Atouts helvétiques – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

6 minutes de lecture

Eurêka! Le cyclisme en haute montagne aiguise le regard. Belle réussite: comment notre économie se distingue. Placements en Suisse: au coeur d’un portefeuille diversifié.

La Suisse est belle, innovante, performante et admirée. A juste titre. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et ne va pas non plus de soi. Les atouts de son site économique demeurent intacts et ses chances de succès très bonnes. Il nous incombe de veiller à ce qu’il en soit ainsi à l’avenir également. J’ai fait le plein de perspectives positives, au sens propre comme au sens figuré, lors d’une traversée sinueuse des cols alpins le jour le plus long de l’année. La quintessence de la Suisse reste le meilleur gage de succès de nos placements, que la période soit calme ou mouvementée.

1. Eurêka! Le cyclisme en haute montagne aiguise le regard

Nous venons de franchir le solstice d’été, et j’ai profité du jour le plus long de l’année pour faire à vélo une traversée des cols alpins suisses aux panoramas sublimes: Susten, Grimsel, Nufenen, Gothard, Oberalp et Lukmanier, rassemblant ainsi des impressions de quatre régions linguistiques, culturelles et montagneuses en une seule journée. En passant par le col du Susten, un exemple grandiose des infrastructures routières suisses, on rejoint le Grimsel, dont le trajet panoramique s’étire littéralement au bord de l’eau. Le contraste entre le paysage sauvage et la force hydraulique maîtrisée est impressionnant: la Suisse tire profit de son qualificatif de «château d’eau» face au changement climatique et aux tensions actuelles sur le marché de l’énergie: quelque 60% de notre électricité sont d’origine hydraulique.

Bon nombre des magnifiques itinéraires de montagne que j’emprunte me font penser à Alfred Escher. Lorsqu’il a commencé à construire le tunnel le plus long du monde à ce jour, il a également créé l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). En effet, à l’époque (tout comme aujourd’hui), les spécialistes se faisaient rares en Suisse. Avec un établissement d’enseignement supérieur à portée de main, il n’avait pas besoin d’attirer des ingénieurs chers de Paris ou de Mannheim. Il a ainsi posé des jalons durables.

La descente vers le Valais illustre parfaitement la malédiction et la bénédiction de l’histoire économique de la Suisse. Il n’est guère possible de pratiquer l’agriculture sur ces versants abruptes. Notre pays compte 208 sommets de plus de 3’000 mètres (che bello). Mais pour exploiter les alpages, il a fallu passer de la culture des céréales à l’élevage dès la fin du Moyen-Age et parvenir laborieusement, des siècles plus tard, à la plus grande densité de tunnels au monde. Mais l’économie laitière a permis de jeter les bases de la production industrielle de lait en poudre et de chocolat, deux produits phares des exportations helvétiques.

Au col du Nufenen, le plus haut passage alpin en Suisse, succède la «Tremola», cette route en lacets emblématique et célèbre dans le monde entier qui, avec ses 24 virages en épingle à cheveux à couper le souffle, mène au col du Gothard. L’idée d’y construire un tunnel est née très tôt. Lorsqu’Alfred Escher, entrepreneur des chemins de fer et homme politique, a finalement approuvé le tunnel du Saint-Gothard comme point de départ des voies commerciales intercontinentales, de l’Europe du Nord à l’Inde, le feu vert était donné. Il a alors créé le Credit Suisse pour financer le tunnel ferroviaire le plus long du monde à ce jour.

Après le Gothard vient le col de l’Oberalp, près duquel jaillit la source du Rhin, l’une des voies navigables les plus empruntées d’Europe, indispensable à l’épanouissement économique de la Suisse. «Eurêka!» ai-je pensé à la fin de cette journée, cri de joie qu’aurait poussé Archimède (en grec: «j´ai trouvé») lorsqu´il a compris pourquoi les bateaux flottaient. Cette expression nous amène à dévoiler ou plutôt à rappeler quelques «secrets du succès» de la Suisse, qui revêtent de l’importance également pour les investisseurs.

2. Belle réussite: comment notre économie se distingue

Un petit pays aux grands atouts

La Suisse a compté parmi les Etats les plus pauvres d’Europe jusqu’au XIXe siècle. Mais grâce à son statut de pays neutre qui lui a été imposé lors du Congrès de Vienne en 1815, elle a été épargnée par les deux guerres mondiales et s’est profilée en oasis de paix et de stabilité au développement prospère dans un monde agité. Aujourd’hui, elle crée une valeur ajoutée par habitant qui s’inscrit parmi les plus élevées. La fortune moyenne d’un adulte y atteint plus de 500’000 francs, soit huit fois plus que la moyenne mondiale. Les salaires moyens en Suisse sont environ deux fois plus élevés en valeur nominale que ceux des pays voisins (hors Liechtenstein), corrigés du pouvoir d’achat, la différence est légèrement moindre.

