alors que les compagnies maritimes ont cherché à éviter les risques de piraterie en mer Rouge en redirigeant leurs convois vers le cap de Bonne-Espérance.

Si nous nous attendons à ce que la dynamique de la fin d'année 2023 déborde sur la première partie de cette nouvelle année, l’anticipation d'un ralentissement de l'activité au cours du second semestre obscurcit l’horizon. Et si, comme nous l’anticipons, l’inflation peine à revenir à son objectif de 2%, les banques centrales pourraient être confrontées à la double peine d’une croissance atone et d’une inflation persistante.

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