Trois des cinq entreprises les plus fortement capitalisées d’Europe sont helvétiques. La capitalisation du Swiss Market Index (SMI) est supérieure à celle de l’indice boursier allemand (DAX).1 Rapportée à la puissance économique suisse, elle signe même un record mondial. Le ratio risque/rendement du SMI (ratio de Sharpe) est le meilleur d’Europe, et ce depuis trente ans. En outre, c’est la Suisse qui affiche - toujours par rapport à sa puissance économique - la plus forte densité d’entreprises de la liste Fortune Global 500. Sur le plan des impôts, elle se montre pragmatique et peut se contenter d’une charge fiscale modérée grâce à des finances publiques saines. Le magazine anglais «The Economist» a récemment énuméré quelques-uns de ces records2:

 

 

 

Le franc est la monnaie la plus forte du monde depuis plus de cent ans. Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit généralement assorti des taux d’intérêt les plus faibles en comparaison internationale, une règle qui ne devrait changer que temporairement suite à la récente décision prise par la Banque nationale suisse (BNS) de relever son taux directeur. En outre, la Suisse affiche le taux d’endettement public le plus bas parmi les pays industrialisés et se distingue à cet égard sur le plan international, comme le montre notre récente étude sur la viabilité de la dette. Bien que les ménages privés helvétiques soient les champions du monde en matière d’endettement, ils ont de bonnes raisons de l’être. Premièrement, ils disposent d’une fortune nette particulièrement élevée et deuxièmement, le peuple «souverain» encourage l’endettement en Suisse. L’impôt sur la valeur locative est également une particularité helvétique.

Heureux concours de circonstances: quand la nécessité devient vertu

Lorsque les huguenots ont été persécutés aux XVIe et XVIIe siècles en France, beaucoup se sont réfugiés dans des régions de l’actuelle Suisse romande, où certains d’entre eux ont jeté les bases de l’industrie horlogère helvétique. A son tour, celle-ci a contribué à l’essor de l’industrie textile en Suisse alémanique, laquelle a donné naissance plus tard, au XIXe siècle, à l’industrie des machines et à l’industrie chimique et pharmaceutique. En parallèle, la découverte des Alpes et de leurs bienfaits en termes de détente et de repos par des Anglais fortunés (dont le pays était le plus riche du monde à l’époque) a déclenché un boom touristique inattendu, auquel nous devons encore beaucoup aujourd’hui. La création de grandes banques et de banques cantonales a, elle aussi, découlé quasi directement de l’industrialisation et de la construction de tunnels dans la seconde moitié du XIXe siècle.

A posteriori, on relève que l’absence de ressources naturelles importantes a constitué un avantage pour la Suisse. En effet, les pays d’Europe richement dotés à cet égard, comme la Norvège ou la Belgique, ont régulièrement vu leur industrie décliner parce que les exportations de matières premières induisaient une trop forte appréciation de leur monnaie nationale. A l’inverse, le manque de ressources naturelles a suscité un esprit de pionnier en Suisse: il n’est qu’à voir son leadership dans les classements mondiaux en matière de capacité d’innovation, de développement de brevets, de compétitivité et de qualité de vie.

Facteurs du succès helvétique

Ce qui rend notre pays si performant ne tombe pas du ciel, mais ne relève pas uniquement de notre propre mérite. Plusieurs générations de Suisses ont laissé à leurs successeurs un héritage plus important que celui qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Il nous incombe de le protéger et de le consolider. En tant qu’investisseurs aussi car, au bout du compte, nos placements aux fins de prévoyance tirent directement profit du succès de la Suisse. Il convient de mentionner cinq facteurs de réussite:

  1. Ouverture sur le monde. La diversité linguistique et culturelle a conféré à notre pays une ouverture particulière sur le monde. Un Suisse sur quatre a des origines étrangères et est donc le fruit de l’immigration, tout comme le soussigné. L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est la haute école d’ingénierie d’Europe la plus ouverte à l’extérieur, avec des étudiants issus de plus de 120 pays différents, et l’EPFZ n’est pas en reste. Des pôles performants de sciences de la vie établis dans toutes les régions linguistiques – au Tessin3, en Suisse romande4, à Bâle5 et à Zurich6 – ont un rayonnement dans le monde entier, lequel leur permet d’attirer non seulement des investisseurs, mais aussi des spécialistes issus des attrayants marchés du travail voisins. Par le passé, des personnalités étrangères telles que Gottfried Semper, Richard Wagner, Henri Nestlé ou Nicolas Hayek ont également été des pionniers de l’économie et de la culture helvétiques.
  2. Innovation, formation, entrepreneuriat. Le système de formation en alternance ainsi que l’excellence de la recherche et de l’enseignement en étroite collaboration avec les PME et les grandes entreprises suisses constituent un terreau idéal pour l’innovation. Aucun autre pays au monde ne compte autant de brevets par habitant ni autant de «champions internationaux insoupçonnés» que la Suisse. Lorsque je rends visite à certains leaders helvétiques du marché mondial, je suis régulièrement impressionné par la manière dont ces entreprises entretiennent une culture de l’innovation extrêmement performante dans le cadre de hiérarchies horizontales.


     

  3. Fédéralisme et subsidiarité. Le scepticisme prononcé des citoyens helvétiques à l’égard d’un Etat central ne remonte pas seulement à la politique de Napoléon, mais s’explique fondamentalement par les grandes différences culturelles de notre pays. Le fédéralisme repose sur le principe de la subsidiarité politique, c’est-à-dire sur la délégation des responsabilités, et stimule en parallèle la concurrence entre les cantons. Au final, la subsidiarité en découlant agit comme un frein à l’endettement public et garantit ainsi que la charge fiscale de la Suisse reste modérée en comparaison internationale.
  4. Diversité et beauté des paysages. La Suisse, il faut l’expérimenter par soi-même. Heureusement, elle ne se laisse pas copier. Depuis le XIXe siècle, le tourisme est devenu un atout national et durable. En 2019, ce secteur a réalisé un chiffre d’affaires de 50 milliards de francs – sa valeur ajoutée représente environ 3% de la performance de l’économie helvétique, couvrant ainsi plus de 4% de l’emploi. Il y a plus encore: quiconque voyage en Suisse la ramène dans son pays d’origine - dans son cœur. En termes de rapprochement des peuples, il ne faut pas non plus sous-estimer la valeur que représentent les quelque 40 millions de nuitées annuelles.
  5. Situation centrale. La géographie est également un facteur de grande importance. Certains qualifient la Suisse de «château d’eau», d’autres de «forteresse alpine» et d’autres encore de «cœur de l’Europe», autant de désignations parfaitement appropriées. Elle se situe au centre de l’Europe, à la croisée de ses axes de circulation nord-sud, entourée d’Etats prospères avec lesquels elle entretient d’excellentes relations politiques et socio-économiques. Celles-ci ont néanmoins été mises à mal par le fait que la Suisse ait torpillé l’accord-cadre négocié avec l’UE, pourtant si important pour notre économie, notre site et la formation.

 

3. Placements en Suisse: au cœur d’un portefeuille diversifié

Tout cela a-t-il des implications pour les investisseurs? Bien entendu. Le fait que les placements financiers en Suisse se retrouvent souvent en tête des classements indiquent que les atouts de notre pays devraient inspirer confiance également aux investisseurs.7 En comparaison internationale, la monnaie, les obligations, l’immobilier et les actions de notre pays ont fréquemment occupé les premières places au cours des cent dernières années.8 En voici quelques exemples:

  1. Le franc est la monnaie la plus forte du monde depuis sa création.
  2. C’est la monnaie dont le taux d’inflation est historiquement le plus bas du monde.
  3. Les obligations de la Confédération helvétique affichent le meilleur historique de performance au monde.
  4. Par rapport à sa puissance économique, la Suisse possède le marché des actions le plus grand du monde. En outre, celui-ci est exceptionnellement bien diversifié, tout comme l’économie du pays.
  5. Le ratio risque/rendement des actions suisses («ratio de Sharpe») est le meilleur du monde.

En résumé, c’est précisément en cette période de repli du marché mondial que nous pouvons partir du principe que nos placements ne reposent pas sur du sable. La solidité, la capacité d’innovation et les avantages concurrentiels traditionnels de la Suisse sont autant de bonnes raisons de considérer les investissements sur son site comme des éléments centraux d’un portefeuille diversifié.

Je vous souhaite un excellent été.

 

 

1 La source des données de cette section est «The Economist».
2 The Economist (2022): The recipe for the outperformance of Swiss businesses
3 Farma Industria Ticino
4 Life Sciences Cluster Western Switzerland
5 Life Sciences Cluster Basel
6 Biotechnologie Greater Zurich Area
7 Source: Credit Suisse Research Institute: «Switzerland: A Financial Market History», «Credit Suisse Global Investment Returns Yearbook 2022»
8 Les indications de performances historiques et les scénarios de marchés financiers ne constituent pas une garantie des résultats futurs.

A lire aussi...